Sept mois après la pollution radioactive des eaux souterraines du site nucléaire de Cruas en Ardèche, la cause de la fuite n’est pas identifiée. Des experts indépendants dénoncent le « manque criant de transparence » d’EDF.
C’est l’atome de tritium de trop qui a fait déborder le vase. Le 10 décembre, la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité), spécialisée dans la surveillance de l’activité nucléaire en France, a claqué la porte de la Commission locale d’information (CLI) de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse, en Ardèche. La raison ? Une série d’incidents à Cruas. Et notamment des fuites radioactives détectées le 15 mai dans la nappe phréatique, située juste en dessous des quatre réacteurs de 900 mégawatts (MW).
Cette importante réserve d’eau relie directement, via un réseau de galeries souterraines, le Rhône. Des équipes d’EDF, l’opérateur de la centrale, y avaient alors relevé des taux anormaux de tritium, la forme radioactive de l’hydrogène, extrêmement nocive pour la santé. Trois mois plus tard, une autre fuite, d’hydrocarbures celle-là, est elle aussi repérée dans la même nappe.
Des incidents qui malheureusement font écho à de nombreux autres, pour lesquels EDF a déjà été condamné par la justice. Plusieurs procès sont également en cours après des plaintes déposées, entre autres, par la Criirad. Créé en 1986 après la catastrophe de Tchernobyl en Ukraine, ce laboratoire dénonce un « manque criant » de transparence. « Les réunions au sein de la CLI sont une mascarade. », s’insurge Sylviane Poulenard, l’administratrice de la Criirad. « C’est plus de la communication que de l’information. » Les derniers incidents pourraient pourtant avoir des conséquences désastreuses sur la santé des riverains, ainsi que sur l’environnement.
 Centrale-nucléaire-de-Cruas-MAP

 L’eau qui alimente la cantine des salariés contaminée

« Les résultats font mention de concentrations vingt fois supérieures à la normale ! », s’emporte Roland Desbordes, physicien de formation, président de la Criirad de 1997 à 2017. « Soit 190 becquerels (NDLR : l’unité de radioactivité) par litre, au lieu des 10 habituellement constatés. » Pire, l’association s’offusque que la contamination ait touché l’eau qui alimente la cantine des salariés et des sous-traitants alors que, rappelle-t-elle, le circuit d’eau destinée à la consommation doit être indépendant.
« Cela explique pourquoi EDF a traîné des pieds avant d’informer l’Autorité de sûreté nucléaire (NDLR : l’ASN, le gendarme du secteur) du problème, dénonce encore l’ancien président de la Criirad. Nous-même, comme l’ensemble des habitants des environs de la centrale, nous avons été informés par la presse locale. Un comble ! ».
Centrale nucléaire EDF de Cruas-Meysse
Centrale nucléaire EDF de Cruas-Meysse

 « Sans conséquence », selon la direction d’EDF

EDF a averti le 22 mai – soit une semaine après que la fuite a été repérée – l’ASN qui a fait une première inspection le 30 mai. Au siège de l’électricien à Paris, on tente de minimiser. « La légère augmentation de la présence de tritium dans les eaux souterraines de la centrale est sans conséquence environnementale, ni sanitaire, explique la direction. Les mesures relevées sont très largement inférieures au seuil de potabilité défini par l’Organisation mondiale de la santé, qui est de 7 800 becquerels par litre. »
Le groupe admet néanmoins que « par mesure conservatoire », la consommation de l’eau a été suspendue dès le 17 mai. « Il faudrait boire 200 litres d’eau du robinet chaque jour pendant un an. », assure toutefois EDF, « pour ingérer l’équivalent de l’exposition d’une radio thoracique. Ou encore de dix trajets Paris-New York en avion. »
Des chiffres que réfute Roland Desbordes. « EDF fait référence à une norme très ancienne sur le tritium. », dénonce-t-il. « Cela relève du mensonge. La réglementation européenne applicable en France depuis 2015 fixe le seuil légal à 100 Bq/l. Ce qui est encore trop. Le Canada, par exemple, préconise pas plus de 20 Bq/l. »

Une simple histoire de plomberie ?

Demeure un autre problème : comment du tritium radioactif, provenant de l’activité des réacteurs nucléaires a-t-il pu se retrouver dans le sous-sol d’une centrale ? « Concernant Cruas, l’enquête est encore en cours. », indique EDF. « Mais la fuite pourrait provenir de la défaillance de pompes chargées d’évacuer des effluents, ainsi qu’une mauvaise étanchéité d’un puis. » Une simple histoire de plomberie, donc ?
« Ces explications sont fumeuses. », estime l’ancien patron de la Criirad. « On peut comprendre que des pompes tombent en panne. Mais pas que cela contamine une nappe d’eau souterraine reliée de surcroît à un fleuve. »
Centrale nucléaire EDF de Cruas-Meysse
Centrale nucléaire EDF de Cruas-Meysse
 Source :