Le Hezbollah a décidé de retirer une partie de ses forces de plusieurs provinces de la Syrie et d’en laisser d’autres sur place (à la demande du président syrien Bachar al-Assad), dont la présence est liée à la sécurité du Liban et à la lutte contre Israël. Cependant, ce redéploiement fait ressortir l’une des conséquences de la guerre syrienne : la division du Levant, qui va probablement perdurer pendant de nombreuses années. Autrement dit, les forces turques et américaines vont continuer d’occuper le territoire syrien.
Selon des sources privées, le Hezbollah va se retirer des provinces de Deir Ezzor, Hassaké, Raqqa, Alep, Idlib, Hama et Suweida. Le Hezbollah n’était pas présent à Tartous, mais a déjà combattu dans la province de Lattaquié lorsque les djihadistes occupaient Kesseb et la région rurale de Lattaquié, pour ensuite se retirer la même année.
Le Hezbollah maintiendra des forces dans les provinces de Damas, Homs, Daraa et Quneitra. L’objectif est de protéger le Liban et d’empêcher les djihadistes de traverser la frontière. Sa présence dans les montagnes orientales sert à protéger ses missiles stratégiques en cas de guerre contre Israël. Le Hezbollah a aussi construit le long de la frontière libano-syrienne des villes similaires à ce qu’on trouve en Israël, pour entraîner ses forces spéciales (« Ridwan »), au cas où Israël décidait de faire la guerre au Liban. En cas de nouvelle guerre imposée par Israël, le Hezbollah compte bien devenir une force attaquante et non pas rester sur la défensive.
La guerre en Syrie a enseigné au Hezbollah de nouvelles doctrines et pratiques militaires qui ne vont pas le restreindre à se porter à la défense des villes au sud du Liban comme c’était le cas depuis sa première confrontation avec Israël dans les années 1980. La participation du Hezbollah à des combats dans des villes importantes de la Syrie, dans le désert, dans les montagnes et en terrain découvert (et le recours à diverses tactiques militaires) lui a procuré une expérience de la guerre considérable et unique, qui l’a transformé en armée « non régulière » organisée, la meilleure qui soit au Moyen-Orient.
En ce qui concerne les autres provinces (Homs, Daraa et Quneitra), le Hezbollah y maintiendra une présence substantielle, liée à sa lutte contre Israël. Le Hezbollah servira de conseiller auprès des forces syriennes que le groupe libanais a entraînées. Fortes de l’expérience du Hezbollah acquise en Bosnie, en Irak et en Syrie, ces forces nationales ont adopté la doctrine et l’idéologie qui leur permettront de se défendre contre tout agresseur, qu’il soit djihadiste, du pays ou de l’étranger, et de lutter pour leur existence en mettant à profit leurs compétences acquises en matière de guerre classique et de guérilla.

Ghouta orientale

Le redéploiement et le retrait des forces du Hezbollah ne signifient pas que la guerre en Syrie n’aura plus de conséquences. La bataille de la Ghouta orientale n’est que temporaire. Le but des djihadistes était d’empêcher la tenue des élections présidentielles et de troubler la tranquillité de l’ordre public dans la capitale Damas, la principale base du gouvernement syrien dirigé par le président Assad. C’est la principale raison pour laquelle la communauté internationale et les médias institutionnels insistent tant à relater ce qui s’y passe.
La Ghouta est divisée aujourd’hui en trois parties et pourrait fort bien être morcelée davantage si les djihadistes décident de rester et continuer d’exploiter les civils présents comme boucliers humains.
Plusieurs chefs de tribus locales de la Ghouta sont en contact quotidien avec les djihadistes et les militants pour les convaincre de laisser sortir les civils, en souhaitant garder leur neutralité dans cette guerre.
Il est évident que les djihadistes sont au courant de la campagne internationale en leur faveur et réaliseront bientôt que les médias institutionnels vont cesser de les soutenir sous un prétexte humanitaire. Par conséquent, la présence de djihadistes si proche de Damas, tel un poignard menaçant la capitale (ils lancent aveuglément des roquettes chaque jour), ne sera plus viable et ne pourra plus être tolérée.
La situation à Ghouta prendra fin bientôt avec la sortie négociée de tous les djihadistes et de leurs familles. C’est alors que les civils, qui se sont déjà manifestés dans la Ghouta, qui se soucient moins de la domination exercée par les djihadistes et qui demandent à l’armée syrienne de prendre le contrôle du secteur, seront libres de rester.

