(Soyons clair, si, les anglais ne paie plus, l'UE est dans une merde noire. note de rené)
« La France risque d'être la grande perdante du Brexit »
FIGAROVOX/TRIBUNE - Tandis qu'à Salzbourg les chefs d'État européens ont voulu se montrer intransigeants à l'égard des propositions britanniques pour aménager le Brexit, David Cayla affirme que c'est la France et l'Union Européenne qui risquent de pâtir en premier lieu d'un échec des négociations.
David Cayla est économiste, maître de conférences à l'université d'Angers. Il est l'auteur, avec Coralie Delaume, de La Fin de l'Union européenne (Michalon, 2017). Dans son dernier ouvrage, L'économie du réel (De Boeck supérieur, 2018), il critique le simplisme des modèles de la science économique contemporaine et propose une approche de l'économie plus proche de celle des autres sciences humaines.
Au sommet de Salzbourg, les dirigeants européens ont fait preuve de fermeté en rejetant sans ménagement les propositions britanniques sur l'accord final qui est censé organiser l'après-Brexit. Dans les négociations, les positions françaises ont paru particulièrement intransigeantes, à tel point que le président français est largement vilipendé par la presse britannique et accusé d'être en partie responsable de l'impasse actuelle. Une impasse qui pourrait conduire tout droit au scénario du «no deal», c'est-à-dire à une sortie sans accord du Royaume-Uni dès le 29 mars prochain.
On n'en est pas là. Même si l'effondrement de la livre sterling sur les marchés laisse présager que l'on commence à anticiper ce scénario, il n'est pas encore certain qu'un accord minimal entre gens raisonnables ne soit trouvé dans la dernière ligne droite. En réalité, l'organisation de ce type de négociations est propice aux stratégies du chaud et froid. Des deux côtés, on cherche à faire peur à la partie adverse, en allant jusqu'au bluff s'il le faut, afin d'arracher quelques ultimes concessions. Évidemment, tout l'art de cette stratégie est de savoir jusqu'où ne pas aller trop loin. Une négociation intelligente n'est pas une guerre d'égos. Chacun doit avoir bien conscience de ses intérêts réels et de l'état du rapport de force. Si l'une des deux parties, par excès de vanité, se met à surestimer son jeu, on risque alors de courir tout droit à la rupture.
Le précédent grec
En comptant trop sur la faiblesse politique de Teresa May, les négociateurs européens ne font-ils pas preuve d'un excès d'optimisme? À bien des égards, les négociations actuelles ressemblent à celles qui avaient opposé l'Union européenne à la Grèce en 2015. On sait comment cette affaire s'est terminée. Le gouvernement grec a refusé la seule porte de sortie qui lui restait, à savoir un retour peu préparé à une monnaie nationale, et fut contraint de capituler en rase campagne malgré un soutien populaire et un référendum gagné.
Le Royaume-Uni sait donc à quoi s'en tenir. S'il veut s'affirmer face aux négociateurs européens, il doit prendre à bras-le-corps l'éventualité d'un «no deal» et montrer qu'il ne craint pas d'aller à la rupture afin de préserver ses intérêts fondamentaux. Assiste-t-on au retour du «chicken game», le jeu de la poule mouillée qui avait opposé le Premier ministre grec Alexis Tsipras et l'intransigeant ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble? Dans un tel jeu, chacun pari sur le fait que l'autre a beaucoup à perdre en cas d'échec. Le problème est que la logique du «chicken game» est moins de trouver un compromis que de faire capituler l'adversaire.
Heureusement pour lui, le Royaume-Uni n'est pas la Grèce. Contrairement à Tsipras qui refusait publiquement d'évoquer une sortie de l'euro, Teresa May a chargé son administration de se préparer activement aux conséquences d'un «no deal». Elle a également tracé clairement les lignes rouges qu'elle ne franchirait pas. Premièrement, elle refuse d'allonger l'échéance des négociations en reportant la date du Brexit au-delà du 29 mars. Deuxièmement, elle refuse d'envisager l'organisation d'un second référendum qui pourrait remettre en cause le Brexit. Enfin, elle refuse tout accord, même transitoire, qui serait susceptible de créer une frontière entre l'Irlande du nord et le reste du pays.
Face aux lignes rouges britanniques, il y a celles des Européens. Ces derniers refusent le principe d'un marché unique «à la carte» qui verrait les Britanniques bénéficier de la libre circulation des marchandises tout en refusant celle des travailleurs et des capitaux… et les contraintes qui vont avec. Bien entendu, du point de vue britannique, quitter l'Union européenne tout en restant dans le marché unique est inenvisageable.
