La Rada vote la loi sur la langue ukrainienne pour torpiller Zelensky
Le 25 avril 2019, la Rada (parlement ukrainien) a voté la loi définissant l’ukrainien comme la seule langue nationale, qui doit désormais être utilisée de manière obligatoire dans tous les aspects de la vie publique. Cette loi, risque fortement d’accroître les tensions avec les minorités du pays, et d’entériner de manière définitive la perte du Donbass, qui s’était soulevé justement à cause du retrait du statut de langue régionale à la langue russe.
Les députés de la Verkhovna Rada ont adopté la loi « prévoyant l’utilisation de la langue ukrainienne comme langue officielle », qui consacre ses droits exclusifs contre les autres langues du pays, par 278 votes pour (le nombre minimal requis étant de 226). Tous les fervents soutiens de l’ukrainisation totale du pays (hors députés) étaient aussi présents dans la salle pour ce vote.
Le président de la Rada, Andry Parouby, et le président ukrainien sortant, Petro Porochenko ont qualifié de projet de loi « d’historique ». Porochenko l’a même comparé en importance à la restauration de l’armée ukrainienne et à la réception de l’autocéphalie par la pseudo « Église orthodoxe d’Ukraine » (l’Église de schismatiques qui a été soutenue par Constantinople).
« La langue ukrainienne est un symbole de notre peuple, de notre État et de notre nation », a écrit Porochenko. « C’est une autre étape importante sur la voie de notre indépendance mentale. »
C’est surtout une autre étape importante vers la scission du pays, tout comme l’autocéphalie à laquelle il a comparé ce projet de loi. L’Ukraine est pluriethnique, avec des minorités linguistiques importantes, dont la plus grosse est bien sûr la minorité russophone. Il faut rappeler que ce qui a mis le feu aux poudres en Crimée et dans le Donbass en 2014, c’est entre autre, le vote par la Rada d’une loi retirant au russe son statut de langue régionale.
Quand on voit le résultat que cette première loi a eu, à savoir la perte de la Crimée et la sécession du Donbass, sous la forme des Républiques Populaires de Donetsk et de Lougansk (RPD et RPL), suivie de cinq ans de guerre fratricide qui a fait des dizaines de milliers de morts, faut-il se féliciter de continuer sur la voie des décisions débiles qui vont accroître encore plus les tensions dans le pays ?
L’Ukraine est déjà à feu et à sang, il y a déjà des tensions de plus en plus vive, pas seulement dans le Donbass et le sud-est du pays, mais aussi en Transcarpatie où vit une minorité hongroise importante (qui a d’ailleurs reçu des passeports hongrois sans que Kiev n’aille hurler au Conseil de Sécurité de l’ONU) qui n’accepte pas non plus ces brimades linguistiques. Et Porochenko se félicite d’avoir jeté un jerrican d’essence supplémentaire sur les flammes !
Iouri Boïko, de la plateforme d’opposition « Pour la vie » a qualifié cette loi de punitive et a mis en garde sur le fait qu’elle allait encore plus diviser la société ukrainienne qu’elle ne l’est actuellement.
« Je pense que ce projet de loi divise la société et gâche nos relations avec les pays voisins », a-t-il souligné.
Iouri Boïko a également noté que la population pluriethnique de l’Ukraine parle 79 langues et que les autorités actuelles créent un climat d’intolérance à la diversité linguistique.
Ce projet de loi a provoqué des réactions non seulement dans le pays, mais aussi à l’étranger. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, s’est adressée aux députés ukrainiens pour leur demander de suspendre les travaux sur le projet de loi pendant la période électorale et de prévoir la participation des représentants des minorités nationales à son élaboration. Mais peine perdue, autant parler à un mur.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré que la Russie est préoccupée par les violations des droits linguistiques et éducatifs des minorités nationales par les autorités ukrainiennes, à la lumière desquelles Moscou s’est adressée à l’UE, au Conseil de l’Europe, à l’OSCE et à l’OTAN. Là aussi, ces violations flagrantes des droits des citoyens ukrainiens émeuvent moins les occidentaux que des histoires de passeports russes distribués aux habitants du Donbass.
L’ukrainien devient la seule langue autorisée dans le domaine public
La loi « prévoyant l’utilisation de la langue ukrainienne comme langue officielle » stipule que l’ukrainien est la seule langue officielle dans le pays. Toute tentative d’introduire le multilinguisme officiel sera reconnue comme étant « destinée à changer ou à renverser de force le pouvoir constitutionnel ». A aussi été introduit dans cette loi le délit « d’humiliation publique de la langue ukrainienne », considéré comme un « acte illégal qui équivaut à un outrage aux symboles d’État de l’Ukraine et est puni par la loi ». En clair, mal parler l’ukrainien dans la sphère publique sera désormais un délit.
