Pakistan: la Cour suprême acquitte la chrétienne Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème
source : Romandie.news
Des policiers près de la Cour suprême du Pakistan à Islamabad, où a été acquittée en appel la chrétienne Asia Bibi, le 31 octobre 2018 / © AFP / AAMIR QURESHI
L'annonce du verdict a suscité la fureur des milieux religieux fondamentalistes qui appelaient de longue date à son exécution et provoqué des manifestations dans plusieurs villes du pays.
"Elle a été acquittée de toutes les accusations", a déclaré le juge Saqib Nisar lors de l'énoncé du verdict, ajoutant que Mme Bibi, qui se trouve actuellement incarcérée dans une prison à Multan (centre), allait être libérée "immédiatement".
L'avocat de Mme Bibi, Saif-ul-Mulook, a aussitôt appelé sa cliente au téléphone pour lui annoncer la nouvelle depuis le tribunal.
"Avez-vous entendu que vous êtes un être humain libre à présent ? Vous pouvez prendre votre envol et aller où vous voulez", lui a-t-il dit en présence d'un journaliste de l'AFP.
"Quoi ? vraiment ? Je ne sais pas quoi dire. J'avais rêvé que les murs de la prison s'effondrent", lui a-t-elle répondu avant de se répandre en remerciements.
Des membres d'un groupe religieux opposé à l'acquittement d'Asia Bibi, qui avait dans un premier temps été condamnée pour blasphème, bloquent une voie expresse à Islamabad pour manifester leur mécontentement, le 31 octobre 2018 / © AFP / FAROOQ NAEEM
En pratique, la libération de Mme Bibi pourrait prendre plusieurs jours en raison de procédures bureaucratiques, a indiqué l'avocat.
"Justice a été rendue, c'est une victoire pour Asia Bibi. Le verdict montre que les pauvres, les minorités et la fraction la plus modeste de la société peuvent obtenir justice dans ce pays en dépit de ses défauts", s'est-il encore félicité.
"Je suis très heureux. Ceci est le jour le plus important et le plus heureux de ma vie", a-t-il dit à l'AFP.
Pour les fondamentalistes en revanche, "cette décision envers une blasphématrice n'est pas de bon augure pour le pays", selon Maulana Abdul Aziz, imam de la Mosquée rouge, haut lieu de l'islam radical à Islamabad.
Ashiq Masih, mari d'Asia Bibi, pointe un doigt sur une affiche figurant le portrait de sa femme, le 27 septembre 2016 / © AFP/Archives / ARIF ALI
Quelques heures après le verdict, des centaines de manifestants ont commencé à se rassembler en différents endroits du pays, bloquant plusieurs artères, brûlant des pneus et criant des slogans hostiles à la justice.
Ils étaient environ un millier, armés de bâtons, bloquant un échangeur autoroutier à l'entrée d'Islamabad, a constaté l'AFP.
Dès mercredi matin, la capitale avait été placée sous haute sécurité, avec des barrages sur les routes notamment à proximité des quartiers où vivent les magistrats et la communauté diplomatique, a constaté l'AFP. Certaines écoles ont été fermées.
- Rencontres avec le pape -
Saif-ul-Mulook, avocat de la chrétienne Asia Bibi, arrive à la Cour suprême du Pakistan à Islamabad, le 31 octobre 2018 / © AFP / AAMIR QURESHI
Son cas avait eu un retentissement international, attirant l'attention des papes Benoît XVI et François. L'une de ses filles a rencontré ce dernier à deux reprises.
Asia Bibi avait également reçu le soutien de la maire de Paris Anne Hidalgo, qui l'avait élevée en 2015 au rang de citoyenne d'honneur de sa ville.
Au Pakistan même, l'histoire de cette chrétienne d'origine modeste divise fortement l'opinion.
Le blasphème est un sujet extrêmement sensible dans ce pays très conservateur où l'islam est religion d'Etat. La loi prévoit jusqu'à la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d'offense à l'islam.
Des militants du Tehreek-e-Labaik Pakistan (TLP), un groupe religieux extrémiste devenu parti politique, qui fait de la punition du blasphème sa raison d'être, manifestent contre l'acquittement d'Asia Bibi, le 31 octobre 2018 à Lahore / © AFP / ARIF ALI
- "Pas rester au Pakistan" -
Un ancien gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, qui avait pris la défense d'Asia Bibi, avait été abattu en plein coeur d'Islamabad en 2011 par son propre garde du corps. L'assassin, Mumtaz Qadri, a été pendu début 2016.
Les défenseurs des droits de l'homme voient en Asia Bibi un emblème des dérives de la loi réprimant le blasphème au Pakistan, souvent instrumentalisée, selon ses détracteurs, pour régler des conflits personnels.
On ignorait dans l'immédiat ce qu'il adviendrait de Mme Bibi après sa sortie de prison.
"Asia ne peut pas rester (au Pakistan) avec la loi" sur le blasphème, avait estimé son mari Ashiq Masih, accueilli à Londres par l'ONG catholique Aide à l'Église en détresse (AED) et interrogé le 13 octobre par l'AFP.
"Pour nous, la vie au Pakistan est très difficile, nous ne sortons pas de chez nous, nous sommes très prudents", avait souligné sa fille Esham.
"Je serai très heureuse le jour où ma mère sera libérée, je la prendrai dans mes bras, je pleurerai de la retrouver", avait-elle ajouté.
(©AFP / (31 octobre 2018 10h19)
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