dimanche 24 novembre 2019

(Il n'y a pas à dire, les States, la France de sarko, l'Angleterre ont réussi leur coup en virant les régimes en place en Irak, en Afghanistan, en Libye et leur tentative en Syrie. Tout ça pour que les industriels puissent piller ces pays. note de rené)


Au Sahel ou au Lac Tchad, « les empreintes des djihadistes du Levant sont déjà là »

par Safwene Grira.
On n’en connaît pas le nombre, mais leurs empreintes sont déjà là. Au Sahel ou au Lac Tchad, l’avènement des terroristes du bourbier syrien ou irakien ne fait plus de doute. Il se manifeste par leur mode opératoire et une capacité de nuisance décuplée, relève le chef de la mission de l’ONU au Mali, Mahamat Annadif, dans un entretien à Sputnik.
Mahamat Saleh Annadif est, depuis décembre 2015, le représentant spécial pour le Mali du secrétaire général des Nations unies. À ce titre, il est aussi le chef de la Mission multidimensionnelle de stabilisation intégrée des Nations unies au Mali (Minusma).
Après avoir été secrétaire d’État à l’agriculture pendant les deux dernières années de la présidence de Hissène Habré (1989-1990), cet ingénieur de formation fait son retour dans les affaires sous Idriss Déby par la voie des Télécommunications internationales du Tchad (TIT) puis de l’ONTP (Office national des Postes et Télécommunications) en tant que directeur général. Une fonction qu’il occupera de 1995 à 1997, année où il est promu ministre des Affaires étrangères. C’est le début d’une longue carrière diplomatique qui s’est déclinée à l’échelle internationale, avec néanmoins deux parenthèses (2004-2006 et 2010-2012) à la présidence de la République, en tant que proche collaborateur d’Idriss Deby.
Mahamat Saleh Annadif fut également représentant permanent de l’Union africaine auprès de l’Union européenne (UE) (2006-2010) avant d’être nommé, en 2012, représentant spécial de l’Union africaine pour la Somalie et chef, à ce titre, de la Mission de l’UA dans ce pays (Amisom). Un poste qui prépare sa nomination, en 2015, par le Secrétaire général de l’ONU de l’époque, Ban Ki-moon, à la tête de la Minusma, en remplacement du démissionnaire Mongi Hamdi, sous le mandat duquel a été signé l’«Accord pour la paix et réconciliation au Mali». Connu médiatiquement sous le nom d’«Accord d’Alger», ce document a été adopté, l’été 2015, par le gouvernement malien, la Plateforme des mouvements du 14 juin 2014 et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) en vue de résoudre la crise politique dans ce pays. Toutefois, plus de quatre ans plus tard, sa mise en œuvre reste toujours sujette à des difficultés.
Sputnik a rencontré Mahamat Saleh Annadif, à Tanger, au Maroc, en marge de sa participation à la 12e édition du Forum international MEDays organisé chaque mois de novembre par l’Institut Amadeus sous le haut patronage du roi Mohammed VI. La question de la nature du mandat de la Minusma, qui figure dans le top 5 des missions de paix les plus meurtrières de l’ONU, a été évoquée. M. Annadif relèvera «un amalgame» qui assimile la Minusma à une mission de lutte contre les terroristes alors qu’en vérité, «son mandat n’y est pas adapté». Il évoquera aussi, au micro de Sputnik, toutes les difficultés de l’application de l’accord de paix, dans un contexte sécuritaire marqué par la résurgence de la menace terroriste, avec notamment, l’avènement des terroristes du Levant.
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Sputnik : Vous évoquiez, à l’occasion d’un panel MEDays, l’intervention occidentale en Libye, en 2011, regrettant que l’Union africaine (UA) n’ait pas été entendue. Que faut-il faire, à votre avis, pour que la voix de l’UA soit plus audible ?
Mahamat Saleh Annadif : « Il y a une amélioration au niveau des consultations préalables, que ce soit entre l’UE et l’UA, ou les Nations unies et l’UA. Mais ce qui s’est passé en Libye a été réellement en dehors de ces consultations. L’UA était contre l’intervention en Libye. Des chefs d’État africains étaient partis en visite à Tripoli, on les a empêchés d’aller à Benghazi parce que l’OTAN était en train d’intervenir. C’était une erreur. Certes, l’intervention était basée sur une résolution du Conseil de sécurité, mais c’était une interprétation [très extensive, ndlr]. J’ose croire qu’on en a tiré des leçons et que, depuis lors, la voix de l’Afrique est de plus en plus entendue. Là, on a, à chaque session du Conseil de sécurité des Nations unies, les membres africains, qu’on appelle les A3, par opposition à P5. Aujourd’hui, on les écoute, on parle avec eux. C’est une évolution positive.»
