jeudi 30 mai 2024

 

Piratage, séduction et menaces : comment le Mossad aurait fait pression sur la CPI

Les communications d'employés de la CPI ont été interceptées par Israël, dont celles de Karim Khan, selon une enquête menée notamment par le Guardian.

Piratage, séduction et menaces : comment le Mossad aurait fait pression sur la CPI

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu (g.) et le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan. Montage réalisé par L'OLJ à partir de photos AFP / ABIR SULTAN / Luis ACOSTA

Au cours des neuf dernières années, Israël aurait déployé ses agences de renseignement pour surveiller, pirater, faire pression, salir et prétendument menacer des hauts fonctionnaires de la Cour pénale internationale (CPI) dans le but de faire dérailler ses enquêtes, selon les conclusions d'une enquête menée par le Guardian et les magazines +972 et Local Call, basés en Israël. 

Dans un article publié mardi, le Guardian révèle que les services de renseignement israéliens ont intercepté les communications de nombreux fonctionnaires de la CPI, dont le procureur Karim Khan et sa prédécesseur, Fatou Bensouda, en interceptant leurs appels téléphoniques, messages, courriels et documents. L'enquête conjointe s'appuie sur des entretiens avec plus de deux douzaines d'officiers de renseignement et de responsables gouvernementaux israéliens, anciens et actuels, de hauts responsables de la CPI, de diplomates et d'avocats connaissant bien l'affaire de la CPI et les efforts déployés par Israël pour la compromettre.

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En espionnant la CPI, Israël aurait eu connaissance à l'avance des mandats d'arrêt à venir contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et d'autres hauts fonctionnaires, que Karim Khan a annoncé avoir demandés quelques semaines plus tard. Une source de renseignements ayant participé à l'enquête a décrit M. Netanyahu comme étant « obsédé » par ces interceptions, qui étaient supervisées par ses conseillers en sécurité nationale et ont impliqué les services de renseignement, le renseignement militaire et la division de cyber-espionnage israéliens. 

Preuves sécurisées
Un porte-parole de la CPI a déclaré au Guardian que la Cour était au courant des « activités de collecte de renseignements », mais qu'aucune des récentes attaques n'avait pénétré dans ses principaux fonds de preuves, qui restaient sécurisés.

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Dans un premier volet de l'enquête publié la veille, le Guardian revenait en détails sur les menaces lancées entre 2015 et 2021 par Yossi Cohen, ancien chef du renseignement extérieur israélien, contre Fatou Bensouda, par le biais de contacts secrets. Selon le quotidien britannique, l’ancien responsable du Mossad aurait tenté de contraindre l’actuelle haute-commissaire de la Gambie au Royaume-Uni à abandonner son enquête sur les crimes de guerre dans les territoires palestiniens. Le Guardian cite quatre sources, informées via des communiqués officiels de la procureure, qui ont confirmé que Mme Bensouda s’inquiétait des tentatives d’intimidation croissantes de Yossi Cohen et en avait informé des hauts fonctionnaires de la CPI.

Cette affaire remonte à 2015, lorsque la procureure décide d’ouvrir un examen préliminaire de la situation en Palestine avec une première évaluation des allégations de crimes commis par des individus à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Les principaux juges reçoivent alors des avertissements émanant des services de renseignements israéliens, d’après le journal britannique. 

Séduction et intimidation
Après que la procureure a officiellement lancé une enquête pénale en 2021, Yossi Cohen, alors chef du Mossad depuis 2016, aurait initié une opération visant à compromettre la procédure. En tant qu’espion de carrière et allié loyal de Netanyahu à l’époque, il aurait dirigé personnellement une campagne de près de dix ans pour saper la Cour, selon le Guardian. Cette action était coordonnée avec l’administration Trump, qui avait imposé des restrictions de visa et des sanctions à Mme Bensouda entre 2019 et 2020, en réponse à une enquête sur les crimes de guerre en Afghanistan impliquant des militaires américains, poursuit le Guardian.

Au début, selon les sources citées, le directeur du Mossad avait tenté de « construire une relation » avec la procureure pour la séduire. L’objectif principal était d’encourager Bensouda à coopérer avec Israël, raconte encore le quotidien. Cette campagne était ensuite passée aux « menaces et manipulations », ce qui avait poussé Mme Bensouda à alerter un groupe de hauts responsables de la CPI. D’après les témoignages recueillis par ces derniers, M. Cohen aurait déclaré : « Vous ne voulez pas vous engager dans des choses qui pourraient compromettre votre sécurité ou celle de votre famille. » Le Mossad a porté une attention particulière aux membres de la famille de Mme Bensouda et a obtenu des transcriptions d’enregistrements secrets de son mari, selon deux sources. Les responsables israéliens ont ensuite essayé, sans succès, d’utiliser ces documents pour discréditer la procureure.

Soutien de Joseph Kabila
Dans ses efforts pour influencer Bensouda, le Mossad a bénéficié du soutien inattendu de Joseph Kabila, l’ex-président de la République démocratique du Congo (RDC). Les raisons de l’aide de Kabila à Cohen restent floues, mais leurs liens ont été révélés en 2022 par TheMarker, un quotidien économique israélien, qui a rapporté plusieurs voyages secrets du directeur du Mossad en RDC en 2019.

Ces révélations surviennent alors que M. Khan a récemment averti qu’il engagerait des poursuites en cas de « tentative d’entrave, d’intimidation ou d’influence indue » sur les fonctionnaires de la CPI. 

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