L’hyper coule ! La fin des grandes surfaces ?
Par Gérard Leclerc I Publié le 4 Juillet 2018
La figure du consommateur remplissant docilement son caddie au gré des promos vacille. Entre internet et circuits courts, les options d’achats se multiplient sur fond de crises sanitaires et environnementales. Enquête sur les géants de la grande distribution à l’heure de la grande mutation.
Supermarket Lady, une sculpture de Duane Hanson réalisée en 1970. (Crédit : Carl Brunn /Ludwig Forum forInternational Art, Aachen 2015)
Bienvenue au Vallco Shopping Mall. C’est l’un des plus grands centres commerciaux américains, à Cupertino, non loin du siège d’Apple, au cœur de la Silicon Valley. Plus de 200 magasins sur trois niveaux, autour des deux géants de la grande distribution que sont Macy’s et Sears, avec une immense patinoire, des cinémas, des théâtres…
Sauf que… Comme dans un film d’anticipation, tout ou presque est fermé, abandonné… Les allées sont vides, l’immense parking désert, là où se pressaient il y a quelques années des milliers de Californiens. Le déclin a commencé dans les années 1990, et deux grands projets de reconstruction, avec commerces et bureaux, ont définitivement été délaissés.
Vallco n’est pas le seul mall fantôme aux États-Unis. Environ 200 centres commerciaux ont fermé en dix ans. Et selon le cabinet de conseil Green Street, près d’un tiers des malls commerciaux seraient menacés.
L’Amérique n’est pas la France. Et pourtant, le centre commercial de Bobigny 2, en Seine-Saint-Denis, et ses 10 000 m2 construits sur une dalle en 1974, va être rasé pour laisser place, entre 2022 et 2025, autour de nouvelles rues et de promenades arborées, à des bureaux, des logements, des équipements publics… Et des commerces à taille humaine au pied des immeubles.
Sauf que… Comme dans un film d’anticipation, tout ou presque est fermé, abandonné… Les allées sont vides, l’immense parking désert, là où se pressaient il y a quelques années des milliers de Californiens. Le déclin a commencé dans les années 1990, et deux grands projets de reconstruction, avec commerces et bureaux, ont définitivement été délaissés.
Vallco n’est pas le seul mall fantôme aux États-Unis. Environ 200 centres commerciaux ont fermé en dix ans. Et selon le cabinet de conseil Green Street, près d’un tiers des malls commerciaux seraient menacés.
L’Amérique n’est pas la France. Et pourtant, le centre commercial de Bobigny 2, en Seine-Saint-Denis, et ses 10 000 m2 construits sur une dalle en 1974, va être rasé pour laisser place, entre 2022 et 2025, autour de nouvelles rues et de promenades arborées, à des bureaux, des logements, des équipements publics… Et des commerces à taille humaine au pied des immeubles.
CONSOMMATION NÉGATIVE
"Si l’hypermarché ne bouge pas, il va disparaître", prédit Yves Puget directeur de LSA, magazine de la grande consommation. Au cours des trois dernières années, le chiffre d’affaires des grandes surfaces, lieux emblématiques des Trente Glorieuses, n’a progressé que de 0,3 %, dix fois moins vite que l’ensemble du marché.
Il aurait même baissé de 3 à 4 % l’an dernier selon le magazine spécialisé Linéaires. Des chiffres qui annoncent la fin d’une époque, et surtout d’un concept, celui de ces 2 050 hypers (plus de 2 500 m2) français, "usines à vendre" bâties au milieu de dizaines de magasins, sur des milliers de mètres carrés à la périphérie des villes. Des "usines" qui ont redessiné les paysages urbains et ruiné le petit commerce de centre-ville.
Il aurait même baissé de 3 à 4 % l’an dernier selon le magazine spécialisé Linéaires. Des chiffres qui annoncent la fin d’une époque, et surtout d’un concept, celui de ces 2 050 hypers (plus de 2 500 m2) français, "usines à vendre" bâties au milieu de dizaines de magasins, sur des milliers de mètres carrés à la périphérie des villes. Des "usines" qui ont redessiné les paysages urbains et ruiné le petit commerce de centre-ville.
