La belle réussite d’une industrie qui prend soin de ses salariés et de l’environnement tout en créant des emplois
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A l’heure où le « coût du travail » devrait être réduit, la santé des salariés négligée et les « contraintes » écologiques combattues, Pocheco, une PME industrielle du Nord, prend le chemin inverse : celui d’une économie qui place l’écologie, l’humain et les investissements avant les profits et les dividendes. L’usine de production d’enveloppes est devenue un modèle de transition. Les produits chimiques nocifs ont disparu des ateliers, la hiérarchie s’est allégée, les bâtiments on fait peau neuve. Résultat : l’entreprise se porte bien et diversifie ses activités, pour faire face à l’avenir et préserver ses emplois. Ici, pas de managers aux techniques oppressives, pas de délocalisation ni de course à la rentabilité sans fin. Reportage.
À l’entrée des ateliers de Pocheco, le bruit des machines résonne comme dans n’importe quelle usine. Mais il n’y a pas d’odeur. Dans cette usine de production d’enveloppes, dans le village de Forest-sur-Marque, à une quinzaine de kilomètres de Lille, aucune odeur chimique n’agresse l’odorat. Dans les allées de stockage des encres non plus. « Avant, cette zone sentait tellement fort les solvants que nous étions obligés de la fermer », raconte Kévin Franco, salarié de Pocheco. Aujourd’hui, les encres utilisées sur les enveloppes produites ici ne contiennent pas de produits chimiques. « Ce sont des encres à l’eau, avec des pigments naturels. »
Quand, à la fin des années 1990, l’actuel patron de Pocheco, Emmanuel Druon, en a pris les rênes, c’est par les encres que la transition de cette entreprise spécialisée dans la production d’enveloppes a commencé. « En 1997, l’entreprise avait des difficultés financières, écologiques et sociales. Les travailleurs étaient exposés à des produits nocifs, des fûts de produits chimiques étaient même enterrés autour de l’usine. L’intégration au village était mauvaise, comme l’ambiance à l’intérieur de l’entreprise. Les liens entre les services étaient peu nombreux », décrit Kévin Franco.
L’écologie, à long terme, « c’est moins cher »
Kévin Franco est arrivé 2010 dans l’entreprise, comme stagiaire, pour mener une étude d’impact des produits utilisés sur l’environnement. Puis il travaille au service de la logistique, à la maintenance, et à la production. « Quand quelqu’un arrive dans l’entreprise, quel que soit son métier, il passe en général par la production », précise le salarié. Ensuite, le jeune homme a pris en main l’une des nouvelles activités développées par l’entreprise : un bureau de conseil en transformation environnementale. « Nous essayons de partager ce qu’on a fait, notre méthode de transformation, de réflexion. »
Cette entreprise de 130 employés, logée sur le site d’une ancienne usine textile au sein de bâtiments du 19e siècle, est devenue un modèle de transition industrielle soutenable. Tout en créant une trentaine d’emplois depuis 2008 ! Pocheco a même fait l’objet d’une séquence du documentaire Demain, qui a dépassé le million de spectateurs. « Quand nous faisions appel à des bureaux de conseil pour nos projets de transformation, on nous répondait toujours “ce n’est pas possible, ce sera trop cher”, souligne Kévin Franco. Ce qu’on leur expliquait, c’est que nous raisonnions sur cinq à dix ans et qu’à long terme, ce serait moins cher. De toute façon, pour nous, l’environnement était aussi important que le coût. Aujourd’hui, le rôle du bureau d’étude, c’est de montrer que ça fonctionne. »
Quelle est cette recette Pocheco ? Comment une usine du nord de la France, sinistré par la désindustrilaisation, sur un marché, celui de l’enveloppe et du courrier, qui sembler appartenir au passé, est-elle devenue une référence sur le plan écologique et humain ? « Quand Emmanuel Druon est arrivé, il a constitué une équipe autour de lui, qui a décidé qu’il fallait prendre systématiquement en compte l’environnement et le bien-être des salariés dans les développements futurs de l’entreprise. Qu’à chaque étape d’investissement, ces critères devraient être respectés », raconte Kévin Franco.
