Quand les parlementaires français sont aussi consultants, lobbyistes ou hommes d’affaires...
source : Observatoire des multinationales
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La transparence de la vie politique a ses limites, comme le montre à nouveau le cas de François Fillon et de ses discrètes activités de sa société de conseil 2F. Le candidat de la droite n’est pas le seul à conseiller des multinationales et à en tirer de substantiels revenus : lobbyistes, avocats, dirigeants d’entreprises peuplent les bancs du Parlement. Quels sont les intérêts qu’ils déclarent ? Ont-ils mis fin à leurs activités une fois élus ou sont-elles jugées compatibles avec leur mandat ? Animent-ils des clubs parlementaires en lien avec ces intérêts privés qui sont aussi les leurs ?
On le sait, nombre d’« élus du peuple » au Parlement ne défendent pas uniquement l’intérêt général. Quoiqu’en dise la Constitution française, ils représentent aussi les intérêts particuliers de leur circonscription ou de leur territoire, ce qui peut les conduire à écouter d’une oreille plus attentive les entreprises qui y sont implantées. Ils sont aussi soumis à de nombreuses pressions de la part d’intérêts privés à l’occasion des projets de loi sur lesquels ils doivent se prononcer. Certains parlementaires se sont fait une spécialité de la défense d’un secteur économique particulier, jusqu’à siéger dans une multitude de clubs, de commissions, de think tanks ou d’organismes publics ou parapublics liés à ces intérêts. D’autres sont encore plus intimement liés à des intérêts privés : ceux qui dirigent une entreprise, siègent au sein d’un conseil d’administration ou exercent une activité de conseil en tant qu’avocat ou consultant.
L’exemple le plus récent concerne bien évidemment François Fillon. En plus des soupçons d’emplois fictifs dont auraient bénéficié sa femme et ses enfants, le candidat de la droite et du centre a également travaillé pour le compte d’un grand groupe conseillant les multinationales françaises, Ricol Lasteyrie, par l’intermédiaire de sa propre société de conseil, 2F. Celle-ci lui a permis de dégager de substantiels revenus, et il a longtemps refusé de dévoiler le nom de ses clients avant de reconnaître, sous la pression, avoir touché des émoluments d’Axa, de Fimalac et de la banque Oddo. L’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy n’est pas le seul parlementaire français à exercer ce type d’activité de consultant en parallèle de son mandat. Il suffit d’éplucher les déclarations d’intérêts et d’activités des députés et sénateurs faites auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie politique pour s’en rendre compte.
Plusieurs parlementaires sont eux-mêmes d’anciens lobbyistes, comme Frédéric Lefebvre (LR) ou Malek Boutih (PS), directeur des « relations institutionnelles » de la radio Skyrock jusqu’en 2012. Le plus grand nombre exercent leurs activités de conseil à travers le statut d’avocat. Parmi nos 577 députés et 348 sénateurs, une cinquantaine sont avocats de profession. Certains sont retraités. Beaucoup ont suspendu leurs activités suite à leur élection. D’autres, au contraire, sont devenus avocats une fois élus, à la faveur de leur ancien statut de haut-fonctionnaire et grâce à un décret pris en 2012 par Nicolas Sarkozy, juste avant l’élection présidentielle, leur permettant, quasi automatiquement, de rejoindre le barreau. Ce décret a été abrogé depuis par la Garde des Sceaux Christiane Taubira.
Devenir ou être avocat autorise les députés à exercer une activité de conseil au cours de leur mandat, ce qui est interdit aux autres... [1]. Certains, comme le montre notre échantillon ci-dessous, ne s’en privent pas. Diriger une entreprise pendant son mandat, ou siéger au conseil d’administration de grandes entreprises privées, n’est pas, non plus, interdit par les règles déontologiques du Parlement. A l’inverse, le cumul d’un mandat électif avec des fonctions de direction dans des entreprises publiques n’est pas autorisé [2]. La famille Dassault, dont deux membres siègent à l’Assemblée et au Sénat, incarne de façon emblématique ce cumul d’une fonction élective avec les intérêts d’une ou de plusieurs entreprises.
