« Génocide silencieux » et « fraude scientifique » : l'accablant documentaire sur le glyphosate
En octobre 2016, un « faux tribunal » constitué de vrais juges condamnait Monsanto pour les ravages sur l’homme et l’environnement qu’est fortement soupçonné de causer son herbicide à base de glyphosate, le Roundup. La journaliste Marie-Monique Robin a enquêté en amont du procès et accumulé les indices contre Monsanto. Son documentaire, Le Roundup face à ses juges (diffusé le 17 octobre 2017 sur Arte), ouvertement à charge, est accablant, non seulement pour le glyphosate, mais aussi pour la firme américaine, qui semble prête à tout pour sauver son herbicide.
C’est une succession de témoignages à vous glacer le sang. En Argentine, la caméra de Marie-Monique Robin suit des chercheurs à la rencontre de populations vivant à proximité de champs aspergés d’herbicides à base de glyphosate. « Nous avions une fille, elle avait 11 ans. Elle est morte d’une pneumonie et d’un arrêt respiratoire. » « Ma femme est morte l’an dernier, elle avait 56 ans. Elle a eu un problème d’asthme grave quand ils ont pulvérisé le champ en face. Et mon petit-fils vient d’être opéré d’un rein à cause d’une malformation congénitale. » « Mon frère est décédé il y a un peu moins de deux ans d’un cancer du foie », dit encore un homme tremblant et rachitique. Son sort n’est guère plus enviable : il souffre de polyneuropathie toxique sévère. Son métier avant la maladie ? Remplir les cuves des avions d’épandage avec du glyphosate. Le lien ne fait pour lui aucune doute. « C’est un génocide silencieux dont je ne veux plus être complice. »
Tribunal contre Monsanto
Les victimes et leurs proches ont eu l’occasion de rompre le silence lors du Tribunal Monsanto, organisé à La Haye, aux Pays-Bas, du 14 au 16 octobre 2016. Un procès fictif, mais dirigé par d’éminents juges internationaux. Monsanto, la firme qui a mis le glyphosate sur le marché et le commercialise dans son pesticide star, le Roundup, a été reconnu coupable de porter atteinte à de nombreux droits humains. Les juges espèrent par cet « avis consultatif » inciter la Cour pénale internationale à reconnaître le crime d’écocide.
« J’ai accepté d’être la marraine du Tribunal Monsanto car c’est un évènement important qui peut donner de l’espoir. On ne pense même pas pouvoir porter plainte quand on est un petit paysan en Argentine », confie Marie-Monique Robin. La réalisatrice, qui dénonçait déjà les agissements de la multinationale dans son film Le monde selon Monsanto (2008), a donc repris du service. En plus du Tribunal, elle a filmé en amont, chez eux, aux quatre coins du monde, les victimes et les experts appelés à la barre. Le résultat est une démonstration limpide d’1h30, accumulant arguments scientifiques et témoignages sur les ravages du glyphosate et l’implacable volonté de Monsanto d’empêcher toute régulation.
24 800 morts au Sri Lanka
Outre l’hécatombe argentine, le film montre le combat des milliers de citoyens américains en lutte contre la firme d’agrochimie, celui d’une mère française dont le fils de 10 ans en est à sa cinquante-deuxième opération chirurgicale à cause d’une malformation congénitale, et raconte l’histoire des paysans au Sri Lanka, où 24 800 personnes sont mortes d’une maladie rénale soupçonnée d’être liée au glyphosate et où 69 000 autres en sont encore malades, d’après les chiffres du gouvernement. Dans le monde, rien qu’en 2016, 800 000 tonnes de glyphosate ont été produites. Peut-on imaginer le nombre de personnes potentiellement victimes du glyphosate sur la planète ? « Impossible, répond la réalisatrice. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des malades partout et qu’il y aura, probablement, de plus en plus de procès. »
« L’industrie chimique s’est rapprochée de l’industrie du tabac pour savoir quelles techniques ils avaient employées pour retarder l’établissement de liens entre cancer du poumon et tabac »
Officiellement, le glyphosate est inoffensif pour l’homme. D’après l’agence européenne de régulation des aliments (EFSA) et son homologue américaine (EPA), le glyphosate n’est pas cancérigène. Sur son site, Monsanto affirme également que la toxicité aiguë du glyphosate est moins élevée que celle de la caféine ou du sel.
Le documentaire met quant à lui en avant pléthore d’études scientifiques qui prétendent le contraire. Poussins nés malformés, grenouilles à 5 pattes... Ces études constatent une action du glyphosate sur l’altération de certains gènes. Le film souligne également les conclusions du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui a classé en 2015 le glyphosate comme « cancérogène probable ».