« Nous ne voulons plus de plastique à l’horizon 2020 »
Conséquence directe de ce choix, alors radical : Pocheco transforme ses filières de production. « Nous avons associé nos fournisseurs, pour adopter des produits plus écologiques, puis nos clients, pour leur faire accepter cette transformation. » Le pari environnemental marche aussi auprès des clients. « Au moment de la transition, ce qui m’a aidé à vendre nos produits, c’est notre différence. Sur le plan environnemental, nous donnions du sens. Nous avons débanalisé le produit de l’enveloppe et inversé la tendance », témoigne Aline Assimacopoulos. Commerciale, cette dernière travaille à Pocheco depuis dix-huit ans. Elle a suivi le processus de transformation et fait aujourd’hui partie du comité de pilotage de l’entreprise. Celui-ci, composé de trois femmes et trois hommes, a remplacé l’ancienne hiérarchie de l’entreprise. Il a pour rôle à la fois d’impulser le développement de l’entreprise, et de repérer les talents et les projets à faire émerger au sein de l’équipe.
« Avant, le fond des enveloppes était complètement encré, et sa fenêtre était en plastique, raconte la commerciale. Nous avons développé une nouvelle norme, avec un fond partiellement encré et une fenêtre en papier. » L’enveloppe est ainsi plus économe en encre et plus écologique. « Nous avons réussi à faire changer les habitudes auprès de nos clients, parce qu’à terme, c’est aussi moins cher pour eux. Maintenant, à 95 %, nos clients ont des enveloppes comme celles-ci, se réjouit la commerciale. J’ai aujourd’hui deux collègues chargés de développer ce type d’enveloppes en Allemagne et en Espagne. » Une entreprise peut ainsi être moteur dans la mise en place de normes plus écologiques, plutôt que de les considérer comme de coûteuses et bureaucratiques contraintes. « À Pocheco, nous ne voulons plus de plastique dans les enveloppes à l’horizon 2020 », annonce Aline Assimacopoulos.
Même le système de conditionnement des enveloppes a changé. L’entreprise a abandonné les cartons à charger et décharger, qui étaient ensuite jetés, pour adopter un dispositif de cylindres sur lesquels les enveloppes sont enroulées. Les clients déroulent ces cylindres et les renvoient à Pocheco. L’entreprise livre ainsi ses produits sans générer de déchets. « Cela rend aussi le déchargement moins difficile physiquement, et ce système apporte 15% à 20% de gains de productivité », précise Kévin Franco.
Toitures végétalisée, panneaux solaires et pompes à chaleur
Une fois les premières économies engrangées grâce aux nouvelles procédures industrielles, Pocheco s’est attelé à ses bâtiments. Aujourd’hui, les bureaux comme les ateliers ont une toiture végétalisée. La cuve de réserve d’eau – obligatoire pour faire face au risque d’incendie – est elle aussi entièrement recouverte de végétation. 1 500 m2 de panneaux solaires couvrent les ateliers. Quant à l’ancien système de chauffage, il a été remplacé par un dispositif de pompage de la chaleur produite par les machines et par une chaudière à bois, sans gaz. Dans un bâtiment mitoyen, tout juste rénové, le chauffage est intégralement assuré par la chaleur des machines. Et même en janvier, il y fait chaud ! « Il reste encore un bâtiment à rénover, qui date de 1848 », signale Kévin Franco. Les travaux sont imminents.
Pour assurer les emplois et continuer à se développer, Pocheco mise sur la diversification de ses activités. Les visites du site en font partie. Lycéens, ou salariés d’une grande entreprise énergétique : l’entreprise accueille deux à trois groupes par semaine. « Nous ne pouvions plus nous permettre de le faire gratuitement », précise le salarié. Ouvert, le bureau d’étude que dirige Kévin Franco, est lui aussi devenu une activité à part entière. Lancé il y a cinq ans, il a depuis suivi 400 missions de conseils. Avec ses huit salariés, il accompagne les collectivités dans leurs programmes de rénovation énergétique et écologique du bâti, et les entreprises dans l’éco-conception des produits et la gestion énergétique de leur site.
