(La croissance de l'occident ne passe plus par la soumission et le pillage des pays du sud pour assurer la prospérité des citoyens occidentaux depuis que la finance anglo-américaine s'est retournée contre ses propres états pour les piller comme ils l'ont fait avec les pays du sud. C'est elle qui est en question dans son refus d'une remise en cause de sa toute puissance. note de rené)
Kissinger explique comment éviter une troisième guerre mondiale
Kissinger est l’une des voix les plus importantes de la politique étrangère américaine. C’est un pur et dur et certainement un criminel de guerre. Il a été directement impliqué dans le coup d’État de 1973 au Chili et aussi dans la brutale guerre du Vietnam. Il est donc tout sauf pacifiste, au contraire. Cependant, sur des questions géostratégiques clés comme la Chine et l’Ukraine, il est sur une longueur d’onde différente de celle des bellicistes actuels au sein de l’élite américaine. Il est utile de considérer les arguments de cette importante voix dissidente au sein de l’establishment.
Vers une confrontation entre les États-Unis et la Chine ?
À l’occasion de son centenaire, Kissinger a accordé une longue interview à The Economist. Il y exprime sa profonde inquiétude quant à la situation mondiale actuelle, et plus particulièrement sur une éventuelle confrontation entre les deux superpuissances d’aujourd’hui : les États-Unis et la Chine.
Selon lui, « les deux parties se sont convaincues que l’autre représente un danger stratégique« . À Pékin, on est arrivé à la conclusion que les États-Unis feraient tout pour maintenir la Chine à terre et ne les traiteraient jamais sur un pied d’égalité. À Washington, on pense que la Chine veut supplanter les États-Unis en tant que leader mondial.
Kissinger est particulièrement alarmé par la concurrence croissante entre les deux superpuissances pour acquérir une supériorité technologique et économique. Il craint que cette rivalité ne soit alimentée par l’intelligence artificielle.
Il note que l’équilibre des forces et la base technologique de la guerre évoluent très rapidement. Par conséquent, il n’existe plus de principe fixe sur base duquel les nations peuvent créer un ordre. Et si elles ne trouvent pas cet ordre, elles peuvent recourir à la violence.
Selon Kissinger, « nous nous trouvons dans la situation classique d’avant la Première Guerre mondiale, où aucune des parties ne dispose d’une grande marge de concession politique et où toute perturbation de l’équilibre peut avoir des conséquences catastrophiques« . La différence avec cette époque est que, dans le conflit actuel, nous sommes dans une situation de « destruction mutuelle assurée ».
Le sort de l’humanité dépend de l’entente entre les États-Unis et la Chine. Et le temps presse. Compte tenu des progrès rapides de l’IA et de ses applications militaires potentielles, il estime que nous n’avons que cinq à dix ans pour trouver un moyen de nous entendre.
Diplomatie
Ce n’est vraiment pas une pensée réjouissante. Mais Kissinger n’est pas un prophète de malheur pour autant. La peur de la guerre donne des raisons de garder espoir. Il pense qu’il est encore possible pour la Chine et les États-Unis de coexister sans la menace d’une guerre totale, même si le succès n’est pas garanti.
Sa riche expérience lui montre qu’une diplomatie déterminée est le seul moyen d’éviter un conflit désastreux. Idéalement, cela se fait sur base de valeurs partagées. Il est convaincu qu’il est possible de créer un ordre mondial fondé sur des règles auxquelles l’Europe, la Chine et l’Inde pourraient adhérer.
Les négociations entre les deux superpuissances peuvent contribuer à instaurer une confiance mutuelle. Cette confiance conduira ensuite à la retenue de part et d’autre. Il faut donc négocier au lieu d’aller à l’extrême dans une épreuve de force, car « si l’on se fie entièrement à ce que l’on peut obtenir par la force, on risque de détruire le monde« .
Une compréhension correcte de la Chine
Kissinger met en garde contre une mauvaise interprétation des ambitions de la Chine. Selon lui, le géant asiatique « ne cherche pas à dominer le monde au sens hitlérien du terme. Ce n’est pas ainsi qu’ils pensent ou n’ont jamais pensé l’ordre mondial« . La guerre était inévitable pour l’Allemagne nazie parce qu’Adolf Hitler en avait besoin, mais ce n’est pas le cas de la Chine.
Il considère le système chinois comme confucéen, ce qui signifie que les dirigeants ne cherchent pas à dominer, mais à atteindre le maximum de puissance dont leur pays est capable. Ils cherchent également à être respectés pour leurs réalisations.
Kissinger estime que l’attitude « tout ou rien » des États-Unis à l’égard de la Chine est dangereuse. Si les États-Unis veulent trouver un moyen de vivre avec la Chine, ils ne doivent pas chercher à changer de régime.
L’effondrement d’un régime communiste entraînerait une guerre civile pour 1,4 milliard de personnes et ne ferait qu’accroître l’instabilité mondiale. « Il n’est pas dans notre intérêt de conduire la Chine à la dissolution« , a déclaré Kissinger.
Taïwan et l’IA
Kissinger voit deux domaines dans lesquels les États-Unis et la Chine peuvent négocier pour promouvoir la stabilité mondiale : Taïwan et l’intelligence artificielle.