Pour imposer leurs lignes rouges au gouvernement de Teresa May les Européens tentent d'être solidaires en misant sur les dissensions de la partie adverse. Peut-être espèrent-ils ouvrir une crise politique à Londres qui se solderait par un changement de Premier ministre et l'organisation d'un second référendum? Mais une telle stratégie est risquée. Non seulement l'intransigeance européenne risque paradoxalement de renforcer politiquement la partie britannique, mais surtout il n'est pas du tout sûr que le rapport de force penche tant que cela en faveur des Européens.
L'économie britannique n'a pas tellement souffert du Brexit
Ce qui fait la force de la position britannique c'est que, contrairement aux prévisions catastrophiques qui avaient été faites au moment du vote sur le Brexit, la victoire du «Leave» est loin d'avoir entraîné un effondrement de l'économie britannique. Certes, la croissance économique a faibli depuis 2016, mais le Royaume-Uni s'était mieux sorti de la crise que l'Europe continentale. Il affiche aujourd'hui un taux de chômage de 4%, le plus faible depuis 1975, soit un niveau proche du plein-emploi. De même, malgré l'annonce du Brexit et l'incertitude des négociations, la City n'a pas vu fuir son industrie financière en dépit de quelques délocalisations abondamment médiatisées.
On répondra que le Brexit n'est pour l'heure toujours pas engagé et que ses effets ne se feront sentir qu'après le 29 mars. Mais c'est oublier que l'économie est d'abord une affaire d'anticipations. Si vraiment les entreprises craignaient un effondrement économique, elles auraient coupé leurs investissements et leurs embauches et auraient largement préparé leur exil sur le continent. Rien de tout cela n'est arrivé. Pour l'instant, les seules conséquences tangibles du Brexit ont été un affaissement du cours de la livre qui a engendré une légère hausse de l'inflation, ainsi qu'une diminution de l'immigration de travail qui a eu pour effet d'accentuer la pénurie de main-d'œuvre, obligeant d'ailleurs certaines entreprises britanniques à relever leurs salaires. Dans les deux cas, les effets ont cependant été marginaux et nul ne peut savoir s'ils vont ou non se prolonger.
Quoi qu'il en soit, il apparaît d'ores et déjà peu probable que l'économie britannique s'effondre en cas de «hard Brexit». La place financière de Londres ne va pas disparaître au profit de Paris ou de Francfort. La City continue de disposer d'infrastructures et de compétences inégalées en Europe. Même s'il est possible que la perte du passeport financier européen contraigne les Britanniques à délocaliser certaines activités sur le continent, il y a fort à parier que les actifs libellés en euros continueront à être gérés depuis Londres. Après tout, à l'époque des transactions numériques, un gestionnaire de portefeuille n'a pas besoin d'être domicilié dans le même pays que les actifs qu'il gère.
Du côté industriel, il ne faut pas minimiser la contrainte que serait l'apparition soudaine de droits de douane. Un Brexit sans accord entraînerait automatiquement la fin du libre-échange entre le Royaume-Uni et le reste de l'Europe. Or, l'appareil industriel britannique est très dépendant du commerce avec le continent. Que se passerait-il si, par exemple, les moteurs Rolls Royce, qui équipent les Airbus assemblés à Toulouse étaient soudainement frappés de droit de douane? D'une part, il n'est pas certain qu'Airbus puisse se passer des moteurs Rolls Royce. D'autre part, il est inimaginable que Rolls Royce puisse délocaliser toute sa production sur le continent à la seule fin d'échapper aux droits de douane. On ne déménage pas une usine qui emploie 12 000 salariés en quelques mois. Ainsi, Airbus n'aurait d'autre choix que de payer des frais de douanes, ce qui risque surtout de renchérir son coût de production et sa capacité à rester compétitif face à Boeing. Dans un tel contexte, les droits de douanes sur les produits industriels étant clairement nocifs pour les deux parties, il est presque certain qu'ils seraient très rapidement abolis tant les intérêts en jeu sont importants.
Les Européens ont beaucoup à perdre
Les autorités européennes auraient d'ailleurs tort de minimiser les risques d'un Brexit sans accord. Comme on vient de le voir, l'apparition soudaine de droits de douane, même si ces derniers sont globalement peu élevés, les pénaliserait au moins autant que les industriels britanniques.