Pérennité de l’emploi
« La stratégie ici, c’est avant tout la pérennité de l’emploi. Il faut donc réfléchir au maintien de l’activité si le marché de l’enveloppe disparaît. Le bureau de conseil est une voie. Mais c’est sûr que ce ne sera pas pour tout le monde, reconnait Kévin Franco. Nous essaierons peut-être de créer une équipe de travaux intégrée avec le bureau. » « Il y a beaucoup de personnes qui travaillent ici qui n’ont pas fait d’études, qui ont appris les métiers sur le tas », souligne Aline Assimacopoulos. Pocheco souhaite aussi diversifier ses activités industrielles. L’entreprise propose un service de massification du courrier à ses clients : elle récupère leurs courriers, les regroupe, les met sous pli, les affranchit et les livre en gros à la poste, ce qui permet aux clients de bénéficier d’un tarif du timbre plus avantageux. Quinze personnes travaillent déjà à cette activité. La PME a investi pour cela dans de nouvelles machines de tri et d’affranchissement.
« Nous avons des fonds propres solides, donc un accès facile aux prêts bancaires, explique Aline Assimacopoulos. Grâce à cela, nous pouvons investir à moyen et long terme sur de tels projets. Nous nous donnons du temps. Que nous pouvons prendre parce qu’on ne nous demande pas une rentabilité exponentielle. » « Chez nous, l’argent est un moyen d’entreprendre, pas de faire des profits », insiste la commerciale. En 2008, Emmanuel Druon a racheté Pocheco au groupe Le Particulier, fondé par son grand-père. L’ancien manager qui travaillait dans une grande entreprise de cosmétiques est alors devenu le seul actionnaire de cette société par actions simplifiées (SAS). Pocheco n’a donc pas l’obligation de distribuer des dividendes, et reste libre d’orienter ses investissements vers n’importe quel horizon.
Diversification... dans la culture des pommes et des pleurotes
Plusieurs innovations sont des plus inattendues. La société a acheté un terrain agricole de 2 000 m2 pour y développer une activité de permaculture, lancée il y a un an. Deux personnes ont été embauchées, avec comme objectifs de produire et de devenir un centre de formation. « En parallèle, nous avons le projet d’installer une cantine bon marché sur le site, où l’on cuisinerait les produits de nos propres terrains », rapporte Antoine Bocquet, qui gère le projet de permaculture. Avant, il travaillait pour un producteur de plantes aromatiques. « C’était un agriculteur qui faisait tout en chimique. Je ne trouvais pas ça satisfaisant. Alors, j’ai commencé à regarder du côté de la permaculture, et j’ai rencontré Emmanuel qui m’a parlé de ce projet. » Comme dans le reste de l’entreprise, la hiérarchie est réduite au minimum : « Je travaille en autonomie. Je suis comme mon propre patron, c’est comme si je m’étais installé à mon compte, mais avec un salaire à la fin du mois ! »
Un verger conservatoire d’espèces locales a déjà produit ses premières pommes, « excellentes » selon Kévin Franco. Et à l’intérieur de la cuve de réserve d’eau, Antoine Bocquet a commencé il y a quelques mois à faire pousser des pleurotes. Évidemment, comme pour les encres des enveloppes, sans aucun produit chimique.
Rachel Knaebel
Photo de l’équipe : Pocheco.
Autres photos : Laurent Mayeux Photographies.
Autres photos : Laurent Mayeux Photographies.
Le site de Pocheco
Les livres d’Emmanuel Druon, le patron de Pocheco :
Écolonomie, entreprendre sans détruire.
Le Syndrome du poisson lune.
Écolonomie, entreprendre sans détruire.
Le Syndrome du poisson lune.
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