Sur les côtes du Texas, les banques françaises se mouillent une nouvelle fois du côté de Trump contre la justice climatique
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BNP Paribas, Société générale et les autres grandes banques françaises se retrouvent à nouveau sur la sellette pour leur soutien aux projets de développement des énergies sales aux États-Unis. Après le Dakota Access Pipeline, c’est un ensemble de trois terminaux géants d’exportation de gaz de schiste, à l’extrême sud du Texas, qui est en ligne de mire, pour ses conséquences à la fois sur le climat et sur les communautés locales, dans une région pauvre peuplée à 90% de latinos. « Pourquoi les banques françaises soutiennent-elles la politique de Trump ? », se demandent les militants locaux.
Sur la forme, Donald Trump maintient encore l’ambiguïté sur l’adhésion des États-Unis à l’Accord de Paris sur le climat. Sur le fond, on peut se demander si cela ferait réellement une différence. Le président américain a peuplé son administration de climato-sceptiques et de représentants des lobbys des énergies fossiles. Il a déjà remis en cause nombre de régulations environnementales et ne cache pas son souhait de relancer l’exploitation du charbon et du gaz de schiste. Pour le charbon, la cause est peut-être largement perdue. En revanche, les perspectives d’une exportation à grande échelle du gaz de schiste vers les marchés européens et asiatiques, pour écouler le surplus américain sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), sont bien réelles. Avec des conséquences potentiellement tout aussi dommageables pour le climat.
Seuls deux terminaux de liquéfaction de gaz de schiste en vue de son exportation sont pour l’instant opérationnels. Leur opérateur Cheniere a signé dès 2015 des contrats avec EDF et Engie [1] pour approvisionner les réseaux français (lire notre article). Mais pas moins de 60 projets supplémentaires de nouveaux terminaux d’exportation sont proposés en Amérique du Nord. Une quarantaine seraient localisés aux États-Unis, dont la majorité sur les côtes du Golfe du Mexique. Trois d’entre eux seraient situés à l’extrême sud du Texas, à proximité de l’embouchure du Rio Grande et de la frontière mexicaine. La région, où vivent 90% de latinos, figure parmi les plus pauvres des États-Unis. Mais elle est aussi restée relativement préservée, cas quasi unique en son genre sur la côte du Golfe, des ravages de l’industrie pétrolière. Ses habitants tentent de se forger un avenir en développant l’écotourisme et la pêche des crevettes. Un avenir qui pourrait se trouver barré par la construction de terminaux méthaniers géants – Texas LNG, Rio Grande LNG et Annova LNG - sur une zone humide.
Implication contestée des banques françaises
Ces projets bénéficient – encore une fois - du soutien appuyé de banques françaises. Le projet Texas LNG reçoit depuis 2015 les conseils exclusifs de BNP Paribas. Très récemment, la Société générale a pris le relais d’une banque japonaise comme conseil financier de Rio Grande LNG – un projet sept fois plus important, fièrement qualifié par sa dirigeante de « plus grand projet GNL au monde ». Au total, selon le rapport et de leurs partenaires américains sur ce projet] publié par une coalition d’organisations écologistes dont les Amis de la terre France, « brûler le gaz exporté par ces terminaux (à pleine capacité) émettrait autant de gaz à effet de serre que les émissions annuelles de 30 centrales à charbon ». Sans compter les émissions fugitives de méthane, un gaz à effet de serre 86 fois plus puissant que le CO2 à l’horizon de 20 ans. Ni l’effet d’encouragement d’une exploitation encore plus intensive du gaz de schiste aux États-Unis.
Ce n’est pas une première : toutes les grandes banques françaises – BNP Paribas et Société générale, mais aussi Crédit agricole et BPCE-Natixis – sont impliquées à plusieurs niveaux dans le Dakota Access Pipeline, ce fameux oléoduc destiné à transporter le pétrole de schiste du Dakota vers le reste des États-Unis et qui a été bloqué plusieurs mois par la résistance des Sioux de Standing Rock (lire notre article). Si ces derniers ont finalement obtenu de l’administration Obama qu’elle fasse cesser les travaux, il n’a pas fallu longtemps à Trump pour revenir sur cette décision. Début mai, avant même que le Dakota Access Pipeline soit pleinement opérationnel, il a déjà connu sa première fuite de pétrole – quelques centaines de litres de brut, dans le Dakota du Sud – confirmant les pires craintes des opposants. Début mai, BNP Paribas a finalement annoncé avoir revendu ses droits dans le prêt syndiqué accordé pour l’oléoduc, mais seulement après en avoir versé la dernière tranche et sans remettre en cause ses liens avec l’entreprise qui porte le projet et d’autres similaires, Energy Transfer Partners. « Une démarche totalement hypocrite », juge Lucie Pinson, des Amis de la terre.