La loi prévoit la création du poste de commissaire à la protection de la langue officielle que le Cabinet des ministres pourra nommer et révoquer. Sa tâche est de protéger la langue ukrainienne, ainsi que le droit des citoyens de recevoir des informations et des services dans tous les domaines de la vie publique sur le territoire ukrainien dans la langue officielle.
Des « inspecteurs linguistiques » surveilleront l’application de la loi. Ils seront présents aux sessions de tous les organes de l’État, exigeront des documents des organisations publiques et des partis politiques et émettront des amendes en cas « d’humiliation publique de la langue ukrainienne ».
La Commission nationale des normes de la langue officielle élaborera et approuvera les normes linguistiques (ce qui est délirant, car aucune langue ne devrait être imposée à tout un pays alors que ses normes ne sont pas fixées). Elle développera également des méthodes de contrôle du niveau de la langue ukrainienne, notamment pour l’obtention de la citoyenneté ou l’occupation de certains postes.
Ce niveau devra être attesté via l’obtention du certificat d’état, qui confirmera le niveau de la langue ukrainienne, et qui sera délivré par le Centre pour la langue ukrainienne après examen.
La loi détermine également la liste des personnes qui doivent maîtriser la langue officielle. Elle comprend le président ukrainien, le président de la Verkhovna Rada et ses adjoints, les membres du cabinet des ministres, les chefs des organes exécutifs centraux qui ne sont pas membres du gouvernement et leurs adjoints, le président du Service de sécurité, le procureur général, le chef de la Banque nationale, les membres de la Chambre des comptes, le commissaire de la Verkhovna Rada aux droits de l’Homme, le commissaire pour la protection de la langue officielle, les députés, les membres des conseils locaux et communaux, et les maires.
Les employés publics, les soldats sous contrat, les diplomates, les avocats, les notaires, les préposés aux soins personnels, les chefs d’établissements d’enseignement, les enseignants et les chercheurs des établissements d’enseignement, les employés médicaux des établissements de santé publics et municipaux et autres personnes doivent maîtriser l’ukrainien.
L’ukrainien est proclamé langue de la gestion des dossiers, des procédures judiciaires, des élections et des référendums, des négociations internationales, des relations de travail, de l’éducation, de la science, de la culture et des sports, de la publicité, de l’édition de livres et des programmes, ainsi que la langue de service aux consommateurs. La moitié de tous les journaux, magazines et livres devraient être en ukrainien.
La loi ne couvre pas la sphère de la vie personnelle et il est possible d’y utiliser n’importe quelle langue. Ceux qui violent les normes de la loi sur la langue risquent des amendes allant jusqu’à 11 900 hryvnias (450 dollars) et même l’emprisonnement s’ils tentent d’introduire le multilinguisme en Ukraine, ce qui est considéré comme l’équivalent du renversement du régime constitutionnel.
Vous avez l’impression d’être tombé dans la quatrième dimension ? Non, non, c’est l’Ukraine post-Maïdan !
Maintenant remplacez le fait de ne pas parler l’ukrainien par le fait d’être juif, et vous avez une parfaite transposition de certaines lois nazies. Les gens qui ne maîtriseront pas l’ukrainien seront exclus d’un grand nombre de professions et de la possibilité de se présenter en politique. Sans parler de l’accès aux soins qui va devenir très compliqué s’il n’est plus possible de parler à son médecin qu’en ukrainien, qu’une partie non négligeable de la population ne maîtrise pas !
Cette loi fait de tous ceux qui ne parlent pas correctement l’ukrainien des citoyens de seconde zone. C’est une honte absolue. Une loi qui mériterait bien plus l’indignation et les réactions outrées de l’Occident que ces histoires de passeport russe.
Une loi qui accentue les lignes de fracture du pays
Car cette loi ferme définitivement la porte au retour du Donbass au sein de l’Ukraine, vu que les populations de la RPD et de la RPL n’accepteront pas plus maintenant de se voir imposer une langue qui n’est pas la leur qu’en 2014. Cette loi fait bien plus barrage à l’application des accords de Minsk que la délivrance de passeports russes.
Cela risque aussi de provoquer des troubles, tant dans la partie russophone du pays, qu’à l’ouest, en Transcarpatie. Finalement, cette loi va aggraver les tensions et agrandir les lignes de fracture existantes dans le pays, avec le risque de provoquer son éclatement, comme la défunte ex-Yougoslavie.