Le supermarché de rockville (maryland), une photo mythique de 1964 prise par le photographe John Dominis pour Life Magazine. (Crédit : John Dominis/Time Life Pictures/Getty Images)
"La grande distribution a la gueule de bois depuis que les consommateurs ont retrouvé la liberté", s’enthousiasme Nathan Stern, président de Shoppermind, un laboratoire d’études et de prospectives sur le commerce. "Depuis les années 1960, ils étaient prisonniers du modèle hypermarché : on allait en famille en voiture jusqu’au parking géant, avant de pousser le Caddie et de le remplir d’une foultitude de produits, certes toujours un peu les mêmes et sans beaucoup d’innovation, mais aux prix les plus bas. On gagnait du temps et de l’argent, avec le sentiment que consommer rendait heureux, sans se poser plus de question."
Peu à peu, cette consommation de masse s’étiole au profit d’une autre, plus segmentée, plus opportuniste et plus responsable. La crise de 2008 a accéléré le processus, avec une prise de conscience de l’inutilité des achats d’impulsion, une plus grande prise en compte de la santé et de l’environnement.
Passé inaperçu, un tournant s’est produit en 2016 : la France a connu pour la première fois, commerces physique et numérique confondus, une consommation négative de 0,1 %, qui s’est accélérée à 0,3 % au premier semestre 2017 et à 0,5 % dans les derniers mois de l’année.
Un début de déconsommation d’autant plus notable que la hausse de la démographie, l’amélioration de la croissance (1,9 % prévu pour 2017) et du moral des Français, relevés par l’Insee, devaient continuer à faire progresser les ventes. Or la plupart des produits de grande consommation se vendent moins : pain, viande, lait, sodas, surgelés, alcool, habillement, chaussures, produits d’entretien, cosmétiques…
1949 : Édouard Leclerc transforme son épicerie en magasin discount, à Landerneau (Finistère). Le magasin pratique la vente en gros. (Crédit : Library of Congress - André Zucca/Roger-Viollet - Fonds architectures de cartes postales - Keystone-France/Gamma-Rapho/Getty Images - Jerome Chatin/ Expansion-REA - Rick Wilking/Reuters)
"Jusqu’ici, le seul exemple de recul de la consommation s’était produit en 2008", explique Gaëlle Le Floch, directrice chez Kantar Worldpanel, société spécialisée en études de marché. "Mais à l’époque avec la crise, les consommateurs avaient réduit les dépenses d’alimentation pour continuer à s’acheter des téléphones portables et des écrans plats. C’est totalement différent aujourd’hui : ils choisissent de moins consommer en volume, pour privilégier des produits de meilleure qualité, donc plus chers. Ils se détournent des hypermarchés où l’offre est pléthorique et la tentation trop forte."
SANTÉ PUBLIQUE ET CRISES ALIMENTAIRES
Jacques Dupré, expert de l’institut IRI (Conseil en produits de grande consommation), confirme cette tendance de fond du "consommer mieux quitte à consommer moins" :
Un consommateur de plus en plus sensible aux messages de santé publique et aux crises alimentaires en série. Certains produits en sont durablement affectés, comme les surgelés cuisinés, le saumon fumé, les œufs d’élevage en batterie ou le jambon contenant des nitrites tel que l’a révélé l’émission Cash Investigation.
Même les produits laitiers connaissent un relatif désamour depuis qu’ils ne sont plus réputés aussi bons pour la santé. "On achète avec davantage de précaution, on lit les étiquettes, on cherche la confiance dans le bio, dont les ventes bondissent de 20 % par an", constate Jacques Dupré.
"Le consommateur est en train de passer au “100 pour sans” : local, bio, sans additifs, sans colorants, sans gluten, sans OGM, sans huile de palme, mais aussi avec moins de sel, de sucre, de graisses, de protéines animales…"
Un consommateur de plus en plus sensible aux messages de santé publique et aux crises alimentaires en série. Certains produits en sont durablement affectés, comme les surgelés cuisinés, le saumon fumé, les œufs d’élevage en batterie ou le jambon contenant des nitrites tel que l’a révélé l’émission Cash Investigation.
Même les produits laitiers connaissent un relatif désamour depuis qu’ils ne sont plus réputés aussi bons pour la santé. "On achète avec davantage de précaution, on lit les étiquettes, on cherche la confiance dans le bio, dont les ventes bondissent de 20 % par an", constate Jacques Dupré.
1971 : L’hypermarché Carrefour de Villiers-en-Bière (Seine-et-Marne) ouvre ses portes. Plusieurs fois transformé, il est aujourd’hui le plus grand hypermarché de France avec 24 721 m2. (Crédit : Library of Congress - André Zucca/Roger-Viollet - Fonds architectures de cartes postales - Keystone-France/Gamma-Rapho/Getty Images - Jerome Chatin/ Expansion-REA - Rick Wilking/Reuters)
Le consommateur, plus exigeant sur la qualité, ne se laisse plus "avoir" par les promotions, à l’exemple de cette cliente qui raconte sur les réseaux sociaux avoir acheté deux rouleaux
de papier toilette, dans un magasin classique et chez un discounter, et les avoir déroulés entièrement dans son jardin pour constater que le second était un tiers plus court que le premier !