Tout d’abord, Taïwan. Kissinger a été l’architecte du rapprochement entre les États-Unis et la Chine dans les années 1970. Lors de ces discussions, Taïwan était l’un des sujets importants. Mao Zedong, le numéro un chinois de l’époque, avait indiqué qu’il fallait laisser la question en suspens pendant 100 ans. Les États-Unis ont reconnu que Taïwan faisait officiellement partie de la Chine, tandis que Pékin n’essaierait pas d’annexer l’île par la force.
Selon Kissinger, Trump a fait voler en éclats cet accord forgé entre Nixon et Mao après seulement 50 ans. En s’acharnant sur Taïwan, Trump voulait obtenir des concessions commerciales de la part de la Chine. Biden poursuit ce remue-ménage avec une rhétorique plus policée.
Kissinger pense qu’il n’est pas judicieux que les États-Unis s’occupent de Taïwan, car une guerre comme celle d’aujourd’hui en Ukraine détruirait l’île et dévasterait l’économie mondiale.
Le deuxième domaine dans lequel les deux superpuissances doivent se parler est celui de l’intelligence artificielle. « Nous sommes au tout début d’une capacité où les machines pourraient imposer une peste mondiale ou d’autres pandémies, pas seulement nucléaires, mais dans n’importe quel domaine de destruction humaine. »
Kissinger pense que l’intelligence artificielle deviendra un élément majeur du domaine de la sécurité d’ici cinq ans. Tout comme l’imprimerie a joué un rôle dans les guerres dévastatrices des XVIe et XVIIe siècles, l’IA aura le potentiel de faire de grands ravages.
Pour réduire la menace des armes nucléaires, l’Union européenne et les États-Unis ont négocié à l’époque le contrôle des arsenaux. Il faudra faire de même avec l’IA : « Je pense que nous devons commencer à échanger sur l’impact de la technologie les uns avec les autres. Nous devons avancer à petits pas vers la maîtrise des armements, en présentant à l’autre partie des documents contrôlables sur les capacités. »
L’Ukraine
Pour Kissinger, l’invasion de l’Ukraine par la Russie est « une erreur de jugement catastrophique de la part de Poutine« . Mais l’Occident est également à blâmer. « Je pense que la décision de laisser ouverte l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN a été très mauvaise. » C’était déstabilisant. Il y avait une promesse de protection de l’OTAN, mais aucun plan pour la concrétiser. L’Ukraine était donc vulnérable, ce qui a poussé la Russie à intervenir.
Kissinger a un faible pour la proposition de paix de la Chine. Alors que ce plan n’est pas pris au sérieux en Occident, Kissinger y voit une intention sérieuse qui pourrait certes complexifier la diplomatie autour de la guerre, mais qui pourrait aussi fournir précisément l’occasion de construire la confiance mutuelle dont les grandes puissances ont besoin.
Selon Kissinger, les Chinois sont sérieux, car ils ont tout intérêt à ce que la Russie sorte indemne de la guerre. Il pense également qu’après l’appel téléphonique entre Xi et Zelensky, la Chine jouera le rôle de médiateur entre la Russie et l’Ukraine.
Les atouts du plan : la Chine reconnait que l’Ukraine doit rester un pays indépendant et elle met en garde contre l’utilisation d’armes nucléaires. De plus, il n’est même pas exclu que Pékin accepte que l’Ukraine rejoigne l’OTAN.
Kissinger veut mettre fin à la guerre rapidement. Pour parvenir à une paix durable en Europe, l’Occident doit, selon lui, faire preuve de beaucoup d’imagination.
Premièrement, l’Ukraine doit adhérer à l’OTAN. Il s’agit de protéger le pays, mais aussi de le garder sous contrôle. Il estime que la situation actuelle est dangereuse : « Nous avons armé l’Ukraine à un point tel qu’elle sera le pays le mieux armé et le moins expérimenté stratégiquement en Europe« .
Deuxièmement, l’Europe doit se rapprocher de la Russie et l’engager à créer une frontière orientale stable. Il doit y avoir une nouvelle structure de sécurité en Europe centrale et orientale, dans laquelle la Russie doit également avoir sa place.
Médias et politique
Kissinger n’est pas tendre avec les médias et le monde politique. Il n’apprécie guère le jugement des médias, qui n’ont plus le sens des proportions.
Lorsqu’il était encore en fonction, la presse lui était hostile, mais il y avait malgré tout un dialogue. Aujourd’hui, ils n’ont aucune raison d’être critiques. « Mon propos porte sur le besoin d’équilibre et de modération. »
Mais c’est surtout en politique que les choses vont mal actuellement. Lorsqu’il était en fonction, il y avait des liens amicaux avec les dirigeants de l’autre parti. L’adversaire politique était traité avec décence. Aujourd’hui, tous les moyens sont bons pour faire tomber l’adversaire politique.
Trump et Biden ont fortement alimenté la polarisation. Kissinger craint que cela ne débouche sur la violence. Les États-Unis manquent de leadership : « Je ne pense pas que Biden puisse être une source d’inspiration et (…) j’espère que les républicains trouveront quelqu’un de meilleur. Ce n’est pas un grand moment de l’histoire« .
Les États-Unis ont désespérément besoin d’une réflexion stratégique à long terme : « C’est le grand défi que nous devons relever. Si nous ne le faisons pas, les prédictions d’échec se vérifieront« .
Marc Vandepitte
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