Les calamars frits seraient des anus de cochon ? Un scandale légendaire très politique
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LE PLUS. Vous avez certainement vu passer cette "information" en fin de semaine dernière. Peut-être même l'avez-vous facebookée ou tweetée tant elle était répugnante : des calamars seraient constitués d'anus de porc. Faux, entièrement faux. Alors pourquoi cette rumeur a-t-elle (une nouvelle fois) pris ? Décryptage d'Aurore Van de Winkel, spécialiste en légendes urbaines.
Édité et parrainé par helenedecommer
Des calamars frits aux... calamars (REX/Stuart Forster/REX/SIPA)
Les scandales alimentaires ne nous ont pas épargnés ces deux dernières décennies. Dioxine (1999), vache folle (1991/2003), langue bleue (2006), peste porcine (2002), grippe aviaire (2006-2007), OGM, et j’en passe.
À peine remis du horsegate ou scandale de la viande de cheval dans les lasagnes de bœuf, du scandale de la tarte au chocolat aux matières fécales vendues dans un célèbre magasin de meuble ou de la souris dans un pot de confiture, voilà que les industriels remettent le couvert en nous proposant de faux calamars frits, soi-disant "composés d’anus de cochon".
Vu les scandales précédents, cette nouvelle semblait de prime abord vraisemblable. Sauf que c’est une légende urbaine qui s’est diffusée aussi vite que l’éclair via la e-presse et les réseaux sociaux.
Comment cette légende a connu son heure de gloire
L’attention médiatique a été déclenchée le 17 octobre par les déclarations d’une eurodéputée néerlandaise, Esther de Lange. Cette dernière s’est servie de cette légende pour promouvoir une enquête sérieuse sur la fraude alimentaire, menée dans le cadre d’un débat du Parlement européen sur l’étiquetage des aliments et la mention de leur origine. Interrogée sur les scandales alimentaires dans le journal "BN/De Stem", cette députée – venant de présenter le rapport à Bruxelles – a expliqué que le secteur de la grande distribution lui aurait confié la tâche de faire des contrôles réguliers au sujet de faux calamars car il s’agirait d’une pratique connue.
Si la déclaration a d’abord fait grand bruit aux Pays-Bas et sur Twitter, elle a par la suite été traduite en Belgique, puis a attiré l’attention des médias français. La RTBF, "Le Soir" et France 3, entre autres, l’ont relayée à l’aide de titres accrocheurs et d’affirmations laissant le lecteur dans l’idée dérangeante que les derniers calamars qu’il a pu manger étaient peut-être faits d’anus de porc. Il n’y a pas eu de vérification de l’"information" car les scandales alimentaires précédents la crédibilisaient, tout au plus ont été effectuées quelques interviews de poissonniers qui auraient entendu parler de cette pratique chez leurs concurrents.
Alertés de sa fausseté et après confirmation du manque de preuves par l’AFSCA belge notamment, les médias ont fait volte-face. Mais, entre-temps reprise dans les réseaux sociaux, la légende a eu son moment de gloire ces 17 et 18 octobre 2013.
Une rumeur déjà vue en 2010, 2011, janvier 2013...
Daniel Rengber a trouvé la première trace de cette histoire aux États-Unis en 2010 dans une colonne de conseils pour "Deadspin". Un lecteur y écrivait que le frère de son amie, leader vétérinaire porcin aux États-Unis, l'avait informé l’été dernier que les calamars étaient fabriqués à partir du rectum de porc.
Le 11 janvier 2013, l'animateur de l’émission de radio américaine "This American Life" a reçu un e-mail d’une auditrice disant qu’elle avait entendu cette histoire d'un éleveur de porcs. Visitant l’usine de porc de l’un de ses amis dans l'Oklahoma, il a vu une pile de boîtes étiquetées : calamars artificiels. Surpris, il a demandé des explications et son ami lui a répondu qu’il s’agissait de rectums de porc, coupés en rondelles puis frits. Après enquête, les boîtes de calamars sont introuvables mais plusieurs personnes assurent avoir entendu l’histoire. Sauf qu’aucun témoin oculaire n’a été retrouvé. La radio a donc considéré comme fausse l’histoire réapparue au moment où était mis en avant aux États-Unis le Safety and Fraud Enforcement for Seafood Act.
Elle ressort aujourd’hui grâce à une enquête parlementaire européenne. La similitude est frappante, l’opportunité politique aussi. Comme le souligne Peter Burger, professeur en journalisme de l’université de Leiden aux Pays-Bas et spécialiste des légendes urbaines, les politiciens peuvent utiliser cette légende comme exemple percutant, prouvant l’utilité de leur travail et la nécessité d’enquêter et de légiférer sur le problème bien réel des fraudes alimentaires.