"Voyez le succès des paniers de légumes hebdomadaires, des supermarchés de producteurs ou des réseaux de communautés d’achat directs aux producteurs comme La Ruche qui dit oui : vous n’avez souvent pas le choix, l’assortiment est limité (il n’y a parfois que du chou en hiver !), mais vous avez le plaisir du produit sain, de la découverte, et la satisfaction d’aider des petits producteurs. C’est aussi le retour en grâce d’une activité millénaire, le marché : il fait parfois froid, on attend, il n’y a souvent pas ou plus le produit qu’on recherchait, mais ces désagréments sont plus que compensés par le supplément d’âme qu’apporte le lien social."
Ce même lien social qui favorise le retour, par exemple, dans certains quartiers de grandes villes, d’artisans comme des cordonniers ou des vélo-cafés, où vous prenez un petit noir pendant qu’on répare votre bicyclette.
de papier toilette, dans un magasin classique et chez un discounter, et les avoir déroulés entièrement dans son jardin pour constater que le second était un tiers plus court que le premier !
"Le sens prime de plus en plus sur le plaisir et l’abondance, ce qui ne favorise pas la grande distribution", décrypte Jean-Marc Mégnin, du groupe de communication commerciale Altivia.
"Voyez le succès des paniers de légumes hebdomadaires, des supermarchés de producteurs ou des réseaux de communautés d’achat directs aux producteurs comme La Ruche qui dit oui : vous n’avez souvent pas le choix, l’assortiment est limité (il n’y a parfois que du chou en hiver !), mais vous avez le plaisir du produit sain, de la découverte, et la satisfaction d’aider des petits producteurs. C’est aussi le retour en grâce d’une activité millénaire, le marché : il fait parfois froid, on attend, il n’y a souvent pas ou plus le produit qu’on recherchait, mais ces désagréments sont plus que compensés par le supplément d’âme qu’apporte le lien social."
Ce même lien social qui favorise le retour, par exemple, dans certains quartiers de grandes villes, d’artisans comme des cordonniers ou des vélo-cafés, où vous prenez un petit noir pendant qu’on répare votre bicyclette.
LE POIDS DU WEB
C’est enfin – et surtout – le web qui bouleverse le commerce comme il l’a fait avec les médias : dans le e-commerce, les références et l’information sont quasi illimitées, ce que ne peut offrir un hypermarché aussi grand soit-il, avec la possibilité de commander et de se faire livrer à tout instant.
Le marché mondial progresse de 30 % par an. Selon le dernier rapport What’s Next in E-Commerce (novembre 2017) de l’institut Nielsen, les ventes en ligne de produits de grande consommation dépasseront les ventes en magasins d’ici cinq ans. Le 11 novembre 2017, à l’occasion de la "fête des célibataires", Alibaba, l’Amazon chinois, a expédié en 24 heures 800 millions de colis dans le monde pour une valeur de 25 milliards de dollars !
En France, le e-commerce représente 5,6 % des produits de grande consommation, chiffre qui devrait doubler d’ici 2025. Il sera difficile, pour le commerce physique, de rivaliser avec la puissance des algorithmes, qui, en fonction de vos achats précédents et de vos goûts, vous proposent les produits qui vous conviennent.
Le marché mondial progresse de 30 % par an. Selon le dernier rapport What’s Next in E-Commerce (novembre 2017) de l’institut Nielsen, les ventes en ligne de produits de grande consommation dépasseront les ventes en magasins d’ici cinq ans. Le 11 novembre 2017, à l’occasion de la "fête des célibataires", Alibaba, l’Amazon chinois, a expédié en 24 heures 800 millions de colis dans le monde pour une valeur de 25 milliards de dollars !
En France, le e-commerce représente 5,6 % des produits de grande consommation, chiffre qui devrait doubler d’ici 2025. Il sera difficile, pour le commerce physique, de rivaliser avec la puissance des algorithmes, qui, en fonction de vos achats précédents et de vos goûts, vous proposent les produits qui vous conviennent.
