Les prix de plus en plus élevés des médicaments fragilisent notre système de santé
« La société américaine Gilead, par exemple, a provoqué un tollé avec son prix du médicament Sovaldi pour le traitement de l'hépatite C en Europe, à environ 55 000 euros par patient pour un traitement de 12 semaines, alors que les coûts de production sont estimés à moins de 1 euro par comprimé. » L’ONG CEO
3 juin 2019 - Laurie Debove source : La Relève et la Peste
L’Union Européenne pourrait-elle connaître une pénurie de médicaments en raison du modèle économique des grands groupes pharmaceutiques ? C’est la question que pose le rapport de l’ONG Bruxelloise CEO qui détaille comment leur course au profit se fait au détriment de la santé des citoyens.
Des prix de plus en plus élevés pour des raisons fallacieuses
L’introduction du rapport est directe : alors que l’accès aux soins était pendant longtemps considéré comme un problème spécifique aux pays pauvres, les pays riches ont eux aussi de plus en plus de mal à assurer à leurs citoyens un approvisionnement continu de médicaments à des prix abordables. En cause : l’apparition sur le marché de médicaments extrêmement chers, dont les prix s’élèvent à des centaines de milliers d’euros.
« La société américaine Gilead, par exemple, a provoqué un tollé avec son prix du médicament Sovaldi pour le traitement de l’hépatite C en Europe, à environ 55 000 euros par patient pour un traitement de 12 semaines, alors que les coûts de production sont estimés à moins de 1 euro par comprimé. » L’ONG CEO
Cette hausse des prix est permise par une réglementation européenne favorable à l’industrie et à la propriété intellectuelle. Alors que les grands laboratoires pharmaceutiques justifient ce prix de plus en plus élevé par l’innovation des médicaments, les traitements ne sont en fait pas forcément plus efficaces que leurs prédécesseurs.
Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu cette année dans une étude sur la tarification des médicaments anticancéreux que les sociétés pharmaceutiques ne fixent pas leurs prix en fonction des coûts de R&D, mais selon des « objectifs commerciaux, visant à extraire le maximum de ce qu’un acheteur est prêt à payer pour un médicament », rendant « les médicaments anticancéreux inabordables ». Pour diminuer leur prix et améliorer l’accès aux soins, l’OMS a recommandé une plus grande transparence des méthodes de tarification des entreprises et un réalignement des mesures d’incitation à la R&D.
Notre modèle de santé en danger ?
Si ces pratiques se font toujours au profit des grands groupes pharmaceutiques, l’ONG CEO explique que cela est notamment dû à leur campagne très bien ficelée de lobbying. Par exemple, les dix plus grandes entreprises pharmaceutiques ont augmenté leur budget de lobbying de 2 millions d’€ depuis 2015, et le principal groupe de pression de « Big Pharma », EFPIA (Fédération européenne des industries et associations pharmaceutiques), siège au sein de huit des groupes consultatifs de la Commission.
Sans surprise, lorsque le Conseil Européen s’était alarmé en 2016 de la situation et avait demandé à la Commission Européenne de revoir la régulation du secteur du médicament afin d’assurer l’accès de tous à des médicaments efficaces, l’industrie pharmaceutique avait alors conduit un « assaut de lobbying » pour protéger ses intérêts. Une de leurs plus grandes victoires a été le rejet d’un amendement qui voulait renforcer les essais cliniques pour prouver la réelle amélioration de l’efficacité des nouveaux médicaments proposés par les labos pharmaceutiques.
Crédit Photo : Simone van der Koelen
Cette hausse des prix constante a des conséquences directes sur la pérennité notre système de soin. En France, la dépense de médicaments remboursés par la sécurité sociale est ainsi passé de 19,24 milliards d’euros en 2010 à 24,9 milliards d’euros en 2017, selon l’enquête de Bastamag qui s’appuie sur les bases de données RetrocedAm et MedicAm.
« Les médecins pourraient être limités ou amenés à se restreindre eux-mêmes, dans la prescription de certains médicaments coûteux. D’ores et déjà, des restrictions de prescriptions et des hiérarchisations ont été observées. » s’est inquiété le Conseil économique, social et environnemental
Autre conséquence de la recherche au profit : la délocalisation des laboratoires de production dans des pays lointains, avec pour conséquence directe des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement européenne. En octobre 2018, une mission d’information du Sénat s’est ainsi préoccupée des pénuries de médicaments et vaccins de plus en plus fréquentes en France :
« Largement sous-estimé dans le débat public, le phénomène des pénuries de médicaments est pourtant de plus en plus prégnant et entraîne, outre des conséquences sanitaires majeures, des risques financiers importants ainsi qu’un gaspillage de temps médical et logistique à tous les niveaux de la chaîne du médicament. Il contribue ainsi à la déstabilisation de notre système de soins en même temps qu’il traduit une perte d’indépendance sanitaire préoccupante pour la France comme pour l’Europe. »
Le rapport de cette mission d’information tirait les mêmes conclusions que celles présentées par l’ONG CEO : il est impératif de relocaliser nos productions de médicaments, mieux réguler les industries pharmaceutiques, favoriser la coopération européenne sur le sujet et mettre en place des contrôles sanitaires plus exigeants.
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