Ces deux exceptions montrent déjà les limites de la « transparence de la vie politique » et la lutte contre les conflits d’intérêts. La déclaration d’intérêt auxquels sont soumis députés et sénateurs depuis 2014 est aussi très partielle : s’ils exercent des activités de conseils, ils ne sont pas obligés de mentionner leurs clients. Quant à vérifier leur véracité et éventuelles omissions, le citoyen doit s’en remettre au travail d’investigation de journalistes ou d’associations : la Haute autorité n’a aucun pouvoir de vérification, ni de sanction. Voici un florilège des risques de potentiels conflits d’intérêts que dévoilent ces déclarations :
François Brottes (PS) : une transition qui rapporte gros
Député PS jusqu’en août 2015, il a quitté son mandat en cours de législature pour devenir patron de RTE, la filiale d’EDF en charge des réseaux de transmission électrique. Un poste qui lui rapporte 250 000 euros de rémunération fixe par an [3], soit plus de 20 000 euros par mois. Avec la part variable, François Brottes pourrait percevoir jusqu’à 400 000 euros annuels, s’il fait aussi bien que son prédécesseur (voir ici). Problème : c’est François Brottes qui a été rapporteur spécial de la loi sur la transition énergétique lorsqu’il était député. Une loi décisive pour EDF et sur laquelle l’entreprise a pratiqué un lobbying intense (voir notre article). L’ancien député avait notamment déposé un amendement qui favorisait le chauffage électrique.
Dominique Bussereau (LR) : l’appel du large
Élu à l’Assemblée nationale depuis 1986, il est membre du conseil d’administration de CMA CGM, premier groupe français de transport maritime. Pour cette activité, le député a perçu 12 000 euros de jetons de présence sur les deux années 2012 et 2013, et 7620 euros en 2014. Dominique Bussereau connaît bien le secteur des transports pour en avoir été le secrétaire d’État en 2002. Il a aussi fondé, en 1995, le club parlementaire Avenir Transport [4], qui accueille parmi ses membres une vingtaine de grandes entreprises comme Alstom, SNCF, Air France, RATP, Keolis, Vinci ou Transdev. Ce club parlementaire est coprésidé par le socialiste Gilles Savary. Il était aussi à la date de son élection membre du conseil de surveillance de l’agence de notation environnementale TK Blue. Il en a démissionné en 2013.
Jean-Pierre Cantegrit (LR) : œnologue de luxe
Ce sénateur représentant des Français de l’étranger occupait jusqu’à fin 2014, en parallèle de son mandat, un poste de chargé des relations extérieures au sein du Groupe Castel, « spécialiste des métiers du Vin et de la Bière et boissons gazeuses » et « n°3 mondial des vins ». Ce travail lui rapportait plus de 72 000 euros annuels [5]. Dans ces secteurs, deux clubs parlementaires, des structures où se retrouvent parlementaires et acteurs économiques, sont particulièrement actifs : le Club de la Table française et l’Association nationale des élus de la vigne et du vin.
Luc Chatel (LR) : des revenus en hausse de 266%
Le député, ancien ministre de l’Éducation entre 2009 et 2012, a créé sa propre société de « conseil en stratégie et accompagnement », appelée LCH, juste avant le début de son nouveau mandat, en mai 2012. Cette société lui a apporté plus de 50 000 euros de revenus en 2012 et plus de 183 000 euros en 2013, dernière année renseignée de la déclaration d’intérêts du député, qu’il n’a pas mise à jour depuis. Luc Chatel n’a pas répondu à nos sollicitations sur la nature de son activité ni sur l’identité de ses clients [6].
