Trump acceptera-t-il la guerre permanente du Pentagone en Irak, en Afghanistan et en Syrie ?
Si Trump approuve les propositions attendues pour les trois pays, le rôle des États-Unis en matière de combats terrestres dans la région sera prolongé pour les années à venir.
Les deux principaux responsables de la sécurité nationale au sein de l’administration Trump – le secrétaire à la Défense James Mattis et le conseiller à la sécurité nationale H.R. McMaster – tentent d’assurer les rôles de combat terrestre et aérien des États-Unis sur le long terme dans les trois guerres prolongées qui touchent le Grand Moyen-Orient – l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie.
Les propositions pour chacun de ces trois pays sont en cours d’élaboration et il n’y a pas de consensus, même entre Mattis et McMaster, quant aux détails des plans. Ceux-ci seront soumis à Trump séparément, le plan pour l’Afghanistan devant notamment arriver quelque temps avant le sommet de l’OTAN prévu le 25 mai à Bruxelles.
Mais si ce jeu de pouvoir est fructueux sur un ou plusieurs de ces trois plans, cela pourrait garantir le prolongement des combats terrestres américains dans le Grand Moyen-Orient pour de nombreuses années à venir – et représenterait un point culminant de la « guerre générationnelle » annoncée initialement par l’administration George W. Bush.
« Un engagement illimité »
Il reste à voir si le président Donald Trump approuvera les propositions en faveur desquelles Mattis et McMaster ont fait pression au cours des dernières semaines.
À en juger par la position qu’il a adoptée au cours de la campagne et ses propos récents, Trump pourrait bien se montrer hésitant face aux plans avancés actuellement par ses conseillers.
Les plans pour les trois pays, en cours d’élaboration au sein de l’administration Trump, englobent le stationnement à long terme de troupes, l’accès aux bases et le pouvoir de mener la guerre dans ces trois pays.
Ce sont les intérêts primordiaux du Pentagone et des dirigeants militaires américains, des intérêts qu’ils poursuivent avec plus de succès au Moyen-Orient que partout ailleurs sur la planète.
Les responsables militaires américains ne parlent pas de stationnement « permanent » de troupes et de bases dans ces pays, préférant se référer à l’« engagement illimité » de troupes. Mais c’est clairement ce qu’ils veulent précisément dans les trois cas.
Des changements de calendrier
Les administrations George W. Bush et Barack Obama ont toutes deux nié officiellement qu’elles recherchaient des « bases permanentes » en Irak et en Afghanistan. Mais en filigrane, les deux cas racontaient une autre histoire.
Un responsable du département de la Défense témoignant devant le Congrès à l’époque a reconnu que le terme n’avait aucune signification réelle dans la mesure où le Pentagone ne l’avait jamais défini officiellement.
En réalité, au début des négociations avec l’Irak sur la présence militaire américaine en 2008, les États-Unis ont cherché à accéder à des bases en Irak sans limite dans le temps. Mais le gouvernement al-Maliki a repoussé cette demande et les États-Unis ont été forcés d’accepter de retirer toutes les forces de combat selon un calendrier strict.
Malgré les efforts déployés par le Pentagone et les hauts gradés militaires, notamment le général David Petraeus, pour que l’administration Obama renégocie l’accord avec le gouvernement irakien pour permettre à plusieurs dizaines de milliers de membres des troupes de combat de rester dans le pays, les Irakiens ont refusé les demandes américaines d’immunité vis-à-vis de poursuites en Irak et les États-Unis ont dû retirer toutes leurs troupes.
Les retraits renversés
Aujourd’hui, le contexte régional a considérablement évolué en faveur des ambitions de l’armée américaine. D’une part, la guerre contre l’État islamique atteint son point culminant en Irak et en Syrie et le gouvernement irakien reconnaît la nécessité d’augmenter les troupes américaines pour s’assurer que l’organisation ne puisse pas se relever ; de même, en Syrie, la division du pays en zones de contrôle qui dépendent de puissances étrangères est un fait primordial.
Dans le même temps, en Afghanistan, le pouvoir et le contrôle croissants des talibans à travers le pays sont désignés comme la raison d’être d’une proposition visant à renverser les retraits des troupes des États-Unis et de l’OTAN qui ont eu lieu ces dernières années et à permettre un retour limité des forces américaines au combat.
À l’heure où les forces de l’État islamique sont chassées de Mossoul, l’administration Trump et le gouvernement irakien commencent à se concentrer sur la façon de s’assurer tout retour des terroristes.
Ils négocient actuellement un accord qui permettrait de stationner indéfiniment les forces américaines en Irak. Et ces troupes ne seraient pas là dans le simple but de vaincre l’État islamique, mais également pour mener à bien ce que les bureaucraties de guerre décrivent comme des « opérations de stabilisation », à savoir l’implication dans la construction d’institutions politiques et militaires locales.
Les plans pour la Syrie
La question de la marche à suivre au sujet de la Syrie fait apparemment l’objet d’une lutte intestine entre Mattis et le Pentagone d’une part et McMaster d’autre part.
