Une crise financière et politique croissante se propage à travers l’Europe après que le président italien Sergio Mattarella a nommé lundi un gouvernement technocratique, annulant par là le résultat des élections de mars 2018. Les marchés financiers paniquent et des manifestations s’organisent, alors que des divisions virulentes au sein de la bourgeoisie italienne, en particulier sur la monnaie européenne, éclatent en plein jour.
Les marchés financiers avaient d’abord fait baisser les taux d’intérêt italiens lundi, marquant leur approbation de la décision de Mattarella de ne pas permettre au mouvement populiste Cinq étoiles (M5S) et à la Ligue d’extrême droite de former un gouvernement. Mais ils continuaient hier de faire monter les taux d’intérêt sur la dette italienne, à 1,937 pour cent, pour la première fois depuis 2013, et faisaient chuter l’euro à moins de 1,16 dollar. Il est de plus en plus évident que les conflits profonds dans la classe dirigeante italienne et toute la classe dirigeante européenne, qui sous-tendaient la crise de l’euro suite au crash de Wall Street en 2008, n’ont pas été résolus.
La tempête boursière s’est propagée aux États-Unis, où le Dow Jones Industrial Average a chuté de 391 points, soit 1,58 pour cent.
Lundi soir, le premier ministre désigné, Carlo Cottarelli, a indiqué qu’il superviserait un gouvernement technocratique de courte durée s’engageant à promouvoir l’austérité et l’euro. «Mon gouvernement sera neutre, assurera une gestion prudente du budget de l’État et traitera comme essentielle la participation de l’Italie à l’euro,» a-t-il déclaré. Il a aussi indiqué qu’il nommerait des fonctionnaires non partisans comme ministres et leur demanderait de signer un engagement à ne pas se présenter aux prochaines élections législatives.
Mardi, cependant, les marchés et les titres des banques européennes ont chuté alors qu’il devenait plus clair que l’Italie était bien partie pour une période prolongée d’instabilité gouvernementale et de crise politique. Le gouvernement Cottarelli est confronté à l’opposition du M5S et de la Ligue, qui ont une majorité de sièges au parlement, de sorte qu’il n’est pas clair s’il peut survivre à un vote de censure ou adopter un budget. On s’attend à ce que Mattarella convoque de nouvelles élections début 2019 ou même début septembre cette année.
En attendant, des conflits politiques féroces éclatent au sein de la classe dirigeante entre les partisans de l’UE et de l’euro et leurs détracteurs d’extrême droite, en Italie comme en Europe. Mais ces deux factions de la classe dirigeante – les défenseurs de l’UE et de l’euro regroupés derrière Mattarella, comme le M5S, la Lega et leurs alliés d’extrême droite dans toute l’Europe – sont toutes deux réactionnaires et n’ont rien à proposer aux travailleurs.
Les désaccords entre les deux factions concernent exclusivement la politique monétaire et européenne alors que toute la classe dirigeante est unanime sur le militarisme et l’austérité. Annonçant son refus de permettre au M5S et à la Ligue de former un gouvernement, Mattarella a souligné que la seule raison de son opposition était que le M5S et la Ligue envisageaient de nommer l’économiste Paolo Savona au poste de ministre de l’Economie.
Savona est hostile à l’Allemagne et à l’euro ; il a écrit que Berlin avait « planifié et créé l’euro pour contrôler et exploiter les autres pays européens de manière coloniale ». Il a qualifié l’euro de « cage allemande » et fait pression pour que d’autres pays européens exigent une politique monétaire différente, disant: « Il n’y a pas d’Europe, seulement une Allemagne entourée de lâches ».
Mattarella a déclaré que de tels commentaires étaient inacceptables pour les banques: « La nomination du ministre de l’Economie constitue toujours un message immédiat de confiance ou d’alarme pour les décideurs économiques et financiers. J’ai demandé à ce que ce ministère soit occupé par un homme politique […] qui ne serait pas considéré comme le partisan d’une ligne qui provoquerait inévitablement la sortie de l’Italie de l’euro ». Quand cela s’est avéré impossible, a ajouté Mattarella, il a mis fin aux négociations pour former un gouvernement car selon lui, « l’adhésion à l’euro est d’une importance fondamentale pour les perspectives de l’Italie et de sa jeunesse ».