Tout ça pour se venger de la victoire de Zelensky à l’élection présidentielle et lui savonner la planche, comme l’a très bien souligné le chef de l’institut ukrainien d’analyse politique, Rouslan Bortnik.
« Cela peut être considéré comme une attaque contre Zelensky, comme le début de la campagne électorale parlementaire du président sortant Petro Porochenko. En même temps, c’est une sorte de vengeance, un piège pour Zelensky », a déclaré l’expert.
Selon le politologue, cette décision de la Verkhovna Rada constituera un grave problème pour le président élu, car il s’était précédemment opposé aux quotas pour la langue ukrainienne à la télévision et à la radio, considérant que ces questions doivent d’abord être discutées avec la population.
Pour Bortnik, cette loi place Zelensky entre le marteau et l’enclume. S’il s’oppose à cette loi, il perd l’électorat de l’ouest de l’Ukraine, s’il la soutient ou ne dit rien, il va perdre l’électorat de l’est du pays, alors que va bientôt commencer la campagne électorale législative. En plus, la Rada veut adopter une loi limitant les pouvoirs du président pour finir de lui lier les mains.
Cette loi va mettre Zelensky en mauvaise position non seulement en interne, mais aussi vis-à-vis des pays étrangers, comme la Hongrie ou la Roumanie, et même l’Union Européenne, car cette loi contrevient aux recommandations du Parlement Européen et de la Commission de Venise qui avaient vertement critiqué cette loi lors de son vote en première lecture.
Le risque de scission du pays a été soulevé par Constantin Kossatchev, chef du comité du conseil fédéral russe pour les Affaires internationales.
« Aujourd’hui, Kiev propose à Donetsk et à Lougansk de retourner en Ukraine, où il n’y a pas de place pour la langue russe, pour les écoles et maternelles russes, des relations normales avec la Russie, la mémoire de la Grande Guerre nationale et ses héros. Une absurdité phénoménale, qui tôt ou tard peut vraiment conduire à ce que l’Ukraine perde le sud-est, et ici, la question n’est absolument pas dans une ingérence de la Russie, ni dans aucune de nos positions spécifiques, mais dans le fait que l’Ukraine elle-même, le gouvernement actuel, fait ces erreurs fatales qui constituent une menace pour son intégrité territoriale », a déclaré Kossatchev.
Le sénateur a ajouté que depuis le début du conflit en 2014, les conditions de cohabitation du sud-est du pays avec le reste de l’Ukraine se sont « radicalement dégradées ».
Cette contradiction de l’Ukraine qui exige le retour du Donbass sous son giron tout en mettant en place toutes les conditions pour que cela n’arrive pas a aussi été soulignée par Léonid Sloutski, le président du Comité des Affaires internationales de la Douma d’État russe.
« Le projet de loi approuvé par la Verkhovna Rada relève du domaine de la psychiatrie. D’une part, Kiev se bat pour l’intégrité territoriale de l’Ukraine, appelant Donetsk et Lougansk à « rentrer au bercail ». D’autre part, le parlement ukrainien approuve le projet de loi qui lance en fait le processus de rejet du Donbass par l’Ukraine. Une contradiction totale, une folie totale », a déclaré Léonid Sloutski.
Le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto a aussi critiqué le vote de cette loi, dénonçant le fait que cette dernière violait les droits des Hongrois, et reflétait la politique anti-hongroise du président sortant Petro Porochenko. Il a appelé le président nouvellement élu, Volodymyr Zelensky, à mettre fin à ces lois qui enfreignent les droits de la communauté hongroise en Ukraine, et à permettre à l’amitié entre la Hongrie et l’Ukraine d’être restaurée.
Cet espoir semble partagé par les députés ukrainiens de l’opposition, qui ont déposé deux projets de loi visant à annuler cette loi sur la langue officielle ukrainienne, afin de bloquer sa signature et donc sa mise en application, le temps que le nouveau président entre officiellement en fonction et puisse le cas échéant refuser de la signer, ce qui la rendrait invalide de fait. En effet, normalement, tant que ces propositions d’annulation n’ont pas été votées ou rejetées par la Rada, son président ne peut pas signer la loi sur la langue officielle ukrainienne, et donc le président ukrainien ne peut pas la signer non plus.
Si Parouby et Porochenko passent en force et signent cette loi, ou si Zelensky ne fait rien contre, alors cela ne fera qu’ajouter de l’huile sur le feu et accélérera l’explosion de l’Ukraine le long de ses lignes de fracture linguistiques et ethniques.
(Et, le hongrois, le polonais, le russe, ça passe aux oubliettes alors qu'à eux trois, ils sont la majorité de la population. note de rené)
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