Galactéros : Moyen-Orient, les questions qui fâchent #1
Un front occidental composite et peu crédible, une coalition anti-Assad constituée... d'islamistes, et des enjeux inavouables derrière le cessez-le-feu en Syrie.
PAR CAROLINE GALACTÉROS
Modifié le - Publié le | Le Point.fr
Derrière le paravent d'un cessez-le-feu très partiel, prélude à des pourparlers improbables, l'écœurement grandit. Devant les combats qui font toujours rage, devant les populations civiles sacrifiées, devant les doubles jeux entêtés, certaines questions gênantes ne peuvent plus être tues. Que voulons-nous donc réellement en Syrie ? Que la guerre cesse enfin et que le pays retrouve un équilibre sécuritaire et institutionnel soutenable, ou que ce peuple soit définitivement livré aux forces déstabilisatrices qui ont juré la perte du régime de Bachar el-Assad pour s'emparer de ce « hub » énergétique cardinal qui leur résiste et y installer un pouvoir sunnite impitoyable et nullement démocratique, lui-même éclaté entre mille phalanges rivales ?
Un attelage composite
« La coalition occidentale », attelage composite, emballé, tirant à hue et à dia, a perdu sa crédibilité politique et sa légitimité défaille. Cette appellation commode ne fait plus illusion. Elle recouvre un alliage contre nature de pays européens, anglo-saxons, arabes sunnites (monarchies du Golfe) jusqu'au Pakistan et surtout à la Turquie – dont on a voulu oublier qu'elle était dirigée par un islamiste se rêvant en nouveau Grand Turc –, qui tous, à des niveaux divers, semblent faire in fine le jeu de Daech. On ferait mieux de parler de « coalition anti-Assad », et surtout de « coalition antirusse (et anti-iranienne). Qui est donc notre véritable ennemi ? Daech ou la Russie ? Si l'on en croit le général Philip Breedlove, commandant suprême des Forces américaines et alliées en Europe (Saceur), la Russie constitue « une menace existentielle de long terme » pour l'Amérique et ses alliés européens. Vladimir Poutine « n'est pas un partenaire pour les enjeux de sécurité » et pousse par ses frappes aériennes la population syrienne à l'exode… pour déstabiliser l'Europe ! (sic) L'Otan, donc, « doit se préparer au combat contre la Russie ». On croit rêver ou plutôt cauchemarder en replongeant aux pires heures de la guerre froide et de sa rhétorique belliqueuse… et belligène.
Al-Qaïda et sa face sombre, l'organisation État islamique
Mais de qui donc Daech est-il l'épouvantail ? D'Al-Qaïda peut-être, dont les avatars et émules sont parties prenantes de toutes les coalitions de « rebelles modérés » syriens que nous soutenons ou encourageons sur le terrain. Le camp de la « rébellion » anti-Assad est en effet une mosaïque inextricable d'islamistes, dont 80 % sont des groupes reconnus comme « terroristes » par les Nations unies ou des « groupes salafistes extrémistes ». En fait, on a affaire à un inquiétant dégradé de vert. Du plus foncé, quasi noir (l'IS) au plus clair, le vert d'eau (pour les interlocuteurs jugés respectables). Mais on retrouve le Front al-Nosra, id est Al-Qaïda, ouvertement ou de manière indirecte, à l'origine de toutes les alliances et de bien des « scissions ». L'imposture est claire : Al-Qaïda - et, en amont, sa face sombre, l'organisation État islamique - a disséminé ses hommes sous des voiles présentables, acceptables pour les pudeurs occidentales. Ils ressortent tous pourtant de la même source salafiste djihadiste, de tendance wahhabite ou Frères musulmans, selon la nationalité, saoudienne, qatarie ou turque, de leurs parrains.
Que deviendrait la Syrie sous leur coupe ? On préfère ne pas y penser. Les politiques occidentaux, eux, l'envisagent manifestement sans effroi. Quoi qu'il en soit, il apparaît de plus en plus évident que ces « gentils organisateurs » de la terreur syrienne et internationale réalisent qu'ils ne parviendront pas à renverser ce régime honni mais surtout convoité pour ses richesses et sa position géostratégique à la croisée des routes énergétiques mondiales. La Syrie ne basculera pas dans l'escarcelle sunnite. C'était le programme saoudo-turco-qatari avec, a minima,l'accord tacite de Washington soulagé de pouvoir ainsi rééquilibrer un « arc chiite » - et les projets de gazoducs liant l'Iran à l'Irak, la Syrie et la Russie - menaçant pour les intérêts saoudiens, turcs et qataris. Un axe formé à partir de l'invasion américaine de l'Irak en 2003, puis renforcé avec l'assouplissement de la relation avec l'Iran. Diviser pour régner. Une vieille et bonne recette. Mais les milices sunnites « rebelles » - dont les membres sont de vulgaires mercenaires passant d'une allégeance à une autre, y compris vers Daech s'il les paie mieux - réalisent que les négociations de paix se feront sur la base d'un rapport de force militaire qui leur est désormais défavorable. L'Amérique, faisant de nécessité vertu, est engagée dans une course type « le lièvre et la tortue » pour pouvoir revendiquer aux côtés des Russes sa part de victoire militaire et politique. Tout en fomentant sa vengeance contre Moscou en Europe, grâce aux sanctions, à la réactivation de la guerre civile ukrainienne et la posture de plus en plus agressive prise par l'Otan.
Washington ne peut que laisser faire Vladimir Poutine
Désormais pourtant, sauf à « lâcher les chiens » turcs et saoudiens sur le terrain et à entrer en confrontation militaire ouverte avec Moscou, Washington ne peut que laisser faire Vladimir Poutine, en compensant par endroits et moments son recul régional global. Les apparentes contradictions des actions et prises de position américaines, l'éparpillement des soutiens aux rebelles, le soutien aux Kurdes… et aux Turcs, à al-Nosra... et contre lui relèvent d'une méthode bien rodée qui consiste à placer le maximum de fers au feu, à financer par saupoudrage le maximum de groupuscules pour, le moment venu, choisir un interlocuteur dominant subitement promu « légitime », autour duquel doivent s'agréger les autres acteurs ; un interlocuteur dès lors massivement appuyé politiquement et financièrement. Par son intervention, Moscou a troublé cette manœuvre d'usure qui faisait le jeu des plus radicaux. Mais Poutine, qui cherche aussi la négociation, notamment avec Riyad, sait faire des gestes tactiques d'apaisement qui le servent dans son jeu global avec Washington. Aussi se montre-t-il désormais prudent vis-à-vis de son allié iranien en suspendant la livraison des missiles sol-air S300 à Téhéran, dont les services israéliens lui auraient prouvé qu'ils risquaient de tomber entre les mains du Hezbollah libanais, à pied d'œuvre en Syrie. Un Hezbollah qu'il s'agit d'affaiblir au moins momentanément pour atteindre peut-être un compromis entre Moscou, Riyad, Washington et Téhéran. Pour l'heure, quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, face à une Russie qui domine militairement le théâtre et veut contraindre les autres acteurs à dévoiler leur stratégie ou à s'aligner sur son projet (consolidation de l'État syrien passant par sa fédéralisation éventuelle et lutte univoque contre tous les mouvements islamistes), Washington poursuit cette tactique d'éclatement et de dispersion des groupes criminels.
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