Migration: l’Afrique saisie d’un sursaut d’amour propre
(Ecofin Hebdo) - Un reportage-choc de la chaîne américaine CNN a circulé comme une traînée d’anthrax et déclenché l’ire des Africains. Elle montrait des migrants subsahariens vendus comme esclaves en Libye. Vague d’indignation, manifestations, rapatriement de migrants ont suivi cette vidéo. Mais qui sont ces candidats à l’exil, d’où viennent-ils et pourquoi partent-ils de chez eux, souvent au péril de leur vie?
Si dans l’ensemble, la plupart des flux migratoires se déroulent à l’intérieur du continent africain, (en Afrique occidentale par exemple 70% des flux migratoires se déroulent au sein de cette région) entre 300 000 et un million d’Africains se risquent à affronter la Méditerranée en direction de l’Europe. Pour ces migrants, cette aventure relève d’abord d’une interminable traversée du désert: celui du Sahara. La journaliste française Claire Meynial qui a reçu le prix Albert Londres pour une série de reportages sur les migrants, confiait lors d’une conférence TEDX: «C’est un mélange de pauvreté, d’ignorance, d’espoir et de pression sociale qui poussait les jeunes à partir. Et il n’y avait absolument rien qui pouvait les dissuader.»
A quoi ressemble le migrant africain?
Le migrant africain est généralement jeune (entre 18 et 35 ans), sans emploi ou sous-employé, doté d’un faible niveau d’éducation et ne dispose pas de perspectives d’avenir réelle. Il est la preuve vivante d’une gestion hasardeuse de la jeunesse sur un continent dont la démographie pourrait constituer le principal atout, tout comme se révéler une bombe à retardement.
Le migrant africain est généralement jeune (entre 18 et 35 ans), sans emploi ou sous-employé, doté d’un faible niveau d’éducation et ne dispose pas de perspectives d’avenir réelle.
En effet, indique la Banque africaine de développement (BAD), sur environ 420 millions de jeunes âgés de 15 à 35 ans en Afrique, un tiers n’a pas de travail et est découragé, alors qu’un autre tiers n’occupe que des emplois précaires. Un sur six seulement a un emploi rémunéré. La création d’emploi peine donc à rattraper le rythme de la démographie et seulement trois millions d’emplois formels sont créés annuellement alors que 10 à 12 millions de jeunes Africains entrent sur le marché du travail chaque année.
Dans un pays comme le Niger, par exemple, explique le Chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) français Serge Michaïlof, ils sont 240 000 jeunes à entrer chaque année sur le marché du travail. A l’horizon 2025, avec les mêmes taux de chômages, plus de 250 millions de jeunes se retrouveront au chômage et seront découragés ou économiquement inactifs. Et quand on sait que la population du continent devrait doubler d’ici 2050 et qu’un humain sur quatre sera un africain…
A l’horizon 2025, avec les mêmes taux de chômages, plus de 250 millions de jeunes se retrouveront au chômage et seront découragés ou économiquement inactifs.
Mais le chômage n’est pas la seule raison qui pousse à la migration. En effet, certains des candidats au départ fuient les conflits, l’instabilité ou la repression qui s’abat sur les populations de leurs pays.
Mais le chômage n’est pas la seule raison qui pousse à la migration.
Un coût élevé
La traversée clandestine a un coût, et il est généralement élevé. A ceux qui se demandent pourquoi ils n’investissent pas cet argent à créer des emplois chez eux, Claire Meynial répond que ces migrants se tournent vers des proches pour mobiliser la somme nécessaire, ou alors, ils accumulent durant le voyage en enchaînant les petits boulots. En outre, ils résident pour la plupart dans des pays où les environnements des affaires n’encouragent pas l’initiative privée. Le crédit bancaire y est par exemple inaccessible.
La traversée clandestine a un coût, et il est généralement élevé.
Tout au long du trajet, ils peuvent être victimes de passeurs véreux qui les exploitent. les cas de violations des droits de l’homme, d’abus sexuels, etc. sont légions.
Mais pourquoi partent-ils de chez eux, souvent au péril de leur vie?
Quelles réponses institutionnelles?
Si le président français Emmanuel Macron reconnaît que cette traite des humains «génère 30 milliards d’euros par an, touche malheureusement 2,5 millions de personnes – et 80 % des victimes sont des femmes et des enfants», jusque là la réponse apportée du côté des institutions a été faible.
Les nations occidentales investissent de plus en plus pour empêcher les migrants d’entrer sur leur territoire.
L’Europe pratique la politique du verrouillage de ses frontières. L’immigration est perçue négativement et alimente la résurgence des formations nationalistes et extrémistes qui agitent le spectre du péril d’une invasion des sociétés occidentales. Résultats, les nations occidentales investissent de plus en plus pour empêcher les migrants d’entrer sur leur territoire. A titre d’exemple, l’Allemagne et la Turquie ont dépensé 14 milliards d’USD pour faire face aux flux de réfugiés et de migrants, un montant plus élevé de 25 % par rapport aux budgets des contrôles aux frontières de l’Union européenne sur la période de 2000 à 2015, indique l’organisation internationale des migrations (OIM). Cette politique se traduit par la formation de garde-côtes de pays frontaliers de l’Union, le renvoi des migrants vers leurs pays d’origine.
L’union européenne avait annoncé la création, l’année dernière, d’un fonds de 500 millions de $ pour lutter contre l’immigration illégale tandis que l’Italie a créé son propre fonds de 200 millions de $ qui ira en direction du Niger, plaque tournante de la migration vers l’Europe.
La déréliction de l’Etat Libyen qui a suivi le renversement et l’exécution du guide de la Jammahirya, Muammar Kadhafi a contribué à l’explosion de la migration vers l’Europe via l’Italie.
Mais peu de réponses ont été apportées aux causes directes que sont le chômage et l’instabilité politique. La déréliction de l’Etat Libyen qui a suivi le renversement et l’exécution du guide de la Jammahirya, Muammar Kadhafi a contribué à l’explosion de la migration vers l’Europe via l’Italie. En effet, la Libye, aujourd’hui partagée entre deux gouvernements antagonistes et des milices lourdement armées ne peut plus désormais jouer son rôle d’Etat-tampon. La montée de l’extrémisme islamique et du terrorisme dans le Sahel a permis le développement de ce cancer puisque certains de ces groupes tirent des revenus conséquents de ce trafic.
En outre, pour critiquable qu’elle puisse être, l’immigration clandestine ne connaîtra de fin que si les dirigeants y apportent une réponse politique et socio-économique. En effet, indique la BAD, au cours des trois dernières décennies, les envois de fonds à destination de l’Afrique ont été multiplies par plus de 9, dépassant le montant total combiné des investissements directs étrangers (IDE) et de l’aide publique au développement (APD).
Quand la vidéo de CNN est publiée, le pouvoir ivoirien rapatrie 155 migrants. Il sera bientôt suivi du gouvernement camerounais. De son côté, le Rwanda se propose de fournir un emploi à environ 30 000 d’entre eux. Un pas. Un petit. Mais, peut-être, le début d’une longue marche vers le retour de l’espoir.
Aaron Akinocho
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire