« Au nom du développement, notre région va être détruite »
En 2015, les trois groupes ethniques armés Karen signent l’Accord de Cessez-le-feu National (ACN). Trois ans après, l’intensité des conflits a nettement diminué ; une aubaine pour les investisseurs pour qui la course au développement économique a commencé…
L’état Karen, longtemps marqué par des années de conflit, souhaite désormais profiter de sa large frontière avec la Thaïlande pour y développer le commerce et le tourisme. Depuis la signature de l’Accord de Cessez-le-feu, en 2015, la région cherche à attirer les investisseurs étrangers, facteur de développement. Ces trois dernières années, on assiste en effet à un retour vers la paix progressif. En témoigne le Forum « Business for peace » organisé à Hpa-An, capitale de l’État Karen, en septembre 2017.
Si la signature de l’ACN des groupes ethniques armés Karen est sur le papier synonyme de paix, l’accord a pourtant été rompu à plusieurs reprises par l’armée birmane. Des acteurs de la société civile birmane notent également un déplacement de ces conflits vers le champ économique. Certains leaders des groupes ethniques armés commencent à investir le monde des affaires, ce qui est encouragé par l’armée qui y voit une opportunité pour les diviser et mieux les contrôler.
En parallèle, la nouvelle loi birmane sur les investissements de 2016, facilite l’investissement dans le pays en permettant aux entreprises qui s’installent dans la région de bénéficier d’avantages fiscaux. La majeure partie de l’état Karen est ainsi définie comme « zone 1 » voire « zone 2 »,ce qui permet aux investisseurs de bénéficier d’exemptions fiscales allant de 5 à 7 ans.
La priorité : l’électricité
Dans cette région où seul un tiers de la population a accès à l’électricité, le Ministre de l’état Karen entend cibler en priorité la production d’énergie avant de développer d’autres activités économiques.
Dans cette perspective, un accord avec la société thaïlandaise TTCL Public Co Ltd pour la construction d’une centrale à a été conclu en avril 2017. Construite à proximité duvillage de Wutt Kyi Ward dans la région de Hpa-An, cette centrale devrait à elle seuleaugmenter de 25% la production d’électricité du pays en produisant, à terme, 1280 megawatts.
Soutien ardent du projet, la ministre de l’État Karen soulignait dans un entretien avec le journal The Irrawaddy en novembre 2017: « Ne songez pas au développement sans électricité ».
Pourtant, le projet rencontre une opposition croissante des communautés locales. Le risque de pollution est élevé, d’autant plus que la centrale doit être construite à proximité d’une rivière. Les conséquences sur la santé et sur les moyens de subsistance de ceux qui tirent leurs revenus de l’exploitation de la terre ou de la pêche, suscitent de grandes inquiétudes.
De plus, les habitants qui vivent sur le site retenu pour la construction de la centrale devront être déplacé. À ce niveau, le manque d’informations semble important et certaines personnes ne se sont toujours pas vu proposer de compensations quant à la perte de leurs terres.
Un sujet délicat
Depuis la baisse des conflits, le gouvernement de l’état Karen a par ailleurs annoncé que les mines de charbon présent dans la région serviront à alimenter la centrale. Cependant, les projets miniers sont porteurs de nombreux risques, tant pour ceux qui vivent à proximité ou y travaillent, que pour leur environnement..Par ailleurs, la Birmanie ne dispose pas de réserves suffisantes en charbon pour alimenter ces centrales ce qui lacontraindra, à terme, à en importer d’importantes quantités.
Pour l’heure, la construction de la structure ne débutera qu’après validation par le gouvernement central. Selon la Constitution birmane, cet accord est nécessaire pour les centrales supérieures à 30 megawatts.
L’opposition à ce projet trouve un large écho au niveau national. En plus de celle de Wutt Kyi Ward, dix autres centrales à charbon sont en projet dans le pays. Au-delà de l’état Karen, c’est l’ensemble du pays qui n’a qu’un accès limité à l’électricité : 60% de la population birmane en étant encore privé.
Face à cette pénurie, le recours au charbon est un moyen rapide pour le gouvernement de répondre à la demande. D’autant plus que plusieurs projets hydroélectriques initiés dans le pays rencontrent également une opposition massive des communautés locales, à l’image de celle suscitée par le barrage de Myitsone, et ce alors que le gouvernement s’est engagé à assurer un accès à l’électricité à toute la population birmane d’ici à 2030.Par ailleurs, la Birmanie ne dispose pas de réserves suffisantes en charbon pour alimenter ces centrales ce qui les contraindra, à terme, à en importer d’importantes quantités.
De nombreuses associations, communautés locales, et ONG appellent ainsi le gouvernement birman à privilégier le développement d’autres sources d’énergie. Actuellement, les engagements nationaux dans ce domaine sont particulièrement limités. Le Plan National d’Électrification (PNE) indique que seulement 5 % de l’électricité produite dans le pays sera d’origine renouvelable en 2030.
En matière d’énergie, la Birmanie est donc actuellement à un moment charnière, où il lui faut choisir les modes de production qui lui permettront de répondre aux besoins de sa population et de ses activités économiques. Au-delà des considérations purement économiques, il est primordial que le gouvernement birman prenne en compte les dimensions humaines et environnementales de ses choix et promeuve le recours à des formes d’énergie respectueuses de l’environnement et des populations.
Marine Tagliaferri
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