« J’ai passé deux ans à lire toutes les études, toutes les publications sur le glyphosate, raconte Marie-Monique Robin. Face aux études indépendantes qui l’accusent, Monsanto finance des études contradictoires pour “fabriquer du doute”. C’est une vraie machine de désinformation. L’industrie chimique s’est rapprochée de l’industrie de tabac pour avoir des conseils sur les techniques qu’ils avaient employées pour retarder l’établissement de liens entre cancer du poumon et tabac. »
« Fraude scientifique »
Pire que la désinformation, certains témoignages laissent entendre que la firme s’adonne aux pressions et aux menaces sur ceux qui mettent son business en péril, et à la dissimulation de résultats. Les propres études menées par Monsanto en 1978 auraient conclu à des liens entre son herbicide et de nombreux cancers. « Monsanto a fait d’excellentes études, je suis impressionné par la qualité de leur travail. Mais ils ont caché toute cette information », accuse le biochimiste Anthony Samsel devant la caméra.
« C’est vachement grave. Mais il ne se passe rien, la Commission européenne fait comme si de rien n’était, et ça n’émeut personne »
Les agences de régulation sont aussi très fortement soupçonnées de collusion avec Monsanto. « L’EFSA ne fait pas la différence entre des études publiées par l’industrie et celles de scientifiques indépendants. Christopher Portier, toxicologue de renommée mondiale, a dénoncé les conclusions de l’EFSA dans une lettre signée par 96 scientifiques. Il accuse l’agence de fraude scientifique. C’est vachement grave. Mais il ne se passe rien, la Commission européenne fait comme si de rien n’était, et ça n’émeut personne », s’indigne la réalisatrice.
Les conclusions du documentaire sont largement étayées par les révélations du journal Le Mondeet sa série d'articles baptisée « Monsanto Papers ». Des documents internes à l’entreprise rendus publics et qui laissent entendre que la multinationale aurait fait signer à des scientifiques de renom des études écrites par ses soins et aurait de très étroites relations avec des membres des agences de régulation, lui assurant une forme de protection contre toute initiative contre le glyphosate. « Les normes sanitaires sont établies au doigt mouillé, appuie Marie-Monique Robin.La limite maximale de résidus dans le soja est passée de 0,4 mg/kg à 20 mg/kg. On adapte sans s’appuyer sur rien, pour arranger l’industrie. »
« Tous les mois, de nouvelles personnes portent plainte aux Etats-Unis. Si ça aboutit, il y aura des milliards de dollars de sanction à la clé, et ce sera la fin pour Monsanto »
Après d'autres séquences accablantes, renforçant les soupçons d’effets délétères du glyphosate sur les animaux, les sols et les cultures, le documentaire conclut sur la condamnation factice de Monsanto par son tribunal du jour. Mais il nous laisse avec une angoisse : l’accusation lourde d’empoisonnement massif de l’humanité depuis 40 ans va-t-elle encore planer longtemps sans être tranchée par un vrai tribunal, indépendant et bien informé ? « Tous les mois, de nouvelles personnes portent plainte aux Etats-Unis. Si ça aboutit, il y aura des milliards de dollars de sanction à la clé, ce sera la fin pour Monsanto », prophétise la réalisatrice.
Un glyphosate de substitution ?
En septembre 2016, Monsanto a été racheté par Bayer, un autre géant de l’industrie chimique. Du moins si la Commission européenne autorise l’opération. Sa décision est attendue au plus tard le 22 janvier 2018. « Mais quid de la responsabilité pénale de Monsanto si le rachat est autorisé ? », demande la journaliste.
« On ne va pas attendre de trouver un produit chimique qui détruise la vie dans les champs sans affecter les organismes en dehors. Ça n’existe pas »
L’Union européenne est décidément au coeur du jeu, avec une autre décision attendue sous peu : celle de la réautorisation - ou non - pour dix ans du glyphosate sur son territoire. Après quelques tergiversations sur le sujet, la France a annoncé qu’elle voterait contre cette prolongation. Encore incertain, le vote pourrait avoir lieu dès le 23 octobre 2017. Le ministre français de l’Agriculture, Stéphane Travert, souhaiterait aboutir à un compromis et laisser le temps aux industriels de trouver un « produit de substitution ». Une position qui risque de réitérer les erreurs du passé, estime Marie-Monique Robin : « On ne va pas attendre de trouver un produit chimique qui détruise la vie dans les champs sans affecter les organismes en dehors. Ça n’existe pas. La solution passe par la fin du chimique et l’agroécologie qui, au passage, est aussi vertueuse et nécessaire pour le climat. »
Pas forcément l’avis de Stéphane Travert, qui a annoncé en septembre 2017 l’arrêt des aides d’État au maintien des agriculteurs bio pour 2018. Dans le même temps, le Parlement européen a demandé le bannissement des représentants de Monsanto hors de son enceinte. L’avenir du glyphosate, et de tout le monde agricole, semble plus incertain que jamais.
Le Roundup face à ses juges, de Marie-Monique Robin. Diffusé mardi 17 octobre 2017 à 20h55 sur Arte.
Image à la une : En 2016, 240 millions de litres d'herbicide à base de glyphosate ont été utilisés en Argentine. © M2R Films.
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