Sputnik: En même temps, vous vous exprimiez également en faveur d’une réforme du Conseil de sécurité (CS) en parlant même, aujourd’hui, d’un «ordre injuste». Un terme fort…
Mahamat Saleh Annadif : «Nous savons que l’ordre actuel au sein du Conseil de sécurité est issu de la deuxième guerre mondiale. Cet ordre, ce sont les vainqueurs qui l’ont tracé. Depuis les années 2000, l’UA revendique un siège permanent au niveau du Conseil de sécurité, de même que les vaincus de la deuxième guerre mondiale – l’Allemagne et le Japon –, le Brésil et l’Inde, aussi. Il y a plusieurs voix appelant à la réforme du Conseil de sécurité. Malheureusement, c’est le veto qui empêche cela. Cela n’aide pas à construire des relations internationales plus justes.»
Sputnik : Parmi les cinq permanents, il y en a qui seraient plus irréductibles que d’autres?
Mahamat Saleh Annadif : «Il n’y a pas vraiment un pays en particulier. Ils ont un droit. Et ils sont tous d’accord sur le fait de ne pas changer ce droit.»
Sputnik : Pour en venir au Mali, à présent. Il existe, aujourd’hui, un certain ressentiment au sein de la population malienne contre la Minusma, qui ne les protègerait pas suffisamment. Comprenez-vous cette inquiétude ?
Mahamat Saleh Annadif : «Je dis tout simplement qu’il y a un péché originel, un ressentiment au Mali, que je comprends. Pour les Maliens, s’il y a une intervention étrangère, c’est pour les aider à lutter contre le terrorisme. Ils estiment, en effet, que s’il y a une menace pour le Mali, c’est la menace terroriste. Or, quand les Nations unies sont intervenues, c’était dans le cadre de stabilisation d’un pays détruit, d’un État dont l’armée s’est effondrée, dont la cohésion nationale a souffert. Nous nous sommes déployés en tant que mission de maintien de la paix avec pour objectif de favoriser la réconciliation, la mise en œuvre de l’accord issu du processus d’Alger. Il fallait aider à reconstruire l’État et l’armée, et à ce que les forces de défense et de sécurité puissent aller plus au nord. Ces objectifs sont toujours d’actualité…»
Sputnik : Mais il y a bien la protection des civils qui était la deuxième priorité stratégique dans la résolution 2480, adoptée en juin dernier…
Mahamat Saleh Annadif : «On nous a ajouté le Centre dont il faut s’occuper. De ce point de vue, le mandat s’exécute dans de très bonnes conditions. Or, la confusion ou l’amalgame, c’est de ne pas voir le passé de la crise malienne ! Celle-ci est d’abord une crise politique entre périphérie et centre et nous essayons de résoudre cette crise. Le phénomène terroriste est venu comme un facteur aggravant. C’est en cela que la présence de Barkhane [opération française au Sahel, ndlr] avec laquelle nous coopérons [est importante, ndlr]. Nous avons également salué au nom du secrétaire général la mise en place de la force G5 Sahel qui, malheureusement, n’a pas encore atteint, jusque-là, son plein envol. Sinon, nous estimons que nous avons des rôles assez spécifiques. Et de ce point de vue, la Minusma s’acquitte de son mandat.»
Sputnik : Souhaiteriez-vous que le mandat de la Minusma soit plus fort, qu’elle ait plus de moyens? On a vu que le Conseil de sécurité n’a pas souhaité, cette fois-ci, renforcer vos effectifs en les maintenant à un maximum de 13.289 militaires et de 1.920 policiers…
Mahamat Saleh Annadif : «Ce n’est pas une question de souhait de ma part, c’est une question de principe au niveau des Nations unies. Jusque-là, la question au niveau du Conseil de sécurité n’est pas tranchée. Est-ce que le Conseil de sécurité va envoyer des forces pour lutter contre le terrorisme ou pour la stabilisation et la réconciliation ? Ce débat n’est pas encore tranché.»
Sputnik : Vous faites allusion à la nature offensive ou défensive du mandat ?
Mahamat Saleh Annadif : «Oui. Et c’est pour cela que je dis que le débat pour le moment est entre les membres du Conseil de sécurité.»
Sputnik : À chaque fois qu’il y a prorogation de mandat, vous faites le déplacement à New York. Que dites-vous aux membres du Conseil de sécurité ?
Mahamat Saleh Annadif : «Je leur fais seulement comprendre que le concept de mission de paix des Nations unies déployée dans un environnement où il y a plus de terroristes n’est plus adapté. Le mandat actuel de la Minusma n’est pas adapté à la lutte antiterroriste. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas utile pour d’autres tâches, comme la stabilisation et l’accord de paix.»
Sputnik : On parle de plus en plus, aujourd’hui, de présence de combattants étrangers venus du Moyen-Orient. Confirmez-vous cette information et avez-vous une estimation du nombre de ces djihadistes ?
