mercredi 22 novembre 2017

Voilà comment l’islamisme se diffuse depuis le Qatar de manière décentralisée et efficace
Couper la jambe d’une étoile de mer, celle-ci ne meurt pas. Au contraire, elle se développe une nouvelle jambe. Mieux encore, la jambe coupée, se transforme, à son tour, en une nouvelle étoile de mer autonome et ainsi de suite !
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Vers le début des années 2000, les Frères musulmans du Qatar avaient décidé, après de longues années de réflexion, d’introspection et de planification stratégique, de dissoudre leur branche islamiste à Doha et de se transformer en une sorte de « courant » de pensée et d’action, mais sans structure centrale et centralisée.
L’idéologie reste la même. Le projet aussi. Le cap du Tamkine ne change pas. Mais la structure administrative, et son affiliation organique au Tanzim International, devaient tenir compte des contraintes et risques majeurs de dissolution et de disparition, constatés sous autres régimes : Egypte, Tunisie, Emirats Arabes Unis et Arabie Saoudite. Une partie des « frères » qataris a accepté la mutation tactique et l’autre pas. L’architecte de cette dissolution pragmatique s’appelle Jassim Sultan (ici). Le même qui a conseillé stratégiquement la chaîne qatarie Al-Jazeera, durant de longues années, lorsque l’autre « frère musulman » palestinien Waddah Khanfar (ici) était le directeur général de la chaîne. Ce dernier est désormais le directeur de la version arabe du site The Hunffigton Post, domicilié à Doha (ici).
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Depuis plus d’une décennie, Jassim Sultan (médecin de formation) conduit un projet nommé Ennahda, invite des jeunes recrues à Doha, diffuse son savoir stratégique et idéologique, publie des livres islamistes dans une maison d’édition nommée Tamkine, attire des leaders fréristes de toute la frérosphère islamiste (Maroc, Koweït, Mauritanie, etc.) vers son centre au Qatar, sillonne le monde pour encadrer des séminaires à l’étranger, un coup à Khartoum, l’autre à Londres, etc.  
Jassim Sultan part d’un constat que dans le monde arabe, il y aurait 15 millions de jeunes qui pourraient jouer un rôle majeur dans la transformation du visage politique et géopolitique de la région. Son idée n’est pas de transmettre le « virus » islamiste et la pensée stratégique à toute cette masse de jeunes, mais uniquement à une masse « critique » opérationnelle et efficace, représentant au moins 1% de l’ensemble de jeunes dans chaque pays. Certains jeunes français deviennent des abonnés de la ligne Paris-Doha.
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Plus question pour lui de sacraliser la structure pyramidale, chère aux dinosaures des Frères musulmans. Place désormais à de nouvelles formes de diffusion de l’idéologie et d’action décentralisée, avançant vers le but ultime du Tamkine en minimisant les risques au maximum. L’idée serait que des jeunes islamistes, formés aux standards idéologiques de la maison-mère, puissent se fondre, un temps, dans un réseau puissant, le plus étendu possible, pour avancer masqués et presque indétectables. Une sorte de stratégie d’action par le biais de plusieurs bandes organisées, jouissant d’une autonomie d’action et de gestion, mais visant toujours le même cap. Pour cela, dans les séminaires de formation supervisés par le « frère » Jassim Sultan, les dernières théories d’organisation et de planification stratégique sont présentées, expliquées et mises en scène. L’on peut citer ce livre The Starfish and the Spider: The Unstoppable Power of Leaderless Organizations, d’Ori Brafmann et de Rod Beckstrom (ici) qui fait figure de référence !
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Jassim Sultan part du constat que la structure des Frères musulmans était, durant plusieurs décennies, semblable à une araignée (Spider). En effet, couper la tête de l’araignée frériste - la guidance suprême située officiellement au Caire - c’est tuer la structure des Frères musulmans. Son ingéniosité « qatarie » lui a permis de changer de paradigme organisationnel et de proposer aux « frères » qataris d’abord, et aux internationaux ensuite, un nouveau prototype permettant d’avancer sous la forme de plusieurs étoiles de mer (Starfish), presque autonome les unes des autres mais toutes porteuses du même ADN idéologique et parfaitement interconnectées (voir figure ci-dessous).
Il part du principe simple et vrai : couper la jambe (ou le bras) d’une étoile de mer, celle-ci ne meurt pas. Au contraire, elle se développe une nouvelle jambe. Mieux encore, la jambe coupée, se transforme, à son tour, en une nouvelle étoile de mer autonome et ainsi de suite, dans une sorte de multiplication à l’infinie. Exemple : couper les 5 jambes d’une étoile, ne tuera pas l’originale mais permettra de récupérer au total 6 étoiles au lieu d’une !  
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Sur la page Facebook de son projet Ennahda, cette stratégie est explicitée par un dessin (ici) montrant les cinq bras de chaque étoile frériste autonome. Cinq bras correspondant aux cinq piliers de la stratégie menée depuis le Qatar, depuis plus d’une décennie, et exportée aux islamistes du monde entier, y compris en Europe et en France. Ces cinq piliers sont (voir schéma au-dessus) :
1- Cercles (autonomes) : essentiels dans ce type d’organisation décentralisée et surtout sans chef. Un cercle est non hiérarchique et assure le sentiment d’égalité entre tous ses membres.
2- Catalyseur : sans pouvoir sur les autres, il gère le bon fonctionnement, modère les échanges et passe le relais quand il le faut. Son rôle est plutôt organisateur qu’autre chose ;  
3- Idéologie : Celle d’Hassan al-Banna et des idéologues fréristes passés et présents de la mouvance ;
4- Réseau : permet de mutualiser les acquis entre les anciennes et les nouvelles structures, favorise l’échange, accélère la diffusion de l’information en un temps record, constitue une importante force de pression et d’influence, permet d’avancer masqué par d’autres … (FOIE, UOIF, FNEM, CMF, ENAR, réseaux islamogauchistes pour soutenir Gaza, réseaux droitiers contre le « Mariage pour tous », etc.) ;
5- Champion (Leader) : Le rôle du catalyseur se limite à gérer un cercle. Celui du champion est d’établir et de promouvoir la création des cercles.
Les stratégies de diffusion de l’idéologie islamiste et de son action se modernisent, inspirées des théories les plus avancées et les plus efficaces, en matière d’organisation et d’optimisation des ressources. La génération jeune des Frères musulmans a compris la caducité des structures hiérarchisées traditionnelles. Ce n’est pas le cas des quelques dinosaures en voie de disparition, ici ou là. La structure en « araignée » semble être dépassée, au moins au Qatar, depuis plus de dix ans. Place désormais aux organismes fréristes sous forme d'étoiles de mer. Les « frères » du Qatar veulent changer le visage du Monde. Leurs étoiles de mer se développent à grande vitesse, dopée par l’argent du pétrole, l’indulgence de l’Emirat, le poids médiatiques, la présence remarquée sur les réseaux sociaux et profitant aussi des structures héritées de l’ancien réseau vieillissant du Tanzim International qui garde bien son secret et sa force, tel la lampe magique d’Aladin.

La France n’est point épargnée. Combien sont-elles au total ? A part ma relative connaissance du réseau associatif de l’UOIF, je n’en ai vraiment aucune idée de l’étendu réel. Comment s’organisent-elles ? Mon essai autobiographique Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans (parution prévue le 7 janvier 2016) propose quelques éléments de réponse.

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