mardi 2 avril 2019

La consommation d’œuf et son impact sur la santé font polémiques depuis de nombreuses années. Les uns accusent le cholestérol des œufs d’être responsable d’événement cardiovasculaire grave et mortelle, et les autres estiment que les œufs font partie d’une diète équilibrée. Dans le détail, une consommation d’oeuf raisonnable, entre 1 et 2 par jour, ne semble pas être délétère pour la santé.

Une nouvelle étude américaine conduite sur plus de 29 000 personnes, suivies pendant près de 18 ans, vient de conclure à une association positive entre la consommation d’oeuf, le risque de maladies cardiovasculaires et de mortalité toutes causes confondues.
Les chercheurs ont regroupé les résultats de 6 grandes études prospectives sur ce sujet, et trouvent que pour chaque oeuf que vous mangez en plus par jour, vous augmentez votre risque (relatif) de mourir de n’importe quelle cause d’environ 16 %, et celui d’avoir une maladie cardiovasculaire de 12 %.
Des résultats retentissants qui plaident une nouvelle fois pour accabler les oeufs qui apportent beaucoup trop de cholestérol à l’organisme. Du cholestérol qui ne plaît pas du tout à nos fonctions cardiaques puisqu’il est associé aux risques de maladies cardiovasculaires (et même de mortalité générale).
Bon à savoir : selon les tables Ciqual sur les quantités de nutriments de nos aliments, 100 g d’oeuf cru nous apportent environ 400 mg de cholestérol. Pour un oeuf moyen de 60 g, on peut donc estimer environ 240 mg de cholestérol. 4 oeufs apportent pratiquement 1 g de cholestérol.
Les auteurs de cette méta-analyse estiment qu’il est impératif que les autorités sanitaires revoient les recommandations nationales sur la consommation d’oeuf à la baisse à la lumière de leurs résultats.
Les auteurs s’alarment d’une augmentation de la consommation d’oeuf qui pourrait avoir des conséquences dangereuses, selon leur mot, sur la santé cardiovasculaire des Américains.
Extrait d’un graphique de l’étude de Zhong et al. montrant l’augmentation monotone du risque de mort avec la consommation d’oeufs.
Voilà qu’une nouvelle étude vient jeter encore une fois le trouble sur un sujet plus que controversé. Une étude qui vient se rajouter aux très nombreuses études déjà existantes sur ce sujet, et dont je vous en avais narré les principaux résultats.
Cette étude vient-elle tout contredire ? Non, et en voici l’explication.

Une étude qui cache quelques problèmes

Même si l’étude a été encensée par un éditorial pour son sérieux et sa solidité pour faire changer les recommandations, elle n’en reste pas moins truffée de petits détails et problèmes.

1. Association n’est pas causalité

Cet argument est classique, et il est valable pour toutes les études épidémiologiques et prospectives qui existent. C’est bien pour cette raison que les études prospectives sont limitées dans leur interprétation, car elles ne permettent pas d’établir des liens de cause à effet.
Dans notre cas, la consommation d’oeuf est associée au risque de maladies cardiovasculaires et de mort, mais nous ne savons pas vraiment si ce sont les oeufs qui sont les responsables… ou bien autres choses !
Par autres choses on entend l’ensemble des facteurs de confusions qui interviennent dans l’association observée, mais dont on ignore l’importance.
Le saviez- vous ? Un célèbre exemple d’association farfelue a été mis en évidence par un scientifique de renom, Franz Messerli, qui adore le chocolat. Ce scientifique a mis en évidence une association entre la consommation de chocolat et le nombre de prix Nobel d’un pays, insinuant le rôle du chocolat dans les fonctions cognitives (ou l’intelligence !). Mais il s’est fait magistralement reprendre par d’autres chercheurs qui avaient aussi trouvé une association entre la consommation de chocolat… et le nombre de tueurs en série du même pays. En bref, on peut virtuellement trouver n’importe quelle association entre deux variables.

2. Des facteurs confondants toujours trop nombreux

C’est la suite logique du point précédent. Ces études prospectives basent leurs résultats sur des modèles qui ajustent ou corrigent les associations en fonction de nombreux facteurs de confusion.
Le tabagisme, l’indice de masse corporelle, le diabète, l’hypertension, ou encore l’ethnie, le niveau d’éducation, etc, etc.
On essaye de corriger au mieux, mais il est impossible de prendre en compte tous les facteurs qui existent, pour la simple et bonne raison qu’on ne les connaît pas tous. On ignore également l’amplitude ou l’effet exact de chaque paramètre.
Un point bien sûr admis par les auteurs.
C’est justement tout le problème des études prospectives. Elles ont trop de facteurs de confusion et n’apportent pas de relations de cause à effet, et c’est pour cette raison que certains grands scientifiques plaident pour l’arrêt de ce genre d’étude. À la place ? Des essais cliniques randomisés qui permettent de faire ce genre de conclusion.