2017 : L’internet marchand s’intéresse aux produits de consommation courante. En juin, aux États-Unis, Amazon rachète les super et hypermarchés bio Whole Foods Market. (Crédit : Library of Congress - André Zucca/Roger-Viollet - Fonds architectures de cartes postales - Keystone-France/Gamma-Rapho/Getty Images - Jerome Chatin/ Expansion-REA - Rick Wilking/Reuters)
La reconnaissance vocale, que maîtrisent trois acteurs principaux – Amazon, Google et Apple – va encore simplifier l’achat : pour les produits courants, un simple mot comme "savon" prononcé sur votre smartphone suffit, grâce à l’assistant vocal Alexa d’Amazon (qui n’est pas encore disponible en français), pour que vous soit livré votre savon préféré.
Pour les articles plus sophistiqués, le "commerce conversationnel" est en test aux États-Unis. Un étrange dialogue s’engage avec Alexa.Vous annoncez : "Je veux un climatiseur". "Quelle gamme de prix ?" vous répond l’assistant vocal, avant de vous suggérer un modèle recommandé par d’autres acheteurs. Votre interlocuteur virtuel s’occupe ensuite de la livraison en fonction de votre agenda… auquel il a accès. Livraison qui, demain, pourrait se faire par drone.
Autre tendance venue des États-Unis : l’économie de la souscription ou de l’abonnement. Des start-up spécialisées dans l’alimentation, les produits d’entretien, les cosmétiques ou l’habillement, comme Birchbox, Dollar Shave Club, ou Bic Shave Club (qui vient de s’installer en France), expédient périodiquement à votre domicile les bouteilles d’eau, couches et petits pots pour bébés, papier toilette ou même vêtements (en fonction des saisons) dont vous avez besoin.
Et dont vous n’avez plus à vous occuper. Plutôt que d’acheter, on peut aussi louer, même lorsqu’il s’agit d’habillement. L’entreprise Tale Me Shop propose ainsi, pour les bébés – qui grandissent très vite – ou les femmes enceintes, des locations de vêtements, parfois de créateurs.
À chacun son mode de consommation, en fonction des socio-styles ? Jean-Marc Mégnin n’y croit pas trop. Certes, les cinquantenaires ont plutôt tendance à faire leurs courses dans les grandes surfaces, quand les moins de 30 ans privilégient le digital ou les commerces de proximité.
Encore et toujours la liberté, après des années de captivité.
Pour les articles plus sophistiqués, le "commerce conversationnel" est en test aux États-Unis. Un étrange dialogue s’engage avec Alexa.Vous annoncez : "Je veux un climatiseur". "Quelle gamme de prix ?" vous répond l’assistant vocal, avant de vous suggérer un modèle recommandé par d’autres acheteurs. Votre interlocuteur virtuel s’occupe ensuite de la livraison en fonction de votre agenda… auquel il a accès. Livraison qui, demain, pourrait se faire par drone.
Autre tendance venue des États-Unis : l’économie de la souscription ou de l’abonnement. Des start-up spécialisées dans l’alimentation, les produits d’entretien, les cosmétiques ou l’habillement, comme Birchbox, Dollar Shave Club, ou Bic Shave Club (qui vient de s’installer en France), expédient périodiquement à votre domicile les bouteilles d’eau, couches et petits pots pour bébés, papier toilette ou même vêtements (en fonction des saisons) dont vous avez besoin.
Et dont vous n’avez plus à vous occuper. Plutôt que d’acheter, on peut aussi louer, même lorsqu’il s’agit d’habillement. L’entreprise Tale Me Shop propose ainsi, pour les bébés – qui grandissent très vite – ou les femmes enceintes, des locations de vêtements, parfois de créateurs.
À chacun son mode de consommation, en fonction des socio-styles ? Jean-Marc Mégnin n’y croit pas trop. Certes, les cinquantenaires ont plutôt tendance à faire leurs courses dans les grandes surfaces, quand les moins de 30 ans privilégient le digital ou les commerces de proximité.
"Mais c’est surtout l’humeur, l’opportunité et le temps disponible qui vont de plus en plus déterminer le type d’achat. Un même consommateur peut, suivant le cas, acheter sur le net, profiter d’une promotion dans une grande surface, aller faire ses courses au marché, dans un magasin bio ou asiatique…"
Encore et toujours la liberté, après des années de captivité.
(Pourquoi ne pas faire dans les centres villes des rues dédiées au bio, alimentation bio, restaurants bio avec alcool uniquement bio, vêtements alternatifs, en tissus d'ortie, en chanvre, herboristeries, etc avec un cahier des charges rigoureux pour les commerces qui y ouvriraient. Et, surtout pas du bio industriel et sans traces de pesticides, fongicides et autres saloperies. note de rené)
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