Le CETA n’est pas constitutionnel, assurent des juristes
15 février 2017 / Martin Bodrero (Reporterre)
Le traité d’Accord économique et commercial global avec le Canada, dit CETA, doit être adopté ce mercredi 15 février par le Parlement européen à Strasbourg. Mais selon un groupe de professeurs en droit constitutionnel, l’accord CETA n’est pas compatible avec la Constitution française.
Selon plusieurs juristes, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, le CETA, n’est pas compatible avec la Constitution de la République française. Plusieurs associations (Foodwatch, l’Intitut Veblen et la Fondation Nicolas Hulot) ont publié lundi 13 février une étude qui l’explique.
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Dominique Rousseau est professeur de droit constitutionnel à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Il est l’un des auteurs de cette analyse. D’après lui, « Il existe un risque très fort de voir le conseil constitutionnel retoquer ce texte ». En effet, le CETA mettrait en cause des « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale », et « selon la Constitution, la France ne peut ratifier un traité qui modifie ou limite les conditions d’applications de cette souveraineté ».
La raison principale en est, selon Laurence Dubin, professeur de droit à l’université Paris 8 Saint-Denis et co-auteur de l’analyse, que « le CETA touche au fonctionnement même de la démocratie et à la capacité des États à réguler de manière souveraine sur leur territoire ».
Le CETA est un traité contraignant, c’est-à-dire qu’il impose aux États les décisions prises par les institutions qu’il met en place. Les pouvois qu’exerceraient ces nouvelles structures seraient incompatibles avec la Constitution, selon les juristes.
- Pour le juriste Dominique Rousseau, « le CETA menace la souveraineté de la France »
Le traité prévoit de créer plusieurs nouvelles instances. A commencer par une dizaine de comités. Ils sont composés de représentants des administrations de l’Union Européenne et du Canada mais ne comprennent aucun membre directement issu des États membres de l’Union. Les députés européens, les seuls membres de l’UE élus au suffrage universel, n’y sont pas non plus représentés.
« La plupart de ces comités sont dédiés à un domaine précis comme les entreprises de services ou le contrôle des mesures sanitaires » détaille Dominique Rousseau. « Parmi eux, l’instance principale est appelée comité mixte. Elle est capable d’interférer dans l’exercice du pouvoir des États membres et des instances de l’Union Européenne. » Sur le plan législatif le comité mixte peut réclamer la promulgation de nouvelles mesures ou l’abrogation de loi votées par les parlementaires en s’appuyant sur la caractère contraignant du CETA. Si les États ou les entreprises ne se conforment pas à ces injonctions, le comité peut saisir un tribunal international spécial pour obtenir des sanctions. « C’est une contrainte sur la fonction législative du Parlement français », explique Dominique Rousseau
En cas de conflit, c’est le tribunal créé par le CETA qui décidera si les lois votées par un État de l’Union sont compatibles ou non avec le traité. Si ce n’est pas le cas, ce tribunal pourra infliger, à l’image de ce que peut faire la Commission européennes aujourd’hui, des amendes aux États ou aux entreprises qu’il estime être en infraction avec les règles de l’accord.
« Le risque qu’encourt un État d’avoir à payer des indemnités très importantes en cas de plainte d’une entreprise ou du comité mixte, voire la simple peur d’être entrainé dans une longue et couteuse procédure, peut dissuader les autorités nationales de promulguer certaines lois », estime Dominique Rousseau.
De plus, en cas de litiges entre acteurs privés, ces nouvelles institutions ne pourront être saisies que par les compagnies non-européennes. Les entreprises du vieux continent resteraient soumises aux lois de leur pays d’origine. Elles ne pourront engager des recours qu’auprès de la justice de leur propre pays. Pour Karine Jacquemart directrice de l’association Foodwatch, « cela remet en cause le principe d’égalité de tout les citoyens devant la loi française et introduit une voie de droit spéciale pour les investisseurs étrangers. C’est un avantage par rapports aux entreprises françaises. »
Une mise en cause du principe de précaution
- A Strasbourg, ce 15 février : « Dire oui au CETA, c’est piétiner les gens »
Autre problème, le principe de précaution. En France il est inscrit dans la Constitution depuis 2005. « C’est un principe crucial, que le CETA ne garantit absolument pas », explique Dominique Rousseau. Une entreprise voulant vendre des OGM à la France par exemple, pourrait contester l’interdiction actuellement en vigueur, au nom du principe de précaution, auprès du tribunal du Traité et peut-être obtenir la vente de son produit malgré les réglementations françaises.
Enfin, l’analyse pointe le caractère anticonstitutionnel de la clause de dénonciation du traité, lorsqu’un État décide de se retirer d’un accord international. Dans le cas du CETA, explique Dominique Rousseau, « ce qui est prévu dans l’accord, c’est qu’il continue à s’appliquer pendant 25 ans même si votre pays s’en retire. Cela bafoue l’exercice de notre souveraineté nationale et nous obligerait à modifier la Constitution. »
Sur la base de cette analyse, Foodwatch espère que le Conseil constitutionnel français va être saisi avant la fin du mois. D’autant qu’il y a urgence : le 27 février, les travaux du Sénat et de l’Assemblée nationale seront suspendus en attendant les élections législatives prévues au mois de juin. La ratification du traité pourrait donc être repoussée à l’automne. Mais d’ici là, « au moins 90% des nombreuses mesures du CETA pourront entrer en application de manière provisoire » sur le sol français, prévient Karine Jacquemart.
Cependant, Foodwatch ne peut pas agir seul, car les citoyens ne peuvent se saisir directement du conseil constitutionnel. Cette prérogative est réservée aux Présidents de la République, du Sénat, de l’Assemblée nationale, ainsi qu’au Premier ministre ou à un groupe d’au moins 60 parlementaires. Foodwatch compte donc sur les députés et sénateurs. Signe encourageant, en septembre dernier, 102 députés avaient signé une lettre ouverte à François Hollande pour réclamer le report de l’application du traité.
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