Affaire de la non-libération de Lula : quand des magistrats ne respectent même plus la loi
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Un juge de la Cour d’appel de Porto Alegre, Rogério Favreto, a ordonné, le 8 juillet, la libération de l’ancien président brésilien Lula, incarcéré à Curitiba. L’ancien président brésilien et cofondateur du Parti des travailleurs (PT) a été condamné à une peine de 12 ans de prison pour corruption début avril. Cette décision de le libérer provisoirement fait suite à une demande d’habeas corpus — le droit fondamental à ne pas être privé de sa liberté sans preuves — déposée par trois députés du PT, le parti de l’ancien président. Plusieurs demandes d’habeas corpus avaient déjà été engagées depuis trois mois, mais toutes avaient jusqu’à présent été rejetées par la justice. Le juge Rogério Favreto, lui-même ancien membre du PT, qui était d’astreinte ce week-end, a argué de l’approche de la campagne électorale pour justifier sa décision. L’élection présidentielle brésilienne, pour laquelle Lula demeure largement favori, doit se dérouler les 7 et 28 octobre et les candidatures doivent être déposées le 15 août au plus tard.
« La situation est totalement inédite », commente une juriste brésilienne. Car l’ordonnance de libération a été suivie de prises de positions publiques et de controverses entre magistrats. Dès l’annonce de l’ordonnance, le juge Sergio Moro, qui a condamné Lula en première instance et ne cache pas ses sympathies à l’égard du parti de droite PSDB, a interrompu ses vacances pour demander à la police fédérale de ne pas appliquer la décision et de garder Lula en cellule. L’un des juges de la cour d’appel qui avait confirmé et alourdi la peine d’emprisonnement de l’ancien président en appel, João Pedro Gebran Neto, s’est également opposé à la décision de son collègue, pourtant habilité à prendre cette ordonnance.
« Des sanctions administratives et disciplinaires devraient normalement être prises »
« La loi interdit aux magistrats de commenter une décision de justice prise par d’autres magistrats », précise un observateur. Normalement, chacun aurait dû attendre un éventuel recours auprès du tribunal suprême fédéral, l’équivalent brésilien de la Cour de cassation, pour invalider, ou non, l’ordonnance de libération. Un quatrième juge, Thomson Flores, président de la cour d’appel, a finalement pris parti en faveur de Sergio Moro et de João Pedro Gebran Neto pour annuler l’ordonnance de libération que la police fédérale avait de toute façon refusé d’appliquer.
« Tout ce cirque montre un manque de respect vis-à-vis de l’institution et de la constitution », commente-t-on dans les milieux judiciaires. « Des sanctions administratives et disciplinaires devraient normalement être prises contre le juge Sergio Moro. » Depuis le putsch institutionnel qui a abouti en 2016 à la destitution de la présidente Dilma Roussef, élue démocratiquement, le Brésil ne semble plus être un État « normal ». La vaste opération anti-corruption Lava Jato en cours depuis 2014 a totalement décrédibilisé la représentation politique. Elle concerne, outre l’ancien président Lula, des centaines d’élus de tous bords politiques. Et l’actuel président intérimaire Michel Temer (droite néolibérale) est également visé par plusieurs enquêtes.
L’affaire de l’ordonnance de libération de Lula illustre la partialité de certains magistrats, qui osent désormais ne pas respecter ni appliquer des décisions de justice. La défense de l’ancien président de gauche espère bien en tirer parti pour faire invalider toute la procédure et demander une révision du procès. En attendant, un candidat à l’élection présidentielle compte bien profiter de ce chaos juridico-politique, sur fond de crise économique et de remontée de la violence : le député d’extrême-droite Jair Bolsonaro, bien placé dans les intentions de vote, et qui tente actuellement de séduire les milieux d’affaires (lire notre article : Raciste, homophobe, pro-torture : Bolsonaro, l’ancien militaire qui pourrait devenir président du Brésil).
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