En Suède, avalanche de signalements de fraude scientifique
PUBLISH OR PERISH
Le conseil national créé pour enquêter sur d’éventuels plagiats, falsifications ou fabrications de documents ne s’attendait pas à recevoir autant de plaintes
Frédéric Faux, Stockholm source : Le Temps
Publié mardi 28 septembre 2021 à 12:26
Modifié mardi 28 septembre 2021 à 13:
«Pour un petit pays comme la Suède, dix millions d’habitants, cela fait beaucoup…» Peter Allebeck, chercheur en santé publique au prestigieux Institut Karolinska, et membre du Conseil national d’évaluation des malversations dans le domaine de la recherche, admet avoir été surpris par les chiffres. En 2020, cette nouvelle institution gouvernementale a reçu 46 dénonciations, soit trois fois plus que prévu, avec au final quatre chercheurs épinglés.
«La publication ou la mort»
Et en 2021, le rythme ne faiblit pas. Le travail en équipe, les équipes étant de plus en plus larges, multiplie les sources potentielles de conflits. L’accès libre et immédiat à toutes les sources scientifiques peut pousser à la tentation. Mais la quête de financement incite aussi au délit, comme le fameux adage «publish or perish» («la publication ou la mort») le rappelle: «Pour trouver des fonds, il faut publier, et pour publier, il faut des données innovantes… que l’on n’a pas toujours», déplore Peter Allebeck.
Pour ses promoteurs, la loi qui a mis en place cet oredlighetsprovning suédois a d’abord le mérite de créer un organe indépendant, qui applique la même procédure pour tous. «Le gouvernement a pris conscience du problème et veut s’assurer que le pays respecte les plus hauts standards, explique la chancelière Karin Nylen, qui supervise ce travail d’enquête. Pour que le public accepte les faits scientifiques, il est important qu’il ait confianc
«Les universités peuvent prendre elles-mêmes en charge les conflits liés aux droits d’auteur ou de publication entre chercheurs, mais quand des soupçons plus graves sont émis elles peuvent être tentées de protéger leur réputation. Elles doivent alors nous transmettre le dossier», ajoute Peter Allebeck.
Si trois types de fautes graves sont définis – le plagiat, la falsification et la fabrication de documents – c’est concrètement le copier-coller sans vergogne qui est le plus répandu. Dans un cas récent transmis par l’Université de Lund, une chercheuse en marketing n’a pas hésité à utiliser des pans entiers d’un mémoire de maîtrise, sans ajout de nouvelles informations, et sans même citer les auteurs.
Mais d’autres cas sont plus graves, comme cette figure de l’Institut Karolinska, spécialiste de l’immunologie, qui a manipulé les images scientifiques appuyant sa démonstration. «Une fois, ça peut être un accident, mais la même chose dans quatre articles, c’est délibéré. On a tous été très étonnés», soupire Peter Allebeck.
Cauchemar des institutions
Ces cas touchant des chercheurs bien établis, médiatisés, sont le cauchemar des institutions scientifiques. Si la Suède est l’un des premiers pays à mettre en place un «gendarme de la science», avec le Danemark, c’est qu’elle a été particulièrement éprouvée par l’affaire Macchiarini.
Rendu célèbre par ses greffes de trachée synthétique imprégnée de cellules souches, la star de la chirurgie Paolo Macchiarini a travaillé au Karolinska entre 2010 et 2013. Or celui-ci avait menti sur son CV, trafiqué ses données, et les trois patients qu’il a opérés en Suède sont morts.
Le Karolinska, qui délivre le Prix Nobel de médecine, a mis des années à se remettre du scandale… Mais ce dernier aurait-il pu être évité si l’escroc avait été recruté par une unité médicale de son pays de naissance, la Suisse? «Chez nous ce sont les universités qui gèrent ces questions d’intégrité scientifique, mais le cas Macchiarani montre que parfois ça ne fonctionne pas», répond Matthias Egger, président du conseil de la recherche du Fonds national suisse.
Le premier financeur de la recherche helvétique, qui a élaboré un code d’intégrité scientifique, soumet systématiquement 5% des demandes qui lui sont faites à une intelligence artificielle qui détecte les plagiats. L’année dernière, des «erreurs minimes» ont été détectées dans 24 d’entre elles, et 5 ont fait l’objet d’une recommandation de sanction.
Mais pour Matthias Egger, il faudrait aller plus loin: «Une autorité légale serait difficile à mettre en place dans un pays fédéral, mais nous réfléchissons à une commission centrale qui offrirait ses compétences pour des cas difficiles où les universités sont en difficulté, avec l’aide d’experts internationaux.»
L’exemple suédois montre que cet échelon supplémentaire peut être utile. Les universités, les financeurs, mais aussi les journalistes prennent souvent le relais des jugements de l’oredlighetsprovning, qui ne restent pas sans conséquences. Et les chercheurs, aussi, commencent à s’approprier la nouvelle institution: face à l’afflux des dossiers, elle compte se réunir plus souvent, et recruter du personnel supplémentaire.
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