Mattarella a indiqué qu’il pourrait bientôt convoquer de nouvelles élections qui pourraient être essentiellement un référendum sur l’euro. « Si nous voulons en discuter », a-t-il déclaré, en parlant de l’appartenance de l’Italie à la zone euro, « cela devrait se faire ouvertement. J’ai été informé que certaines forces politiques veulent passer rapidement à de nouvelles élections. C’est une décision que je me réserve le droit de prendre, en fonction de ce qui se passe au parlement ».
De puissantes factions soutiennent Mattarella dans l’UE. Federica Mogherini, à la tête de la politique étrangère de l’UE, qui est italienne, a déclaré à la presse à Bruxelles: « J’ai confiance, comme tous les Italiens, dans les institutions italiennes, à commencer par le président italien. C’est le garant de la constitution italienne. Je suis convaincue que les institutions italiennes et le président de la République s’avéreront toujours être au service des citoyens italiens, qui coïncide d’ailleurs aussi avec la force de l’Union européenne. »
Les positions de Mattarella et de Mogherini ont été reprises par le Parti Démocrate (PD), la formation social-démocrate issue de l’effondrement du Parti communiste italien stalinien. Le PD a appelé à des manifestations le 1er juin en soutien aux institutions, c’est-à-dire en soutien à l’intervention de Mattarella et des banques pour bloquer la formation d’un gouvernement du M5S et de la Ligue.
Plus provocant, le commissaire européen au Budget, Günther Öttinger, a déclaré hier dans une interview à Deutsche Welle: «Les marchés apprendront aux Italiens à voter comme il faut».
Sous une tempête de protestations en Italie, les responsables du M5S et de la Ligue ont exigé qu’Öttinger se rétracte ; il s’est excusé ultérieurement après des critiques du président du Conseil de l’UE Donald Tusk et du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. La Commission européenne a publié une déclaration officielle disant que « le sort de l’Italie ne dépend pas des marchés financiers ».
Si Mattarella défend ouvertement le diktat de l’UE et des banques, le M5S et la Ligue sont eux, tout aussi réactionnaires. Tout gouvernement formé par eux serait le plus à droite depuis le régime fasciste de Mussolini durant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont promis des coupes sombres dans les dépenses publiques, des razzias et des expulsions massives contre les immigrés, provoquant avant les élections de mars dans toute l’Italie des manifestations de masse en défense des droits des immigrés.
La seule voie vers l’avant pour les travailleurs et les jeunes en Italie est de développer un mouvement socialiste et internationaliste opposé à la fois au PD et aux autres partisans de l’UE, et aux forces d’extrême droite regroupées autour de l’alliance M5S-Ligue. Malgré l’intervention antidémocratique de Mattarella dans les élections, ces forces d’extrême droite s’avéreront tout aussi hostiles à la classe ouvrière que l’UE et les banques.
Les politiciens d’extrême droite de toute l’Europe font à présent des déclarations en faveur du M5S et de son alliance avec la Ligue. Marine Le Pen, dirigeante du Front national néo-fasciste (FN) et allié de la Ligue, a qualifié l’intervention de Mattarella de « coup d’État » de la part de l’UE.
Nigel Farage du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni pro-Brexit a dénoncé au Parlement européen l’intervention de Mattarella et de l’UE: « Au cours des dernières 48 heures, leur démocratie a été diffamée. Dans le passé, vous avez réussi à intimider les Danois, vous avez intimidé les Irlandais, vous avez intimidé les Grecs jusqu’à la soumission. Je soupçonne qu’avec l’Italie aujourd’hui, vous avez maintenant les yeux plus gros que le ventre. Qu’il y ait plus d’élections et de plus grandes victoires eurosceptiques. »
Les milieux du PD craignent de plus en plus que l’intervention de Mattarella n’ait renforcé la position de la Ligue, qui est en train de grimper dans les sondages avec 25 pour cent de soutien. L’ancien premier ministre Massimo d’Alema (PD), enregistré par une caméra cachée, a déclaré que s’il y avait de nouvelles élections après la décision de Mattarella, l’alliance M5S-Ligie les remporterait par une victoire écrasante de 80 pour cent des voix.
Alex Lantier