La Turquie et les Kurdes, les plus grands perdants en Syrie

 Les forces turques et leurs mandataires locaux progressent dans l’enclave d’Afrin, au nord de la Syrie, après moins de deux mois d’opérations militaires, tandis que les fortifications kurdes s’écroulent rapidement.
Bien que la voie de ravitaillement de la ville d’Afrin soit toujours fonctionnelle au sud de l’enclave sous contrôle de l’armée syrienne, la Turquie et ses mandataires tentent d’encercler la ville et de couper la route vers le sud. L’objectif est de garder une certaine distance de Tel Rifaat, où l’armée syrienne est basée.
En refusant de laisser le gouvernement de Damas prendre le contrôle d’Afrin et ainsi mettre la main sur les avoirs financiers et l’artillerie lourde, les Kurdes sont en train de perdre l’enclave. Mais ce n’est pas tout. Leur politique est en train de les rendre responsables de la perte d’une partie importante du territoire syrien au profit de la Turquie. Le nord de la Syrie pourrait devenir pour la Turquie un autre Chypre, dont la moitié de l’île a été annexée par la Turquie il y a des décennies et demeure encore sous contrôle turc.
Il serait naïf de croire que la Turquie va retirer ses forces de la Syrie une fois ses objectifs atteints, qui ne se limitent d’ailleurs pas à Afrin, bien au contraire. La Turquie cherche actuellement à convaincre Washington de se retirer de Manbij et de permettre à la Turquie de l’occuper.
Les renseignements ayant coulé dans les médias à propos de l’intention des USA de réduire leur présence sur la base turque d’Incirlik, où se trouvent 50 bombes nucléaires entreposées par l’OTAN qui s’en sert pour menacer la Russie, laissent entendre que les relations entre la Turquie et les USA ne sont pas des plus cordiales.
La Russie aimerait bien que ces relations se détériorent et que la Turquie se joigne au camp anti-USA. Elle est prête à faire des concessions en Syrie en ne faisant rien pour empêcher Ankara d’étendre son territoire en Syrie.
Damas considère que les USA et les Kurdes représentent la menace la plus dangereuse pour l’unité de la Syrie. Les Kurdes sont prêts à établir une relation avec les USA et Israël, en abandonnant imprudemment leurs aspirations identitaires et leur volonté d’appartenir à un pays. Ils forment un groupe ethnique en quête d’un État indépendant.
Pour Damas, la présence turque constitue une occupation du territoire syrien, mais demeure toujours un cran en dessous du plus grand danger que posent les USA en Syrie, en raison de la capacité de Washington à perturber encore plus gravement le Moyen-Orient.

Les forces américaines en Syrie

Le Hezbollah se retire de la zone d’al-Tanf, à la frontière avec l’Irak, où les forces américaines maintiennent une base militaire et des camps d’entraînement, de pair avec le R.U. et la France. Ce retrait s’explique par la conviction que les USA vont rester pendant très longtemps au Levant, et que seule la résistance locale parviendra à mettre fin à cette occupation.
Les USA vont défendre leur présence en Syrie pour contrecarrer celle de la Russie au Moyen-Orient. Ils ne veulent pas que la Russie sorte victorieuse au Moyen-Orient en ayant mis fin à la guerre en Syrie, démontrant ainsi qu’elle est capable de parvenir à la paix en recourant à des moyens militaires et diplomatiques.
Les USA ont créé une zone de stabilisation pour leurs forces au nord-est de la Syrie, dans les zones contrôlées par les Kurdes, où se trouve environ 13 % de la production pétrolière et gazière du pays. Ce territoire quatre fois plus grand que le Liban correspond à 24 % du territoire syrien.
La présence américaine est gravement préoccupante non seulement pour la Syrie, mais aussi pour la Turquie et l’Irak. Les zones contrôlées par les USA comprennent des secteurs sous l’influence de Daech que Washington « protège » et maintient. Daech lance des attaques à partir de là contre les armées syrienne et irakienne le long de la frontière entre le Levant et la Mésopotamie.
La Syrie et ses alliés jugent que les USA vont rester pour maintenir bien vivant leur conflit avec la Russie, leur ennemie jurée. Comme il est difficile de s’en prendre directement à elle, ils le font par l’entremise de leurs alliés et mandataires sur le terrain (en se servant des Kurdes et en laissant les militants de Daech circuler librement).
Rien n’indique que les USA et leurs alliés au Moyen-Orient (Arabie Saoudite) veulent la paix et la stabilité dans la région. Tout porte à croire que les USA luttent pour maintenir leur pouvoir, leur domination et leur influence, et pour prouver qu’ils sont toujours les plus forts.
Les USA n’ont pas compris que malgré le fait qu’ils forment une superpuissance ayant un grand pouvoir de destruction, qu’ils comptent de nombreux amis et que bien des pays les craignent, d’autres forces sont en train de se rallier derrière la Russie, la Chine et l’Iran. Non seulement ce nouveau camp anti-USA ne craint pas les USA, mais il s’oppose même à la monarchie dominante qu’ils exercent.
Les USA ont eu la chance d’occuper une position privilégiée et unique depuis la chute de l’Union soviétique en 1991, et ce, jusqu’au réveil du monstre russe après la guerre en Libye, qui a fait son apparition en Syrie en 2015. Mais une question demeure : Les USA pourront-ils accepter qu’ils ne forment plus la seule superpuissance et qu’ils ne pourront plus occuper leur position d’antan?
Par Elijah J. Magnier (à Damas): @ejmalrai
Traduction : Daniel G.