lundi 24 décembre 2018

Espagne : percée de l’extrême-droite, désillusion à gauche et abstention record des classes populaires

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Des élections régionales anticipées se sont déroulées début décembre en Andalousie, dans le sud de l’Espagne. Pour la première fois depuis la fin de la dictature franquiste, des élus d’un parti d’extrême-droite, Vox, vont siéger dans un parlement régional. Ni Podemos, ni le Parti socialiste espagnol n’ont réussi à générer « de l’envie et de l’espérance ». Décryptage.
Le parti d’extrême droite Vox s’est imposé comme la grande surprise des élections régionales anticipées en Andalousie début décembre. Avec près de 400 000 votes, il obtient 12 sièges et fait donc une entrée fracassante sur la scène politique andalouse et espagnole. Pour le Parti socialiste espagnole (PSOE) et sa leader jusqu’alors présidente de la région, Susana Diaz, c’est le fiasco. Si sa liste est arrivée en tête avec 27 % des suffrages, elle enregistre tout de même le plus bas score jamais réalisé dans ce bastion socialiste historique. Avec à peine 33 sièges, soit 14 de moins qu’en 2015, elle est loin de la majorité absolue de 55 sièges. La formation de gauche Podemos, issue des mobilisations citoyennes des Indignés de 2011, a déçu, n’arrivant qu’en 4e position avec 16 % des voix, et 17 sièges. Un score trop faible pour atteindre une éventuelle majorité en s’alliant avec le PSOE, ce qui aurait pu permettre à Podemos d’infléchir la politique vers des mesures de justice sociale.

Abrogation des lois sur l’égalité des sexes et promotion de la tauromachie

À droite, le Parti Populaire (PP) miné par les affaires de corruption connaît aussi une dégringolade importante et voit Ciudadanos (centre-droit) lui disputer la deuxième place. Mais avec 26 et 21 sièges, les deux formations sont également loin de la majorité. Ciudadanos qui jusqu’alors avait permis au PSOE de gouverner ne peut même pas envisager de rééditer cette alliance « au centre ». Vox, le parti d’extrême droite, et ses positions xénophobes, ultra-nationalistes, et homophobes, a séduit plus de 10 % des votants, soit 400 000 personnes. Il se retrouve ainsi en position d’arbitre ultime pour constituer une majorité à moins d’une entente improbable entre le PSOE, le Parti populaire et Ciudadanos.
Le leader national de Vox, Santiago Abascal, entend profiter de la situation et fait monter les enchères en préalable à tout accord. Il réclame en premier lieu la fermeture de la télévision autonome régionale Canal Sur, qu’ils accusent d’être au service du PSOE, et une réforme du statut de l’autonomie andalouse qui permettrait de rendre à l’État central les compétences sur la Santé et l’Éducation. Autre mesure symboliquement forte : en finir avec la loi sur la Mémoire historique qui a permis timidement à l’Espagne de revenir sur la guerre civile et la dictature franquiste. Santiago Abascal réclame aussi l’abrogation des lois sur l’égalité des sexes, la suppression de l’impôt sur les successions et la promotion de la chasse et de la tauromachie. La spécificité de Vox et de son ultra-nationalisme et d’avoir réussi à percer lors d’un scrutin régional avec un programme qui prévoit en fait la suppression des autonomies régionales.
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Vers une alliance droite-extrême droite ?

Le PP et Ciudadanos n’excluent pas, loin de là, de négocier avec l’extrême-droite. Pablo Casado, le leader national du PP, a même qualifié la possibilité de gouverner en Andalousie, y compris avec le soutien de Vox, de « grande opportunité que nous n’allons pas laisser passer ». Albert Rivera, le dirigeant national de Ciudadanos, considère de son côté « irresponsable d’écarter un quelconque scenario ». Rien de surprenant pour Nestor Salvador, du Syndicat andalou des travailleurs (SAT), qui rappelle les liens qui unissent ces trois formations : « Jusqu’en 2013 Santiago Abascal était un membre et un dirigeant du PP au Pays basque. Une grande partie des dirigeants de Ciudadanos provient également du PP. Les voir se parler, envisager de gouverner ensemble, n’est en rien une nouveauté. » Pour Eduardo Caliz, andalou et membre de la CUP (parti de gauche indépendantiste catalan), « Vox est l’enfant du Parti populaire ».
« Il est intéressant de noter, poursuit-il, que le Parti populaire et Ciudadanos n’ont toujours pas condamné le franquisme. Pour diverses raisons internes et électorales, ils se sont séparés mais l’idéologie portée par Vox était jusqu’à peu encore représentée à l’intérieur du PP. Il est donc logique de les voir négocier. » On n’aurait donc pas affaire avec Vox à l’émergence d’une extrême droite espagnole telle que dans d’autres pays européens, mais à une sorte de recomposition suite à la déliquescence et l’explosion du Parti populaire en divers mouvements. Loin d’être jusque là inexistante en Espagne, l’extrême droite était intégrée au PP, parti conservateur traditionnel.

« Le PSOE a contribué à la banalisation du message fasciste »

Pour Eduardo Caliz, membre du parti de gauche indépendantiste catalan, le PSOE porte aussi une responsabilité, « en ayant toujours reconnu le PP et Ciudadanos comme des adversaires démocratiques alors qu’ils sont encore dans le déni de la dictature franquiste et surtout parce que, depuis un an et les événements en Catalogne, le PSOE a contribué à la banalisation du message fasciste envoyé par Vox, en participant notamment aux mêmes manifestations que ce parti. » Même son de cloche chez Nestor Salvador, du Syndicat andalou des travailleurs qui, localement, reproche à « Susana Diaz d’avoir fait pratiquement la campagne de Vox en parlant d’eux à chaque meeting, en agitant le danger qu’ils représentaient et en prônant un vote utile comme seul leitmotiv de campagne ».
Si l’éclosion de Vox a suscité une onde de choc et d’incrédulité dans une région historiquement de gauche, l’analyse fine des résultats plaide malgré tout pour un transfert des voix du PP, une sorte de radicalisation des électeurs de droite les plus extrémistes, plutôt qu’un basculement des classes populaires. Ainsi, l’abstention a atteint un niveau record avec près de 43 %. Pour Nestor Salvador, cette abstention est le fruit d’un certain désenchantement : « Les électeurs de gauche n’ont pas vu en Podemos une réelle alternative, d’autant plus qu’ils se sont alliés avec Izquierda unidos (ancien parti communiste) qui avait gouverné avec le PSOE lors de la précédente législature. Ils ont donc préféré rester chez eux. »

« Aucun programme n’a su générer du rêve, de l’envie, de l’espérance »

« Les classes populaires ne sont pas allées voter. Elles ne se sont pas senties représentées par les différents partis de gauche et aucun programme n’a su générer du rêve, de l’envie, de l’espérance », ajoute Edouardo Caliz, du parti de gauche indépendantiste catalan. Pour lui, cela montre une fois de plus qu’il est impossible « de changer et de faire évoluer socialement le pays, et que les classes populaires puissent s’émanciper, dans le cadre de la constitution héritée du franquisme. Depuis la gauche, nous devons rompre avec ce franquisme institutionnel et constitutionnel. »
Les mouvements étudiants qui, à Madrid et ailleurs en Espagne, organisent des « referendums » sur la monarchie sont sans doute un motif d’espoir pour la gauche républicaine espagnole. Tout comme les manifestations spontanées qui ont rassemblé des centaines de milliers de personnes à Séville et Grenade pour crier leur désarroi face à l’émergence de Vox…
Stéphane Fernandez
Photo : © Eric Facon

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