La CIA était-elle en action à Marioupol durant le printemps 2014
Marioupol, l’agitation est à son comble au début du printemps 2014. La ville est en effervescence alors que s’approche à grand pas une force militaire envoyée par Kiev sous le commandement du député ultranationaliste Oleg Liachko. Des troupes ukrainiennes appuyées par des bataillons de représailles sont en route pour la ville qui connaît la même agitation que toutes les villes de l’Est de l’Ukraine à cette époque. Avant le massacre d’Odessa, le choc du Maïdan avait déjà sévèrement inquiété les populations sur la manière dont l’Ukraine allait les traiter. Des manifestations éclatèrent et embrasèrent la ville, l’approche de la fête de la Victoire contre l’Allemagne nazie qui venait d’être interdite en Ukraine fut la goutte qui fit déborder le vase de l’opinion publique.
C’est Anastasia qui se trouve avec nous pour nous raconter son expérience personnelle de cet épisode. Elle et son mari étaient de paisibles habitants de Marioupol. Ils avaient un petit garçon, un appartement, une voiture et vivaient tranquillement. Son mari, Andreï avait toutefois vite compris ce qu’il allait se passer. En avril, lui et quelques amis se réunissaient pour s’organiser. Dans leur esprit, ils ne pouvaient laisser faire, ils ne pouvaient se résoudre à laisser les activistes du Maïdan propager des idéaux directement inspirés du nazisme et de l’ultranationalisme. Il comprit vite que la prochaine étape serait de faire d’eux des sous-hommes, de les persécuter pour leur langue maternelle, leur appartenance ethnique et leur religion. Ils étaient même décidés à prendre les armes s’il le fallait, mais ils n’étaient que de simples citoyens. Anastasia raconte :
« Des milliers de gens étaient déjà dans la rue en avril, les manifestations étaient nombreuses. Et puis soudainement nous avons appris que des soldats ukrainiens arrivaient. Nous étions vraiment nombreux dans la rue, nous n’avions pas d’armes. Ils sont arrivés avec des véhicules blindés et ont attaqué la foule. Je ne peux pas dire combien de gens ont été tués dans la rue, à mon avis des dizaines, plusieurs centaines, j’ai vu moi-même un jeune homme qui s’est placé devant un engin blindé. Il ne voulait pas bouger, les soldats ukrainiens l’ont sommé de dégager le passage, à la troisième sommation, ils l’ont abattu d’une rafale. C’était le chaos dans la ville, les forces ukrainiennes étaient composées de soldats, du bataillon Azov, de policiers du SBU et de milices paramilitaires des partis fascistes. C’était le 9 mai 2014. Ils ont déblayé les rues des barricades, tué beaucoup de gens et sont arrivés jusqu’au commissariat central. Là, le chef de la Police dont je ne me souviens plus le nom avait reçu l’ordre de participer aux répressions. Une centaine de policiers qui étaient ici ont refusé de participer aux fusillades contre leur propre peuple, alors l’homme a ouvert le feu sur eux avec son pistolet. Les soldats qui se trouvaient dans Marioupol étaient contre le régime de Kiev, mais par discipline militaire ils n’ont pas voulu se battre contre les soldats de la Junte, ils ont toutefois désobéi et la plupart ont déserté et se sont enfuis, qui en Russie, qui en Biélorussie ou ailleurs ».