Des dizaines de nouveaux projets d’oléoducs et de gazoducs
Trump a également relancé l’oléoduc Keystone XL, destiné à transporter les sables bitumineux canadiens en vue de leur exportation, et dont le tracé affectera lui aussi de nombreuses terres indigènes. Selon les ONG, « les risques d’un financement [du Keystone XL] par Crédit agricole ne sont pas négligeables car non seulement la banque n’a aucune politique interdisant le financement des sables bitumineux, mais elle est l’unique banque française à financer les quatre entreprises qui portent ces projets », à commencer par TransCanada, à laquelle elle aurait accordé quatre nouvelles facilités de crédit en décembre 2016, suite à l’élection de Trump. D’une certaine manière, le Dakota Access Pipeline et la lutte emblématique des Sioux de Standing Rock sont l’arbre qui cache la forêt. De nombreux projets de nouveaux gazoducs ou oléoducs sont proposés dans tous les États-Unis pour faciliter la circulation et en dernière instance la combustion et l’exportation des énergies fossiles. Et ces oléoducs et gazoducs traversent souvent des terres amérindiennes. À l’autre bout du Texas, les gazoducs Comanche Trail et Trans-Pecos – eux aussi des projets d’Energy Transfer Partners, destinés à acheminer le gaz texan vers le Mexique – ont été temporairement bloqués par un camp de militants amérindiens. En Louisiane, l’oléoduc Bayou Bridge – encore un projet d’ETP ! – doit traverser la plus importante zone humide des États-Unis et les terres du peuple Houma. Un autre projet, l’oléoduc Diamond doit relier l’Oklahoma au Tennessee et pourrait affecter plusieurs sites associés à la « piste des larmes », l’exode forcé de plusieurs peuples amérindiens à l’Ouest du Mississipi dans les années 1830. Et ainsi de suite.
Les terminaux de la vallée du Rio Grande ne font pas exception. Ils sont liés à plusieurs projets de gazoducs qui les connecteraient aux gisements de gaz de schiste d’Eagle Ford, en plein boom, dont le Valley Crossing Pipeline et le Texas-Tuxpan Pipeline, deux projets dans lesquels est impliquée TransCanada, l’entreprise derrière le KeyStone XL.
Grand projet imposé
L’empreinte au sol d’installations industrielles comme les terminaux méthaniers est considérable : 250 hectares pour le seul projet Texas LNG. Au total, plusieurs centaines d’hectares seront donc nécessaires, en plus de l’élargissement du chenal du port de Brownsville pour permettre le passage de navires méthaniers géants. L’emplacement choisi n’est autre qu’une réserve naturelle abritant une biodiversité menacée, dont l’ocelot et le faucon aplomado. Symbole des régressions de l’ère Trump : la zone humide qui pourrait se trouver effacée par les terminaux GNL est considérée par l’administration fédérale elle-même comme l’un de ses projets de restauration environnementale les plus réussis des dernières décennies. C’est aussi une terre traditionnelle de la tribu Esto’k Gna, abritant des sites sacrés, le lieu des premiers contacts entre Amérindiens et Européens sur la côte du golfe du Mexique. Les porteurs du projet Texas LNG ont omis de les consulter, préférant s’adresser à d’autres tribus reconnues au niveau fédéral (ce qui n’est pas le cas des Esto’k Gna), mais sans attaches dans cette partie de l’État. « C’est la même chose depuis 500 ans, dénonce Juan Mancias de la tribu Esto’k Gna. Nous avons été occupés par les Espagnols, par les Mexicains, puis par les Texans, puis par les Américains. Et maintenant c’est l’industrie pétrolière. » Les ONG soulignent que paradoxalement, si les projets de terminaux méthaniers avaient été situées à quelques kilomètres au sud, de l’autre côté de la frontière mexicaine, leurs promoteurs et les banques qui les conseillent auraient eu à satisfaire des exigences bien plus rigoureuses de consentement des peuples indigènes et de préservation de la biodiversité…
La région, séparée du reste du Texas par une bande de désert, subit déjà les conséquences de la militarisation de la frontière avec le Mexique. « Il y a une ligne de check-points à 100 miles au nord de la frontière, témoigne Rebekah Hinojosa, de l’organisation locale « Save Rio Grande Valley from LNG ». Si je veux me rendre ailleurs au Texas je dois montrer mes papiers ! » Un mur existe déjà sur place à la frontière avec le Mexique, qui ferme l’accès au Rio Grande. Les garde-frontières sont partout.