Mahamat Saleh Annadif : «C’est difficile de parler de statistiques! Ce sont des gens qui viennent de façon clandestine et irrégulière. Toujours est-il que leurs empreintes sont déjà là. Au Sahel de façon générale, ou même au Lac Tchad, depuis que Boko Haram a fait allégeance à l’État islamique*. Depuis lors, on constate une résurgence de certaines capacités, pratiques et modes opératoires. Les cadavres piégés, par exemple, c’était quelque chose qui n’existait pas ! Les tirs précis, la composition des IED [engins explosifs improvisés, ndlr] également a énormément changé ! Aujourd’hui, la capacité est décuplée de telle sorte qu’il est difficile même à un véhicule superbement blindé d’y faire face !»
Sputnik : Vous avez évoqué le G5 Sahel tout à l’heure, Barkhane, il y a la Minusma, on parle d’une nouvelle opération européenne sous commandement français… Et les FAMA (forces armées maliennes) dans tout cela ?
Mahamat Saleh Annadif : «Le Mali a encore besoin de la communauté internationale. Il y a d’abord les forces de défense et de sécurité maliennes dont la mission régalienne est la sécurité du territoire. C’est vrai qu’on dit souvent que la sécurité ne se délègue pas. Mais dans cette phase, je suis absolument certain que le Mali a besoin d’une certaine solidarité. D’ailleurs, je préfère parler de forces de défense de sécurité plutôt que de FAMA seulement, pour ne pas exclure la police, la gendarmerie etc. Il y a donc cet ensemble d’outils de défense et de sécurité qu’il faut absolument restructurer. C’est un dispositif qui se réorganise, qui se forme, mais qui, également, doit pouvoir opérer ! Or, faire deux actions en même temps n’a jamais été facile.»
Sputnik : Venons-en justement à la mise en œuvre de l’accord de paix, qui est la première priorité stratégiquefixée par la résolution 2480. Quelle est l’évaluation que vous en faites aujourd’hui ?
Mahamat Saleh Annadif : «La première évaluation, c’est que, à la suite de cet accord, un cessez-le-feu a été déclaré entre le gouvernement et les deux mouvements signataires. La Minusma a pour mission de superviser le respect de ce cessez-le-feu. Jusque-là, il est assez respecté. Il n’y a pas de belligérances entre les signataires. Nous continuons à aider l’administration malienne à se déployer dans le Nord, à aider à l’intégration des anciens combattants au sein de l’armée. Aujourd’hui, nous en avons plus de 2.000 qui font désormais partie des forces de défense et sécurité malienne. Nous sommes en train de voir comment les déployer dans le Nord, une zone qu’ils connaissent bien, afin qu’ils puissent contribuer à la lutte contre les terroristes.»
Sputnik : Quand on voit le mécontentement au sein de la population mais aussi dans les instances publiques, est-ce que cette recommandation d’aider à la mise en œuvre de l’accord de paix ne constitue pas, finalement, un passage en force ?
Mahamat Saleh Annadif : «Dans tous les cas, je ne connais pas une mission de paix des Nations unies qui était particulièrement aimée par le pays [de déploiement]. Les pouvoirs estiment, souvent, qu’on empiète sur leur souveraineté. Alors que les populations, qui voient les forces onusiennes circulant dans leur pays, s’estiment heurtées dans leur nationalisme. Ce sont des phénomènes qui existent et que nous essayons de les gérer. Mais dans l’état actuel des choses, une mission de paix des Nations unies permet à la fois de maintenir ce dialogue entre partenaires maliens, de les aider à bien organiser leurs élections, comme on l’a fait en 2018. Elle permet, surtout, que le Mali demeure toujours sur l’agenda international, qu’il ne soit pas oublié. Je dis souvent aux Maliens la chose suivante : aujourd’hui, il y a tellement de crises dans le monde. Alors faisons en sorte que la communauté internationale ne vous sorte pas de son agenda ! Parce que le Mali aujourd’hui a besoin de la communauté internationale.»
Sputnik : Y a-t-il quelque mauvaise volonté, de la part du gouvernement malien, dans l’application de l’accord de paix ?
Mahamat Saleh Annadif : «Nous constatons une lenteur. Elle peut s’exprimer par un manque de confiance entre les différents signataires. Nous sentons qu’il y a une bonne frange de la population qui n’a pas eu d’explications claires par rapport à cet accord. Le Centre et le Sud, particulièrement, ne se le sont pas encore appropriés. Certains estiment même avoir été exclus des conclusions qui ont abouti à l’accord. Ensuite, une fois signé, ils n’ont pas eu beaucoup d’explications. Ils se posent la question de savoir si c’était vraiment dans leur intérêt, ou s’il y avait uniquement une petite minorité du Nord qui leur a imposé un accord. Il reste encore des quiproquos sur ces questions. C’est la raison pour laquelle il y a eu, en 2017, une conférence d’entente nationale qui a permis que les gens discutent entre eux et se comprennent mieux. Un dialogue nationale inclusif est, en outre, en train de se faire et l’accord pour la paix a été inclus dans l’agenda de ce dialogue. J’ose croire, dès lors, qu’un débat permettra aux uns et aux autres de s’approprier cet accord qui, dois-je le rappeler, est pour la paix au Mali, pas uniquement pour le Nord.»

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