« Après ce massacre dont personne n’a parlé dans le Monde, mon mari et moi nous sommes entrés résolument en résistance. Avec des amis nous avons tenté de nous armer, de rassembler des fonds. Un groupe de Tziganes nous a conduits à la sortie de Marioupol, près d’un pont où les Ukrainiens exécutaient des prisonniers, il y a un charnier à cet endroit qui doit toujours s’y trouver. Mais rapidement les forces de répression ukrainiennes se sont mises au travail, les arrestations se sont multipliées et ils sont arrivés à nous le 14 juin 2014. J’avais repéré un véhicule inhabituel dans la rue, alors je suis descendue avec mon petit garçon, il jouait et je fumais une cigarette. Une voiture est arrivée à toute vitesse, un colonel du SBU à visage découvert est descendu de la voiture avec quatre hommes cagoulés. Ils m’ont empoigné, les quatre soldats ne parlaient pas russe ou ukrainien mais anglais, je ne sais pas dire quel accent ils avaient, s’il s’agissait d’Américains, d’Anglais ou de Canadiens. Ils m’ont intimé l’ordre d’ouvrir la porte, mais je n’avais pas pris la clef, j’ai fait l’idiote. Alors le colonel s’est emparé de mon fils et m’a menacé de lui faire du mal. Je répondais du tac au tac, alors ils ont pénétré dans l’immeuble en brisant les vitres d’un appartement du rez-de-chaussée et en brisant tout sur leur passage. Ils ont tenté d’enfoncer la porte de notre appartement, ils n’avaient pas compris qui j’étais. N’y réussissant pas, ils ont menacé à nouveau de tuer mon fils ou moi-même, les voisins. Alors mon mari a ouvert la porte. Tout a été très vite ensuite, ils ont retourné l’appartement, pris tout notre argent et l’ont embarqué »
« Avant de partir, ils m’ont dit qu’ils viendraient m’interroger bientôt, mais j’ai décidé de m’enfuir immédiatement. Il me restait 200 grivens dans mon sac (environ 8 euros), j’avais mes papiers et ceux de mon fils, j’ai pris quelques affaires pour mon petit garçon et je suis allée à la gare routière. Là-bas, il y avait des policiers et des forces de représailles dans tous les coins. J’ai trouvé un bus pour Rostov, je n’avais pas l’argent pour payer le voyage, mais le chauffeur a immédiatement compris ma situation, sans dire presque un mot, il m’a dit d’aller m’asseoir dans le bus et nous sommes partis. Je suis arrivée à Rostov, puis je suis partie dans une autre ville de Russie mais je n’ai jamais douté que mon mari reviendrait. Alors j’ai décidé d’aller à Donetsk, je n’avais pas de famille là-bas, ni en Russie, les miens sont en Ukraine, alors je me suis dit que mon mari me chercherait d’abord à Donetsk. J’ai fait comme j’ai pu, j’ai finalement avec l’aide de gens et des autorités pu trouver un logement, une école pour mon garçon, un travail et j’ai attendu dans la fièvre. Mon mari a été libéré par échanges de prisonniers au mois d’août 2015. Il a passé 14 mois au secret dans des conditions inhumaines. Ils l’ont torturé d’horrible manière et son témoignage à lui seul est effrayant. Il ne peut vous rencontrer pour l’instant, il s’est engagé dans les forces armées de la République de Donetsk. La question ne s’est même pas posée, il m’a dit : « et toi si nous n’avions pas d’enfant qu’aurais-tu fais ? », j’ai répondu que je me serais engagée dans l’Armée aussi. Je dois partir, j’ai encore d’autres choses à dire, dites-leur en Europe, qu’ils sachent, ce qui se passe et s’est passé en Ukraine est inimaginable, criez-le fort ! ».
Nous sortons du café où s’est déroulée l’interview. Mon retour aux bureaux sera sombre, car même dans ce long article, je n’ai pas raconté toutes les scènes d’horreurs et de crimes auxquelles cette famille a assisté. Il m’aura été interdit de les filmer et les photographier, leurs familles sont encore à Marioupol, le danger est immense pour eux. Je garde toutefois une vidéo, l’objectif braqué sur un mur, de ce témoignage exceptionnel et qui sera transmise pour servir de preuves. De preuves devant l’histoire et les tribunaux qui un jour ou l’autre statueront sur les crimes de guerre et les répressions horribles commis par l’Ukraine de Kiev. Qui étaient les quatre anglophones venus arrêter le mari d’Anastasia ? Pourquoi ces agents étrangers se substituaient-ils aux forces de sécurité ukrainiennes ? Que faisaient-ils dans une opération de répression contre le Peuple du Donbass au moins depuis juin 2014 et probablement déjà pendant le Maïdan ? Voilà des questions qui devront avoir un jour où l’autre des réponses. Il aurait suffi à un seul journaliste honnête, Français ou Européen, d’avoir le courage et une haute idée de l’éthique sacrée du journalisme pour recueillir un seul de ces témoignages… rien qu’un seul. Aujourd’hui, si je transmettais un tel article en France, les médias fermeraient leurs portes dans l’instant. C’est cela le travail de journaliste de nos jours en France : cacher et transformer la vérité.
Laurent Brayard pour DONi.Press
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