Serge Dassault (LR) : un mirage au Sénat
Sénateur Les Républicains, élu depuis 2004, il cumule sa fonction élective avec une longue liste d’intérêts : président du groupe industriel Marcel Dassault (qui lui a apporté plus de 620 000 euros en 2013), PDG de Dassault médias, le groupe qui édite Le Figaro, directeur général de la société des Châteaux Dassault, administrateur d’une série d’entreprises du groupe Dassault, comme Dassault Falcon Jet Corporation (filiale basée aux USA), Dassault International ou Dassault Système. Serge Dassault est aussi président d’honneur et administrateur de Dassault aviation, président et membre du conseil d’administration de Dassault Belgique Aviation, président et gérant d’une société immobilière d’investissements… À se demander quand Serge Dassault peut trouver le temps d’étudier les projets de loi de passage au Sénat [7].
Olivier Dassault (LR) : administrateur en rafales
Le fils de Serge Dassault a été élu à l’Assemblée nationale de 1988 à 1997, puis sans interruption depuis 2002. Il est également administrateur de Dassault aviation, de Dassault médias, vice-président du groupe Valmonde (éditeur du magazine Valeurs actuelles), administrateur de la société du Figaro, président du conseil de surveillance du groupe Marcel Dassault (rémunéré pour cela plus de 350 000 euros bruts annuel, sans compter les dividendes), administrateur et membre du conseil de surveillance de deux autres sociétés, et président du conseil de surveillance de la société d’investissements immobilier de Serge Dassault [8].
Autant dire que le groupe d’armement et de médias a de quoi défendre ses intérêts au Parlement. Étrangement, l’entreprise Dassault n’est enregistrée dans aucun des registres de lobbying du Parlement français, ni à l’Assemblée nationale, ni au Sénat, contrairement à d’autres entreprises du secteur de l’armement comme Thalès. Dassault est par contre inscrite dans le registre de lobbying de l’Union européenne. La famille n’y dispose pas encore d’un siège de député européen...
Philippe Dominati (LR) : abonné aux centres d’appels
Philippe Dominati, sénateur depuis 2004, est aussi administrateur et président du conseil de surveillance de Téléperformance, qui gère des centres d’appels et emploie 188 000 salariés dans le monde. Cette activité lui a rapporté 87 800 euros en 2014 et 121 800 euros en 2015 [9]. Le sénateur a également administré, en 2009 et 2010, l’entreprise Theolia – devenue depuis Futuren, qui produit de l’électricité éolienne – pour un rémunération globale de 200 000 euros [10].
François Fillon (LR) : des conseils chèrement payés
L’ancien Premier ministre, député Les Républicains, et candidat de la droite à la présidentielle, a créé en 2012, une entreprise de conseil, 2F Conseil, juste avant de démarrer son mandat de député. Il a déclaré à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique des revenus de 70 000 euros issus de cette activité en 2012, et de plus de 142 000 euros en 2013, soit sept fois le salaire moyen. Ses déclarations à la Haute autorité s’arrêtent en 2013. Ce n’est pas illégal : la loi n’oblige les députés à déclarer revenus et activités qu’une seule fois au cours de leur mandat.
Mais pour l’année 2015, la société 2F Conseil a réalisé un chiffre d’affaires en hausse de 38%, qui atteint près de 300 000 euros [11]. Et selon Le Monde, François Fillon aurait gagné 750 000 euros entre 2012 et 2015 grâce à sa société. Quelle est la nature exacte de ces « conseils » ? Qui sont ses clients ? Leur identité est-elle de nature à présenter un conflit d’intérêt ? Nous avons contacté l’équipe de François Fillon à ce sujet, sans réponse. Début février, Médiapart révélait que, parmi ses clients, figure le cabinet Ricol Lasteyrie Corporate Finance, un grand groupe de conseil aux entreprise du Cac 40 et aux multinationales françaises (comme Air France, Alstom, BPCE, EDF, Engie, Altran…). François Fillon siège également au comité stratégique de ce cabinet (lire aussi notre article : Les très discrètes mais lucratives « activités de conseil » du candidat François Fillon).