Autre problème encore plus délicat, le budget européen se trouvera amputé de la part du Royaume-Uni. Or, malgré son rabais, la Grande Bretagne est un contributeur net. L'unité actuellement affichée dans le cadre des négociations ne doit pas faire oublier que les Européens sont profondément divisés et que deux États membres, la Hongrie et la Pologne, sont à l'heure actuelle menacés d'une procédure de sanction. Il est clair que lorsqu'il faudra boucler un budget en baisse, des tensions vont à nouveau surgir entre les responsables européens dont on ne rappellera jamais assez qu'ils ont des objectifs et des intérêts profondément divergents.
Un «no deal» menacerait d'ailleurs l'accord sur le règlement financier du Brexit. Dominic Raab, le ministre britannique chargé des négociations avec l'UE a ainsi très clairement affirmé à plusieurs reprises que la facture du Brexit de 44 milliards d'euros ne serait pas payée en l'absence d'accord commercial avec l'UE. Et même si le Royaume-Uni accepte finalement de payer une partie de cette facture, on peut penser qu'il ne se privera pas de faire de cette facture une arme diplomatique en cas d'échec des négociations.
Mais le plus grand danger pour l'Union européenne n'est ni budgétaire, ni commercial. Le pire du point de vue européen serait que, malgré l'absence d'accord, l'économie britannique s'en sorte plutôt mieux que les économies restées dans le giron de l'Union. Cette perspective ne peut être balayée d'un revers de main. Comme le rappelle le journaliste et essayiste Marc Roche dans un livre qui vient de paraître (Le Brexit va réussir, éd. Albin Michel), l'économie et la société britanniques disposent de nombreux atouts qui peuvent lui permettre de faire cavalier seul, de mener une politique commerciale autonome, et même, affirme Marc Roche, de devenir un État voyou qui choisirait d'assumer crânement une politique de dumping fiscal et de se transformer en plateforme off-shore à quelques encablures de l'UE.
La France est particulièrement vulnérable
S'il reste difficile de savoir quel jugement sera finalement porté sur le Brexit du point de vue britannique, il est en revanche assez facile d'imaginer que la France sera la grande perdante en cas de Brexit sans accord.
Un «no deal» ne peut en effet que l'affaiblir sur le plan diplomatique. Il signerait les échecs personnels de Michel Barnier, responsable des négociations, et d'Emmanuel Macron, celui qui apparaît aujourd'hui comme le plus intransigeant des chefs d'État. Mais l'affaiblissement diplomatique serait aussi structurel. Du point de vue français, et alors que l'Allemagne domine l'Union européenne (voir le livre de Coralie Delaume,Le couple franco-allemand n'existe pas, à paraître le 4 octobre) le Royaume-Uni était en mesure de faire contrepoids aux velléités allemandes, notamment en matière d'austérité budgétaire. Une fois le Royaume-Uni tourné vers le grand large, la France risque surtout de se trouver isolée, dans une relation déséquilibrée avec l'Allemagne. Notons en passant que la capacité dont fait preuve Emmanuel Macron de se fâcher systématiquement avec ses partenaires historiques et culturels que sont l'Italie et le Royaume-Uni ne cesse d'interroger.
Quoi qu'il en soit, laisser le Royaume-Uni quitter l'Union européenne en étant en mauvais termes avec elle ne peut en aucun cas être bénéfique à la diplomatie française… à moins de confondre cette dernière avec les intérêts stratégiques des instances européennes, lesquelles seraient certainement trop heureuses de faire de ce premier départ un exemple.
En effet, qu'on le veuille ou non, les liens entre la France et le Royaume-Uni sont bien plus forts qu'avec beaucoup d'autres pays européens. L'Angleterre est notre grand voisin du nord, un pourvoyeur de touristes, un allié historique. Nombreux sont les Britanniques à s'être installés en France ; nombreux sont les Français à vivre, travailler et étudier de l'autre côté de la Manche. Le Royaume-Uni est également l'un de nos principaux partenaires commerciaux. C'est simple, c'est l'un des rares pays européens avec lequel la France dégage des excédents commerciaux. Rétablir des droits de douane serait donc un désastre… surtout pour l'économie française! On peut d'ailleurs noter que la menace du Brexit pèse déjà sur notre balance commerciale. La faiblesse de la livre et la menace de droits de douane ont fait dévisser les excédents commerciaux de la France vis-à-vis de l'économique britannique. Ces derniers sont ainsi passés de 11,7 milliards d'euros en 2016 à 4,1 milliards d'euros l'année dernière.
Emmanuel Macron se rêve en grand leader européen. Il entend incarner le «progressisme européen» en lutte contre les tentations populistes qu'il croit déceler chez les brexiteurs. Si l'on peut comprendre le sens électoral d'une telle croisade, il ne faudrait pas que son allant conduise la France à se fracasser sur le mur d'un «hard Brexit».
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