lundi 19 mars 2018


L’ambition d’En Marche crée des frictions entre Paris et Berlin.

Angela Merkel arrivant à l'Elysée, le 16 mars. Photo Elysée
À la veille d’un Conseil européen censé évoquer la relance stratégique du projet européen, la rivalité politique de plus en plus directe entre En Marche et la CDU rend l’échange entre France et Allemagne délicat.
« Que Juncker remercie son chef de cabinet, cela n’a rien d’anormal ». Début mars, le sujet Selmayr n’en était pas un pour cette source haut placée du gouvernement français, qui ajoutait que les « Français n’ont rien à faire de la nomination de Martin Selmayr, c’est vraiment une obsession de la bulle bruxelloise ».
Selmayr, une étape parmi d’autres
Après l’explosion de colère des eurodéputés, et le ralliement général de tous les élus français pour critiquer sévèrement la nomination en question, le ton a changé. Lors des questions au gouvernement, le 14 mars, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a souligné que la Commission européenne se devait d’être exemplaire et transparente dans son recrutement.
Les droites françaises et allemandes, les Verts, les socialistes, l’extrême-droite comme l’extrême-gauche, tous ont dénoncé à Strasbourg le coup de force, le coup d’État ou l’insulte faite à l’Europe dans cette nomination cavalière.

Les eurodéputés condamnent violemment la nomination de Martin Selmayr

La promotion éclair de Martin Selmayr, conseiller de Jean-Claude Juncker, au poste de Secrétaire général de la Commission européenne déclenche la fureur du Parlement européen.
Alors que l’Elysée s’est embarqué dans un jeu de billard compliqué sur le futur des institutions européennes, l’arrivée brutale d’ un membre de la CDU au poste de secrétaire général de la Commission européenne n’était au départ, pour Paris, qu’une étape parmi d’autres.
Car malgré les apparences de concorde soulignées par la venue d’Angela Merkel à Paris le 16 mars, le mouvement En Marche est à couteaux tirés avec la droite allemande. Laquelle lui reproche ses ambitions européennes tous azimuts.
« Les élections italiennes, échec de l’Europe gouvernée par le PPE»
Ce que Pieyre-Alexandre Anglade, député français En Marche en charge des alliances avec les autres partis européens, ne nie pas.
« Notre analyse, c’est qu’au sein de la droite, il y a un bloc monolithique qui ne veut rien bouger et rien changer : ils finiront sans doute par se rapprocher du parti des conservateurs et réformistes (CRE), qui va devoir faire face au départ des conservateurs britanniques. Mais il y a aussi une frange importante qui souhaite changer d’Europe : les élections italiennes sont un avertissement. L’UE a abandonné l’Italie face à la crise migratoire : c’est l’échec de l’Europe gouvernée par le PPE », tacle le jeune élu.
Côté français, le revers politique au sujet des listes transnationales est resté en travers de la gorge du président français.
Le 7 février, le Parlement européen avait en effet rejeté l’idée d’une liste transnationale portant sur 46 sièges de l’assemblée européenne. Au total, 368 eurodéputés avaient voté contre le projet, et 274 pour, en raison d’un rejet massif du premier parti de la chambre, le Parti populaire européen. Seuls 26 élus du parti de droite avaient alors opté pour les listes transnationales, dont trois Français, Tokia Saïfi, Jérôme Lavrilleux et Arnaud Danjean.
Le poids politique mis par l’Allemagne contre le projet avait tout particulièrement irrité côté français. Un agacement qui a accéléré l’ouverture de la bataille pour les élections européennes, matérialisée par des contacts tous azimuts au sein du PPE. Au point que le président du Parti de droite, le Français Joseph Daul, a tenté de mettre le hola en mettant en garde directement le président français : pas touche au PPE !
L’Allemagne soutient Christine Lagarde dont Macron ne veut pas
Du côté de la chancellerie allemande, l’inquiétude est aussi réelle sur le futur de la droite, chasse gardée d’Angela Merkel depuis des années. La chancellière tenterait d’amadouer Emmanuel Macron en soutenant une présidence française à la tête de la prochaine Commission européenne, à condition qu’il s’agisse de Christine Lagarde, directrice générale du FMI.
«L’Allemagne veut choisir le prochain président français de droite de la Commission européenne », persiffle , agacée, une source bien informée des arcanes bruxelloises.
La France n’envisage pas pour l’heure l’hypothèse Lagarde, même si l’idée d’une présidence française ne déplait pas à Paris. Quitte à devoir soutenir un secrétaire général de la Commission CDU et allemand alors que celui du Parlement européen est déjà un Allemand, Klaus Welle, lui-même originaire de la CDU et ancien secrétaire général du PPE.
Klaus Welle est aussi l’ex collaborateur du président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, qui l’avait placé juste avant de partir, en mars 2009, comme l’ont souligné cette semaine les syndicats du Parlement européen.
Sans compter les têtes d’affiches du Parlement européen : les groupes parlementaires actuels ont à leur tête de nombreux Allemands, à commencer par le Parti populaire européen, avec Manfred Weber, mais aussi le parti des sociaux démocrates, qui devrait mettre Udo Bullman à sa tête d’ici la fin mars, en passant par les Verts, dont la présidence est co-détenue par Ska Keller, jusqu’à la gauche radicale, dirigée par Gabi Zimmer.
Des frictions sur les questions de régulation bancaire
« Ce serait quand même logique de tenter de rétablir l’équilibre politique ! Ce n’est pas parce que l’Allemagne a la première délégation d’élus qu’ils doivent gouverner l’Europe », s’agace un eurodéputé, qui déplore une communication de moins en moins facile avec l’Allemagne sur différents sujets, notamment économiques où la compétition Paris / Francfort après le Brexit a tendu les positions.
La discrète obtention, par Paris, de l’Autorité bancaire qui déménage de Londres à Paris alimente la rancoeur entre les deux pays. Alors que Paris envisage de loger la nouvelle autorité dans les même locaux que l’Esma, l’autorité des marchés financiers déjà présente à Paris, Berlin craint qu’un pôle de régulation ne se forme en France.
Ce qui nuirait à l’influence de la place de Francfort. Des préoccupations qui se traduisent par une certaine frilosité allemande dans les négociations en cours au Parlement européen sur la régulation de l’autorité bancaire après sa relocalisation. Le texte en discussion insiste sur la séparation des trois autorités de régulation (Esma, Eba et Eiopa pour l’assurance) et regrette aussi que le Parlement n’ait pas été consulté sur le sujet de la relocalisation de l’autorité en question, chasse gardée du Conseil européen.
Les discussions vives entre les deux pays sont certes courantes, mais la réforme de la zone euro promise de longue date, sur laquelle Merkel et Macron se sont de nouveau engagés mi-mars, risque de pâtir de cet état de fait.

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