Le dégoût, clé du succès
La légende s’est construite sur une analogie facile : la similitude de la forme arrondie de la rondelle de tentacule de calamar et de celle de l’anus. Elle associe également la texture caoutchouteuse du calamar à celle imaginée et vraisemblable de l'anus. Les rondelles de calamar ne permettent pas d’avoir une vision globale de l’animal lorsqu’on le déguste. De plus, elles sont frites, ce qui altère leur goût, leur texture, leur forme et leur couleur. On pourrait donc très bien intervertir les deux chairs sans que la supercherie ne soit levée.
La légende provoque le dégoût, ce qui fait son succès, l’amène à être diffusée rapidement et à être retenue plus facilement. Elle aurait pu utiliser un autre animal comme le bœuf ou le mouton dans son récit. Mais le porc est un animal exclu de la consommation de certaines communautés religieuses.
Si la légende était véridique, cela équivaudrait à ce que les industriels leur fassent manger contre leur gré non seulement une nourriture qu’elles refusent mais, pire, la partie la plus immonde de l’animal. Le dégoût alimentaire prend alors une autre dimension.
L'alimentation industrielle, un terreau fertile
Cette légende urbaine nous place face à nos peurs alimentaires et face à notre méfiance vis-à-vis de la production industrielle massive d’aliments nous empêchant de vérifier les différentes étapes de leur confection. Elle n’est pas la première.
Souvenez-vous : McDonald’s avait été accusé, en son temps, de fabriquer des hamburgers avec des yeux de bœuf (1970) et même avec des œufs d’araignées (1977-1978). Imaginez le travail de l’employé chargé d’en récolter assez pour modeler un hamburger de taille moyenne ! Cette organisation avait aussi été accusée de les fabriquer avec des vers de terre. Or, un kilo de vers de terre coûte beaucoup plus cher qu’un kilo de bœuf.
En 1999, Kentucky Fried Chicken avait été soupçonné d’avoir changé son nom en KFC car il ne pouvait plus utiliser le mot "poulet". Il utiliserait à la place des organismes génétiquement modifiés maintenus en vie par des tuyaux qui pomperaient sang et aliments. Selon la légende, sans becs, plumes ou pattes et avec très peu d’os, ces organismes auraient permis à la société de réduire fortement ses coûts.
Dans ce cas-ci, la légende ne cite pas de marque, ce qui oblige le consommateur effrayé à se méfier de toutes celles vendant du calamars fris. Or, si un calamar et ses huit tentacules peuvent donner au fabricant un certain nombre de rondelles, n’oubliez pas que, sur chaque cochon, il n’y en a qu’une ! Il deviendrait alors fastidieux et économiquement peu rentable d’en récolter assez pour remplir des assiettes. De plus, des intestins de porc sont bien utilisés pour la fabrication de saucisses et boudins. Finalement, tout n’est-il pas bon dans le cochon ?
Sources :
Véronique Campion-Vincent, Jean-Bruno Renard, De source sûre. Nouvelles rumeurs d’aujourd’hui, Paris, Payot, 2005, p. 37.
Hal Morgan, Kerry Tucker, Marc Voline, Vraies ou fausses ? Les rumeurs, Paris, First, 1988, pp. 74-75.
Aurore Van de Winkel, Gérer les rumeurs, ragots et autres bruits, Belgique, Edipro, 2012.
Annemieke Van Dongen, "Inktvisringen van varkensanus", in BN/De Stem, 17 octobre 2013, p. 6.
Sources on-line :
Peter Burger, De walgfactor : inktvisringen zijn gefrituurde varkensanus, http://www.gestolengrootmoeder.nl/wordpress/calamari-gemaakt-van-varkens-wat/, mis en ligne le 28 janvier 2013.
Peter Burger, Waarom politici en nieuwsmedia larie verkopen over calamari, http://www.gestolengrootmoeder.nl/wordpress/verhaal-over-calamaris-dat-niet-waar-is/, mis en ligne le 18 octobre 2013.
Auteur anonyme, Calamars à base d’anus de porc ? « Aucun cas avéré en Belgique », http://www.rtbf.be/info/societe/detail_des-calamars-qui-n-ont-jamais-vu-la-mer-ils-sont-issus-d-anus-de-cochons?id=8115493, mis à jour le 18 octobre 2013.
Bernard Padoan, Les calamars en anus de porc : une légende, pas de faits, http://www.lesoir.be/342833/article/actualite/sciences-et-sante/2013-10-18/des-anus-porcs-place-calamars-c-est-une-legende-urbaine, mis à jour le 1 ! octobre 2013.
Daniel Rengber, Rump Faker, http://www.slate.com/articles/life/food/2013/01/calamari_made_of_pig_rectum_the_this_american_life_rumor_isn_t_true_but.html, mis en ligne le 18 janvier 2013
Auteur anonyme, Un nouveau scandale alimentaire ? une rumeur ? Des calamars issus d’anus de cochon, selon une députée européenne des Pays-Bas, http://nord-pas-de-calais.france3.fr/2013/10/18/un-nouveau-scandale-alimentaire-des-calamars-issus-d-anus-de-cochon-341153.html, mis en ligne le 18 octobre 2013, mis à jour le 19 octobre 2013
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