Razzy Hammadi (PS) : de l’urbanisme à l’Assemblée nationale
Le député de Seine-Saint-Denis dirigeait un cabinet de conseil en urbanisme et habitat, HQB Conseil. Il assure avoir vendu ses parts en 2012 après son élection à l’Assemblée nationale. Cette activité lui a rapporté 4500 euros nets mensuels entre 2010 et 2012 [12].
Benoît Hamon (PS) : dirigeant au salaire moyen
Dans la case « profession » de sa déclaration d’activité, le candidat socialiste à la présidentielle a indiqué, en 2014, « directeur de société ». Avant de devenir député en 2012, Benoît Hamon dirigeait une petite société d’études d’opinion, Le Fil. Une activité qui lui rapportait environ 2000 euros mensuels, soit environ le salaire moyen. Il a quitté sa fonction de direction une fois élu [13].
Jean-François Lamour (LR) : défense d’intérêt
Député et membre de la commission défense de l’Assemblée, il siège également au conseil d’administration de la Fondation Safran, la fondation « pour l’insertion » de l’un des grands groupes d’armement français [14].
Gérard Longuet (LR) : cumulard d’activités annexes
Élu sénateur en 2001, Gérard Longuet dirige une société de conseil depuis 1994, Sokrates group. Sa déclaration d’intérêts affiche une rémunération issue de cette activité de 42 000 euros en 2013, et 18 000 euros les années précédentes. « L’activité est modeste en raison de son manque de disponibilité », fait-il savoir par le biais de ses collaborateurs parlementaires, qui ajoutent : « Les clients passés, présents ou à venir sont couverts par le secret professionnel. »
En plus de son mandat et de son activité « modeste » pour Sokrates group, l’ardent défenseur de François Fillon préside le conseil d’administration de Sea Invest Afrique, filiale d’un groupe belge de manutention portuaire, et siège parmi les administrateurs de Sea Invest France et Cockerill Maintenance & Ingénierie (voir ici) [15].
Alain Marsaud (LR) : bénévole pour Veolia
Élu à l’Assemblée nationale de 1993 à 1997, et depuis 2002. Entre ses deux mandats, il est directeur général adjoint du pôle eau de la Compagnie générale des eaux et directeur de l’analyse et de la prospective de Vivendi Universal. Il est également, bénévolement assure-t-il, membre du conseil d’administration indépendant de plusieurs filiales de Veolia, dont la Compagnie générale des eaux est l’ancêtre : Veolia Voda (la filiale en Europe de l’Est, devenu Veolia Central and Eastern Europe), Veolia Water and Technology, et a été administrateur de la Sidem, filiale active dans le déssalement des eaux. Il indique même sur son site être administrateur, là encore à titre gracieux, de la fondation Serge Dassault pour les personnes handicapées [16].
Laure de la Raudière (LR) : un club parlementaire très stratégique
La députée Laure de la Raudière était, avant de commencer son mandat, directrice générale d’une entreprise de conseil en stratégie, Navigacom, spécialisée dans les infrastructures réseaux et télécoms pour des grands groupes français. Parmi les clients de l’entreprise se trouvent Air France, SNCF, Thales, PSA, Louis Vuitton, Lafarge, DCNS, ArcelorMittal, Crédit agricole, Société générale… La députée a toutefois quitté ses fonctions en 2010 et n’en est plus actionnaire depuis 2012. Elle est aujourd’hui coprésidente du club parlementaire Nouvelle révolution industrielle, où elle croise à nouveau ces grandes entreprises [17].
Thierry Solère (LR) : lucratif recyclage
Le député est consultant de profession. Il a conseillé une entreprise de gestion des déchets, Chimirec Développement, avant d’en devenir salarié depuis 2014, pendant son mandat, pour un salaire brut mensuel de 12 000 euros [18].
Rachel Knaebel
Cet article fait partie d’une série sur le lobbying réalisée en collaboration avec la rédaction du mensuel Alternatives économiques dans le cadre d’un projet commun de développement du journalisme d’investigation économique et social, soutenu par la Fondation Charles Leopold Mayer.
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Photo : CC Dominique Archambault
Photo : CC Dominique Archambault
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