Comment Volkswagen vend des produits financiers toxiques avec l’aval de la Banque centrale européenne
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Volkswagen ne fabrique pas seulement des voitures. Le groupe possède aussi une banque, destinée à fournir des crédits pour acheter ses voitures. Et cette banque produit ensuite des produits financiers : des petits paquets de crédits automobiles revendus par Volkswagen à des investisseurs, en échange de leurs capitaux. Un mécanisme bien huilé, qui a même le soutien de la Banque centrale européenne. Celle-ci a lancé une vaste opération d’achat de ces produits financiers ! Mais le scandale des fraudes sur les niveaux d’émissions des voitures diésel fait capoter la machine, et la valeur de ces produits financiers chute. Ou comment un scandale en cache un autre.
Les banques ont considérablement réduit leurs prêts aux ménages et aux entreprises, en particulier les PME, ces dernières années. Alors « super » Mario Draghi, le directeur de la Banque centrale européenne (BCE) a eu une idée formidable : encourager les banques à relancer la titrisation et donc la création de produits financiers structurés – les mêmes qui ont mené un grand nombre de banques au bord de la faillite en 2008 et qui nous ont coûté cher quand il a fallu les sauver. Mais pourquoi faire une telle chose, demanderez-vous bien naïvement ? On pourrait effectivement croire que le pauvre Mario souffre de surmenage et aurait bien besoin de (longues) vacances...
Que nenni ! Depuis l’année dernière, la BCE propose aux banques qui ont besoin de liquidités (et elles en ont un besoin insatiable) de lui déposer leurs produits structurés en collatéral (c’est-à-dire en garantie), afin d’obtenir du financement qu’elles pourront ainsi proposer à leur tour à leurs clients – ménages et PME en priorité bien sûr ! Financement que les banques obtiennent, au passage, à un taux de 0,05 %, le taux actuel de la BCE, sans faute de frappe, vous avez bien lu : c’est bien entre 80 et 100 fois moins cher que ce que vous payez pour le crédit de votre Volkswagen.
Volkswagen, justement ! Cette même entreprise qui vient de se faire prendre la main dans le sac, en train de berner la Terre entière en trichant – négligemment, bien entendu – sur les taux d’émission réels de particules fines et de CO2 de ses véhicules diesel et à essence... Comme toute grande entreprise qui se respecte, Volkswagen dispose de sa propre banque : Volkswagen Financial Services, qui lui permet de proposer directement des crédits à ses clients. Donc Volkswagen vend des voitures à crédit à ses clients, puis, sous les bons conseils de la BCE, fait des produits structurés avec ces crédits. C’est-à-dire des petits paquets de crédits comprenant chacun différents niveaux de risque, que l’on appelle des ABS (pour Asset Backed Securities), des titres adossés à des actifs, et qu’elle revend à des investisseurs. Cela lui permet d’obtenir du financement de la part de ces investisseurs, et donc de proposer plus de crédits à ses clients et ainsi de vendre plus de voitures. Et donc de faire plus d’ABS, qu’elle peut vendre à des investisseurs, qui lui apporteront plus de financement... Bref, vous avez compris, et si vous avez encore un doute, vous pouvez aller jeter un œil au schéma ci-dessous.
Avant le scandale
Mais ce n’est pas tout ! Depuis le mois de janvier, la BCE a lancé un vaste programme de rachat de titres de dette souveraine, de covered bonds (obligations sécurisées) et d’ABS : le quantitative easing. Tous les mois, la BCE rachète pour 60 milliards d’euros de ces titres et produits structurés, et elle continuera de le faire au moins jusqu’en septembre 2016. L’objectif, encore une fois, est de permettre aux banques de dégager de leurs bilans ces titres de dette et autres produits structurés, afin de leur permettre de faire du crédit aux ménages et aux entreprises. Donc depuis un moment déjà, la BCE achète des ABS Volkswagen. Et Volkswagen étant le deuxième plus gros émetteur d’ABS en Europe, tous secteurs confondus, la BCE peut potentiellement en acheter beaucoup.
Il faut les comprendre, aussi, Volkswagen et ce pauvre Mario ! Avant que le scandale Volkswagen n’éclate, en septembre 2015, les ABS automobiles de chez Volkswagen, ça se vendait comme des petits pains aux investisseurs, à tel point qu’ils étaient considérés comme de l’équivalent cash ! Pour vous donner un exemple, le lendemain du jour où le scandale a éclaté, Volkswagen émettait pour 800 millions d’euros d’ABS espagnols, qui ont reçu un accueil très chaleureux sur les marchés. Alors que dans le même temps, le cours de son action dégringolait [1]. Les ABS automobiles sont donc réputés pour être un investissement très sûr, puisqu’ils reposent sur un énorme parc automobile, un marché de plusieurs millions de clients.
Les marchés commencent à se méfier des produits financiers de Volkswagen
Seulement maintenant, avec cette sale histoire d’émissions de particules fines et de CO2 et le rappel potentiel de plus de 11 millions de véhicules (dont une bonne partie ont été achetés à crédit, eux-mêmes transformés en titres adossés à des actifs, en ABS) qui entachent la belle réputation de Volkswagen, les marchés financiers et les agences de notation, ces fourbes, commencent à se méfier des produits financiers de la marque allemande... Même la BCE s’y met, puisqu’elle a déclaré qu’elle arrêtait d’en acheter à la fin du mois de septembre (ce qui est bien la preuve qu’elle en achetait avant, pour les plus sceptiques). Et les consommateurs, ces girouettes, pourraient bien eux aussi se détourner de la marque, rendre leur voiture prise en leasing, voire carrément intenter des procès ou des recours collectifs pour la vente de voitures sous des conditions mensongères.
Par exemple, dans le cadre de la vente des 800 millions d’euros d’ABS espagnols en septembre, les clients qui se sentent floués par le scandale qui éclate, alors qu’ils sortent tout juste de chez le concessionnaire avec leur belle voiture toute neuve et qui ne pollue presque pas – s’imaginent-ils – pourraient se sentir le droit de réclamer que la voiture soit réparée, voire carrément remplacée ! Les termes du contrat n’ayant pas été respectés, il n’est pas hasardeux d’imaginer que Volkswagen pourrait se retrouver rapidement dans une situation... inconfortable. Et ce n’est pas tout ! Voilà que dix clients belges viennent d’intenter un procès à Volkswagen, parce qu’ils estiment que malgré la réparation de leur voiture, l’affaire aura des répercussions sur la valeur de leurs véhicules sur le marché de l’occasion !
Une sombre perspective pour la marque automobile, puisque les ABS sont adossés à la valeur même de ces véhicules. Le niveau de risque sur les ABS de Volkswagen évalué par les agences de notation a ainsi doublé depuis fin septembre, et leur valeur a considérablement chuté [2].
Voilà donc le genre d’activités que soutient la BCE. Du moins jusqu’à ce que les scandales éclatent. Car selon des échanges de courriers obtenus par le Financial Times [3], de hauts responsables européens étaient au courant depuis 2013 des mensonges de Volkswagen sur les taux d’émission de CO2 sur ses véhicules.
Après le scandale
Éric Toussaint, porte-parole du CADTM International, maître de conférence à l’université de Liège, Pierre Gottiniaux, permanent CADTM Belgique.
Texte initialement paru sur le site du CADTM, Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde, réseau international de lutte pour l’abolition de la dette des pays du Sud.
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