Le FMI et la Banque mondiale sont en crise, une nouvelle vision radicale est requise
Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a démissionné de ses fonctions au 1er février, soit environ 3 ans et demi avant la fin de son mandat, à la recherche d’une herbe plus verte ailleurs. Sa volonté de démissionner en tant que patron de l’une des 2 institutions financières les plus puissantes du monde est troublante. Mais il s’agit également d’un avertissement.
La Banque mondiale et le FMI sont les derniers vestiges de l’accord de Bretton Woods, sous lequel le capitalisme a connu son âge d’or dans les années 50 et 60. Même si ce système, basé sur un taux de change fixe, a volé en éclats en 1971, les 2 institutions ont continué de mener une politique mondiale financière sur des lignes purement atlantistes. C’est à l’Europe qu’il revenait de choisir le patron du FMI, tandis que les États-Unis décidaient du leadership de la Banque mondiale.
Kim, médecin de formation qui se présentait lui-même en tant que pourfendeur de la pauvreté, remet désormais le sort de la Banque mondiale au bon vouloir de Donald Trump. C’est comme si un juge démocrate de la Cour suprême remettait sa robe en plein mandat républicain. Pour ajouter une touche d’absurde au drame, c’est désormais la fille du président américain, Ivanka Trump, qui est à la tête du comité en charge de trouver un successeur à Kim.
Comme c’est le cas pour toute crise de l’ère Trump, cette affaire sordide est une excellente opportunité de mobiliser autour d’une toute nouvelle vision pour les institutions de Bretton Woods. Afin d’engager des réformes radicales qui mettraient les ressources de la Banque mondiale et du FMI au service du plus grand nombre, au lieu de lubrifier les rouages de la finance mondiale dans l’intérêt d’une poignée de privilégiés.
Une telle vision progressiste rapprocherait davantage le système de Bretton Woods des intentions nobles de ses fondateurs. « La prospérité, comme la paix, est indivisible », avait déclaré le secrétaire américain au Trésor Henry Morgenthau dans son discours inaugural à la conférence de Bretton Woods, qui donna naissance à la Banque mondiale et au FMI. « Nous ne pouvons pas nous permettre de la disperser ici et là au profit de quelques privilégiés, et aux dépens du reste. »
L’objectif original de Bretton Woods était de mettre en place des taux de change fixes. Le FMI devait aider les pays fortement endettés à restructurer leur dette et à contrôler les flux des capitaux. De son côté, la Banque mondiale devait aider à financer le développement. Un organisme mondial de stabilisation des matières premières devait contribuer à offrir les produits de base à des prix justes, aussi bien pour les consommateurs que pour les producteurs. Enfin, le système serait chapeauté par le dollar, qui serait la seule devise à pouvoir être échangée contre de l’or à un cours fixe.
John Maynard Keynes, le négociateur en chef britannique a Bretton Woods, avait une inquiétude : le nouveau système ne pourrait reposer sur le dollar que si les États-Unis affichaient une balance commerciale positive. En cas de balance commerciale négative américaine, le système s’effondrerait. Keynes avait donc suggéré la création d’une institution de compensation internationale, l’ICU, au lieu de faire reposer le nouvel ordre mondial économique sur le dollar. Tout en conservant leur devise nationale, les paiements internationaux seraient libellés en une unité commune, que Keynes appelait le Bancor, et la compensation serait assurée par l’ICU.
L’ICU aurait eu pour rôle de taxer les excédents et les déficits commerciaux durables de façon symétrique afin d’équilibrer les flux des capitaux, la volatilité, la demande mondiale globale et la productivité. Si cet organisme avait vu le jour, l’ICU aurait travaillé aux côtés de la Banque mondiale afin d’équilibrer l’économie mondiale et de partager la prospérité.
Mais l’idée de Keynes fut rejetée. Les États-Unis ne voulaient pas voir le dollar être remplacé en tant que point d’ancrage du nouveau système monétaire. Le rôle du FMI fut ainsi réduit à celui d’un pompier financier de service, la Banque mondiale ne pouvait que prêter sur base de ses réserves (constituées par des États à la situation financière précaire). Pour couronner le tout, le FMI n’avait aucune possibilité de profiter des investissements de la Banque mondiale.
Suite à de gros déficits commerciaux aux États-Unis, le président Richard Nixon annonça le 15 août 1971 la fin du système de Bretton Woods, comme l’avait prédit Keynes.
Immédiatement, les banques de par le monde, dont le rôle avait été entravé par les modalités de Bretton Woods, déployèrent leurs ailes pour démarrer la financiarisation de l’économie que nous connaissons.
Au lieu d’aider les gouvernements et de contribuer à la prospérité, la Banque mondiale et le FMI furent à l’avant-garde de ce que l’on appelle le consensus de Washington. Soit une campagne orchestrée de privatisations massives, d’austérité et de dérégulation financière. « Il n’y a quasiment aucune limite à la privatisation », a écrit en 1992 Mary Shirley, responsable de la gestion du secteur public et du développement du secteur privé du FMI.
Il fut un temps où Jim Yong Kim s’opposait fortement au consensus de Washington. Dans son livre Mourir pour la croissance publié en 2000, il s’opposait aux campagnes de libéralisation de la Banque mondiale, dont les coûts « ont été supportés par les pauvres, les infirmes et les vulnérables dans les pays pauvres qui ont accepté les plans des experts ».
Mais en tant que président de l’institution, Kim a plus que jamais poussé l’engagement de la banque à favoriser les profits du privé aux dépens de l’intérêt public. (…) De ce point de vue, il n’est pas étonnant que Monsieur Kim démissionne avant terme afin d’accepter un emploi… dans une société de gestion financière.
Sa décision est néanmoins une excellente opportunité de revoir le rôle de la Banque mondiale et du FMI, peut-être de se pencher à nouveau sur l’idée de Keynes émise en 1944.
Aujourd’hui, tout comme à l’époque, le monde a besoin d’un programme d’investissement mondial massif. En 1944, l’humanité devait être construite après une guerre mondiale terrible. Aujourd’hui, la planète a furieusement besoin d’une transition verte qui coûtera au moins 8 trillions de dollars par an. D’où viendra l’argent ? Certainement pas des budgets sous pression des États. D’où l’idée de créer un nouveau Bretton Woods qui serait financé par les fonds non utilisés en créant un lien entre une nouvelle Banque mondiale et un nouveau FMI.
Le FMI pourrait créer une nouvelle monnaie numérique dans laquelle tous les paiements internationaux seraient libellés. Les pays garderaient leur devise locale (qui fluctuerait librement par rapport à la monnaie du FMI), un fonds serait créé avec des dépôts en unités attribuées sur base des excédents et des déficits commerciaux. (…)
Source : article de David Adler et de Yanis Varoufakis, respectivement membre et cofondateur du collectif DiEM25
(Le temps de l'après deuxième guerre mondiale est terminé ou on en fait une autre ou on passe à autre chose. note de rené)
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