3. Des résultats valables pour les Américains uniquement

Seuls les américains sont concernés par les résultats négatifs des méta-analyses.
Les six cohortes sont américaines. Les résultats sont donc uniquement valables pour les Américains et non les Européens, ou encore moins les Japonais.
Ce point a été mis à l’honneur dans la partie “limitations de l’étude” par les études qui concluent ceci :
“Généraliser nos résultats à des populations autres que les États-Unis nécessite de la prudence en raison de la diversité des environnements nutritionnels et alimentaires et de l’épidémiologie des maladies chroniques.”
Malgré le fait que nous parlions de la même espèce, des mêmes règles biologiques, nous savons bien qu’il est imprudent d’extrapoler des résultats chez nous obtenus outre-Atlantique.
Souvenez-vous, deux méta-analyses publiées en 2016 sur près de 500 000 personnes avaient conclu à une augmentation du risque de devenir diabétique de 39 à 47 % chez les Américains, alors que ce risque disparaissait pour tous les autres.
Dans le détail… L’étude de Tamez en 2016 s’était bornée a faire son analyse sur les meilleures études épidémiologiques à notre disposition, toutes ethnies confondues, et ne trouvait plus aucune association entre le risque de diabète et la consommation d’oeuf ! Moralité : la qualité des études est importante.

4. Un seul questionnaire alimentaire (et différent d’une cohorte à l’autre)

Afin d’établir les associations entre nos prises alimentaires et différentes maladies, on demande aux personnes suivies de retranscrire ce qu’elles mangent, grâce à des questionnaires alimentaires.
Premièrement, on demande aux personnes d’auto-évaluer leur consommation. Malheureusement, cela expose les participants à exagérer ou minorer certaines catégories d’aliments. Mais il y a plus grave.
Deuxièmement, dans le cadre de nos études, les habitudes alimentaires de nos 29 000 personnes ont été évaluées… une seule fois ! Une seule fois en 18 ans. C’est peu. On part donc du principe que ces personnes-là ont suivi à la lettre ce qu’ils ont déclaré pendant toutes ces années.
Troisièment, les auteurs confessent que les questionnaires de fréquences alimentaires étaient tous différents entre les cohortes (sauf pour deux cohortes).
Ils précisent aussi qu’ils ont pris de nombreuses précautions pour “harmoniser” tout ça. On est une nouvelle dans une cuisine ou tambouille méthodologique qui essaye de combler les fissures.
Le saviez-vous ? Les méta-analyses sont loin d’être exemptes de biais et de problèmes méthodologiques. Découvrez ici les principaux problèmes des méta-analyses et comment analyser le plus finement leurs résultats.

Les Chinois, le contre-exemple

500 millions de Chinois âgés de 30 à 79 ans ont été suivis pendant 4 ans pour vérifier la même hypothèse : est-ce que la consommation d’oeuf est associée au risque cardiovasculaire ?
Cette étude possède les mêmes faiblesses que la précédente, avec parfois des points forts (deux questionnaires alimentaires sur la période) et des points faibles (beaucoup de facteurs de confusion, 4 ans de suivi, etc.), mais ne trouve aucun effet négatif d’une consommation quotidienne d’un oeuf sur la santé cardiovasculaire.
Les auteurs de cette étude trouvent même que les consommateurs d’un oeuf par jour comparé à ceux qui n’en consomment pas ont une meilleure santé cardiovasculaire.
Gros problème de cette étude : nous n’avons aucune idée de l’impact d’une consommation plus élevé d’oeuf sur la santé cardiovasculaire (comme 10 ou 15 par semaine par exemple).
Des résultats surprenants, qui méritent d’être confirmés, mais qui nous montrent bien le côté aléatoire de ces études et les différents résultats que l’on peut en obtenir.

Que faut-il retenir ?

L’impact des oeufs sur la santé, et notamment cardiovasculaires, est plus que controversé. Par exemple, sur le risque d’avoir plus de maladies cardiovasculaires, les trois dernières méta-analyses trouvent des résultats contradictoires.
La seule méta-analyse, avant cette nouvelle discutée dans cet article, portant sur la mortalité cardiovasculaire et toutes causes confondues ne trouvait aucun effet négatif d’une consommation d’environ 12 oeufs par semaine.
Aussi, je vous parlais des résultats des essais cliniques randomisés, ou les fameux RCT en anglais, qu’il fallait prendre en considération pour tirer au clair des relations de cause à effet.
Justement, une équipe de scientifiques a réalisé une revue systématique de tous les RCT sur ce sujet et ne trouve aucun effet négatif de l’oeuf, ni sur la santé cardiovasculaire, ni sur le risque d’avoir un diabète, ni sur le risque de mort toutes causes comprises.
Le message a retenir serait le suivant : la consommation d’oeuf (entre 1 et 2 par jour) ne semble pas poser de problème pour les personnes qui sont déjà en bonne santé et qui ont des habitudes de vie saine (activité physique régulière, non-fumeur, etc.).
Il semblerait que la plupart des résultats négatifs nous viennent des Américains qui ont une alimentation exceptionnellement mauvaise, et surtout associée aux comportements les plus délétères.
Faites toutefois attention à la qualité de vos oeufs, pensez bien sûr à votre santé, mais n’oubliez pas l’impact que peuvent avoir les élevages de poules pondeuses sur l’environnement et le bien-être animal.
Attention… Je vous conseille fortement de ne jamais acheter des oeufs obtenus en batterie. C’est le code “3” qui permet d’identifier des poules élevées en batterie. Elles n’ont qu’une feuille A4 en guise d’espace pour vivre… C’est dramatique. Préférez les codes “0” ou “1”.

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