Sur place, la plupart des gens sont résolument opposés aux projets de terminaux méthaniers. Outre les atteintes au tourisme et à la pêche aux crevettes, les deux piliers de l’économie locale, ils craignent les conséquences de ces projets industriels en termes de pollution de l’air, notamment aux particules fines. Sans parler des risques d’accidents ou ceux liés aux ouragans et à la montée du niveau des mers. Plus d’un tiers de la population de la zone vit sous le seuil de pauvreté, avec un accès aux soins très limités et parfois sans assainissement. La centaine d’emplois permanents promise par les industriels ne suffit pas à les rassurer, alors que ceux liés à la pêche et au tourisme se comptent en milliers. Les collectivités affectées ont donc toutes passé des résolutions contre la construction des terminaux. Mais ce n’est pas à elles que reviendra la décision finale, qui sera prise à Houston et à Washington, dans un contexte où les faibles remparts dressés par Obama contre la toute-puissance de l’industrie pétrolière sont en train d’être balayés.
Boom gazier
Qu’il s’agisse d’oléoducs, de gazoducs ou de terminaux gaziers, de gaz de schiste ou de sables bitumineux, la logique qui préside à tous ces projets est la même : celle de développer une offre massive d’énergies fossiles, pour inonder les marchés internationaux et passer outre dans les faits les objectifs de l’Accord de Paris. Longtemps, les militants du climat se sont concentrés sur le charbon, réputée la plus polluante des énergies fossiles et la principale source de gaz à effet de serre au niveau mondial. Au fil des campagnes, à commencer par la première victoire contre leur implication dans les mégaprojets du bassin de Galilée dans le nord-est de l’Australie, ils ont obtenu que les banques et autres institutions financières françaises commencent à se désengager du charbon (lire nos articles ici et là). Ils tournent désormais leurs regards vers d’autres sources d’énergies fossiles tout aussi nocives pour le climat, notamment les sables bitumineux, le gaz de schiste et les autres hydrocarbures non conventionnels. De nombreux experts estiment en effet que contrairement aux prétentions de l’industrie pétrolière, qui présente aujourd’hui le gaz comme une énergie « propre », complément naturel des énergies renouvelables, le gaz de schiste émet tout autant de gaz à effet de serre que le charbon si l’on tient compte des émissions fugitives de méthane associées à son extraction et son transport (lire nos articles ici et là).
Des militants amérindiens de Standing Rock, de la vallée du Rio Grande et d’autres régions des États-Unis sont cette semaine à Paris, à l’invitation des Amis de la terre, pour participer aux assemblées générales des grandes banques françaises et les interpeller sur leur rôle outre-Atlantique. Lundi 22 mai au matin, ils ont construit un oléoduc symbolique au sein d’une agence de la Société générale à Paris. « Nous nous mobilisions déjà contre BNP Paribas pour son soutien au projet Texas LNG. Qu’une autre banque française, la Société générale, se trouve derrière un projet qui menace nos emplois, notre santé et qui impliquera plus de fracturation hydraulique sur nos terres alors que cette technique est interdite en France est révoltant », déclare Rebekah Hinojosa.
Les banques sommées de choisir entre Trump et le climat
La direction de BNP Paribas a déjà indiqué, en réponse aux ONG, qu’elle étudiait les risques associés au projet Texas LNG et réfléchissait à l’élaboration d’une « stratégie » spécifique sur les énergies fossiles non conventionnelles comme les sables bitumineux et le gaz de schiste. Selon le rapport « Shorting the climate », BNP Paribas figure parmi les principaux financeurs mondiaux aussi bien du « pétrole extrême » (sables bitumineux, forages en Arctique et en eaux très profondes) que du gaz naturel liquéfié, avec 14,68 et 14,72 milliards de dollars investis dans ces secteurs entre 2013 et 2015.
Trump sera à la fin de la semaine à Bruxelles, pour le sommet de l’OTAN, dans le cadre de son premier voyage officiel à l’étranger. Il sera accueilli par de nombreuses manifestations, certaines le ciblant lui-même, d’autres ses soutiens en Europe, particulièrement dans les milieux économiques. L’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory organise un « lobby tour » spécial. Car au-delà des cas de soutien direct des intérêts économiques européens à Donald Trump et à ses politiques (lire nos articles sur les cas Suez et Lafarge, ainsi que notre enquête sur la participation des firmes françaises au financement des campagnes électorales américaines en 2016), nombreux sont aussi ceux, du secteur de la sécurité et de l’armement à celui des privatiseurs, n’attendent que de profiter de ses politiques. Les banques françaises répondront-elles à l’interpellation ?
Olivier Petitjean
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Photos : Rainforest Action Network (une) / Claire Dietrich / Amis de la terre (action Société générale).
Photos : Rainforest Action Network (une) / Claire Dietrich / Amis de la terre (action Société générale).
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