La police de New York collecte l’ADN de ses citoyens contre leur gré
Justyne Stengel source : Usbek et Rica
Les services de police de la ville de New York constituent depuis 2009 une base de données ADN de ses citoyens, rapporte le New York Times. Les échantillons sont parfois prélevés sans l’accord des personnes concernées.
Violences policières, affaires de corruption, racisme... La police de New York n'en finit pas de faire parler d'elle. Le New York Times a dévoilé jeudi 15 aoûtque les forces de l'ordre géraient et alimentaient une banque de données ADN riche aujourd'hui de 82 473 profils génétiques. Perçue tantôt comme un outil puissant pour combattre le crime, tantôt comme une dérive dangereuse pour les libertés individuelles, cette database est depuis deux ans en pleine expansion. Elle aurait augmenté de 29 %, notamment grâce à l'utilisation de moyens détournés, comme les prélèvements sur les gobelets ou les mégots de cigarettes offerts lors des interrogatoires. Créé en 2009 par l'Office of Chief Medical Examiner of the City of New York (OCME), elle est selon le New York Times « un exemple frappant de la capacité des départements de police à adopter une technologie de pointe, avec un minimum de contrôle. »
Actuellement, environ 31 400 profils génétiques proviennent de personnes innocentes, parfois simplement interrogées en tant que témoin, selon la Legal Aid Society. D'un point de vue légale, l'État de New York exige pourtant qu'une condamnation soit prononcée avant que l'ADN ne soit exploité dans une banque de données. Mais l'OCME, n'étant pas soumise à cette loi locale, profite d'un vide juridique. Pour se défendre, les auteurs du projet affirment que leur database est un outil puissant et efficace. Le procureur du district de Brooklyn a déclaré au New York Times avoir résolu plus de 270 affaires grâce à ce procédé, dont 10 homicides, 36 agressions sexuelles et 77 infractions en matière d’armes blanches et à feu.
Des abus de pouvoir ?
Les avocats et juristes spécialistes des libertés civiles pointent du doigt les techniques peu scrupuleuses employées par les forces de l'ordre pour recueillir leurs échantillons. Alors que la N.Y.P.D. reconnaît avoir obtenu « dans la plupart des cas » ses prélèvements avec le consentement des personnes concernées, plusieurs New-Yorkais ont affirmé au média américain avoir été menacés ou brutalisés.
Eric Bellamy, un homme de 39 ans, raconte que quatre détectives lui ont demandé, sans mandat, un échantillon de son ADN afin de l’éliminer d’une liste de suspects. Face à son refus, l'un des officiers se serait offusqué : « Si vous êtes innocent, quel est le problème ? » L'avocat Luis Ortiz assure, quant à lui, que la police a arrêté l'un de ses clients pour une infraction mineure, puis l’a maintenu enfermé pendant 24 h dans un commissariat du Queens. Il ne sera relâché qu'une fois avoir accepté de donner un échantillon de salive, dans le cadre d'une affaire qui ne le concerne pas. L’un des policiers lui aurait rétorqué : « Nous savons que ce n’est pas vous, mais nous voulons en être sûrs. »
En cas de refus, les agents de police n'hésitent pas à avoir recours à l'intimidation. Notamment en suggérant qu'ils pourraient « malencontreusement » perdre les documents relatifs au dossier des interrogés et ainsi entraîner un allongement de leur temps de détention. Une fois l'intégralité de leur génome inscrit dans la base de donnée, il est très difficile de le faire retirer. En 2018, l'OCME n'a supprimé que sept profils.
Une violation des libertés individuelles
Certains avocats spécialistes des libertés civiles affirment que les méthodes utilisées violent le quatrième amendement, notamment la section relative à l'interdiction des « perquisitions et saisies abusives ». Un principe fondamental de la Constitution des États-Unis. Selon eux, la police ne devrait pas être autorisée à recueillir l’ADN d’une personne sans raison valable, avec pour seul motif la suspicion d'illégalité. « Il s'agit essentiellement de dire : donnez-nous votre génome entier, même si nous n'avons aucune raison de croire que vous avez commis un crime », s'alarme Erin E. Murphy auprès du New York Times, professeure de droit à la New York University.
L'un des cinq bâtiments qui constituent l'OCME, à New York. (source : www1.nyc.gov)
Terri Rosenblatt, avocate à la Legal Aid Society, enfonce le clou : « Cette pratique qui consiste à prélever de l'ADN à partir des bouteilles d'eau et des cigarettes offertes lors des entretiens a totalement sapé la confiance du grand public dans la police. » Le chef des détectives du département de la police, Dermot F. Shea, s'est défendu lors d’une interview donnée au New York Times. Il affirme que les policiers s’engagent dans une stratégie légalement autorisée par les forces de l’ordre : « Nous ne collectons pas aveuglément de l'ADN. Nous l'utilisons comme mécanisme de recherche de la vérité car il est impartial. »
Cette base de donnée devrait compléter celles accumulées par les sociétés privées de test ADN. Ces kits en vente libre suscitent un engouement tel que 26 millions de personnes y auraient déjà eu recours. Malgré les accords de confidentialité, le FBI et la police californienne se sont déjà servis de ces immenses bases de données pour retrouver des criminels.
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