Le plan initial pour la défaite de l’État islamique en Syrie, soumis à Trump en février, appelait à augmenter le contingent de forces terrestres américaines au-delà du niveau actuel situé à 1 000 unités.
Toutefois, un groupe d’officiers qui a travaillé en étroite collaboration avec le général Petraeus sur l’Irak et l’Afghanistan, dont McMaster, a fait pression en faveur d’un plan beaucoup plus ambitieux, dans lequel des milliers – et peut-être plusieurs milliers – de soldats des troupes terrestres américaines allaient diriger une coalition de troupes arabes sunnites dans le but de détruire les forces de l’État islamique en Syrie au lieu de compter sur les forces kurdes pour faire le travail.
Le plan originel tout comme le plan avancé par McMaster pour la Syrie impliqueraient également des troupes américaines dans des « opérations de stabilisation » sur de nombreuses années dans une vaste étendue de l’est de la Syrie, qui nécessiteraient un grand nombre de soldats pendant de nombreuses années.
La dépendance vis-à-vis des alliés arabes sunnites et la conception d’une vaste zone de contrôle militaire américaine en Syrie font que ce plan ressemble de manière frappante à celui qui a été développé pour Hillary Clinton par le Center for New American Security lorsqu’elle était considérée comme la future présidente.
L’inversion de la politique d’Obama en Afghanistan
La proposition du Pentagone pour l’Afghanistan, qui n’avait pas été officiellement soumise par Mattis avant cette semaine, appelle à accroître le contingent actuel de 8 400 soldats américains en Afghanistan à hauteur de 1 500 à 5 000 soldats, à la fois pour former les forces afghanes et pour combattre les talibans. Elle appelle également à relancer les frappes aériennes américaines à grande échelle contre les talibans. Ces deux changements de politique reviendraient à renverser les décisions prises par l’administration Obama.
Cinq précédents commandants américains en Afghanistan, dont Petraeus, ont publiquement appelé les États-Unis à s’engager en faveur d’un « partenariat durable » avec le gouvernement afghan. Cela implique, d’après leur déclaration conjointe, de mettre fin à la pratique des réévaluations périodiques comme base pour déterminer si les États-Unis doivent continuer à s’impliquer militairement dans la guerre, une idée qui fait vraisemblablement partie de l’ensemble actuellement formulé par Mattis.
Mais le problème d’un tel plan est que cela fait désormais seize ans que l’armée américaine et son gouvernement client afghan tentent de réprimer les talibans. Plus ils ont essayé, plus les talibans se sont renforcés. Les États-Unis et l’OTAN n’ont pas été en mesure de faire pression sur les talibans pour les pousser à négocier avec le gouvernement, même s’ils avaient plus de 100 000 soldats dans le pays.
Engager les États-Unis en faveur d’une guerre sans fin en Afghanistan ne fera que renforcer la corruption, les abus de pouvoir et la culture de l’impunité dans le pays, ce qui, comme le général Stanley A. McChystal l’a reconnu en 2009, formaient les principaux obstacles à la réduction du soutien aux talibans. Seul le fait de savoir que les États-Unis permettront aux Afghans eux-mêmes de déterminer l’avenir du pays pourrait choquer suffisamment l’élite politique pour la pousser à changer de mode d’action.
La plupart des élites politiques et de la sécurité nationale ainsi que des médias d’information internes soutiennent les pressions exercées pour formaliser une présence américaine permanente en Afghanistan, malgré le fait que les sondages nationaux indiquent qu’il s’agit de la guerre la plus impopulaire de l’histoire américaine – 80 % des personnes interrogées lors d’un sondage réalisé par CNN en 2013 se sont prononcées contre sa poursuite.
Une bagarre entre initiés de Washington ?
Il y a des signes qui indiquent que Trump pourrait rejeter au moins les plans pour l’Afghanistan et la Syrie. Quelques jours seulement après son accord pour la frappe de missiles contre une base aérienne russo-syrienne, Trump a déclaré dans une interview accordée à Fox Business : « Nous n’irons pas en Syrie. »
De même, le porte-parole de la Maison Blanche Sean Spicer a semblé laisser entendre cette semaine que Trump n’était pas emballé par le plan consistant à passer de nombreuses autres années à essayer de « transformer » l’Afghanistan. « Il y a une différence entre l’Afghanistan à proprement parler et l’effort que nous déployons pour vaincre l’État islamique », a déclaré Spicer.
Malgré l’amour de Trump pour les hauts gradés militaires, le processus décisionnel sur la série de nouvelles initiatives visant à engager plus profondément les États-Unis dans trois guerres du Grand Moyen-Orient est voué à susciter des conflits entre les intérêts politiques de la Maison-Blanche et les intérêts institutionnels du Pentagone et des dirigeants militaires.
Gareth Porter, journaliste d’investigation indépendant, est le lauréat 2012 du prix Gellhorn du journalisme. Il a publié récemment : Manufactured Crisis: The Untold Story of the Iran Nuclear Scare (Une crise fabriquée de toutes pièces : les origines secrètes de la hantise d’un Iran nucléaire).
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