Les Tunisiens prennent la mer par milliers
Marie Verdier , le 05/06/2018 à 16h39 source : La Croix
Le naufrage du bateau transportant des migrants au large des côtes tunisiennes, le 2 juin, devrait se solder par plus de cent morts et disparus.
Le naufrage du bateau transportant des migrants au large des côtes tunisiennes, le 2 juin, devrait se solder par plus de cent morts et disparus.
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Deux migrants qui ont été secourus après avoir tenté de traverser la Méditerranée se réconfortent à Sfax, Tunisie le 4 juin 2018. / EPA/MaxPPP
La marine tunisienne poursuit encore ses recherches en mer au large de Sfax ce mardi 5 juin. Mais l’espoir de retrouver des survivants est infime plus de deux jours après le naufrage du bateau de migrants parti des îles Kerkennah dans la nuit de samedi à dimanche.
Probablement 110 à 120 décès
« C’est l’une des pires catastrophes de la Tunisie depuis plusieurs années »,s’attriste Messaoud Romdhani, président du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). « D’après les témoignages des rescapés, ils étaient probablement entre 180 et 200 personnes sur le bateau. On peut s’attendre à plus de 110 ou 120 décès », ajoute-t-il.
Pour l’heure, 68 personnes, dont 60 Tunisiens, ont été secourues dimanche, et 55 corps – dont au moins 38 Tunisiens et 14 Subsahariens – ont été repêchés dont quatre ce mardi matin.
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« Le bateau surchargé a pris l’eau et s’est renversé, mais n’a pas coulé, les rescapés ont pu s’y tenir accrochés jusqu’à ce qu’ils soient secourus », précise Romdhane Ben Amor de l’observatoire méditerranéen des migrations (lié au FTDES) qui s’est rendu à Sfax où les rescapés sont pris en charge et les morts identifiés.
Des Tunisiens de 15 à 35 ans
Selon lui, presque tous sont des Tunisiens venus du sud du pays, essentiellement de Gabès, de Tataouine et de Médenine, quelques femmes mais essentiellement des hommes jeunes de 18 à 35 ans et même des adolescents de 15-16 ans.
Le porte-parole du ministère de l’intérieur, Khelifa Chibani, a déclaré lundi que huit passeurs identifiés sont recherchés. Le premier ministre Youssef Chahed avait organisé le matin une cellule de crise gouvernementale.
« Il y a beaucoup de colère en Tunisie »
« Poursuivre les passeurs c’est une chose, il aurait fallu décréter un deuil national pour cette catastrophe, prendre la mesure de la gravité de la situation, entreprendre des réformes économiques et sociales, favoriser la liberté de circulation et mener une politique de coopération avec l’Union européenne en faveur du développement et pas se limiter à une approche sécuritaire », tempête Romdhane Ben Amor.
« Il a y beaucoup de colère en Tunisie », abonde Messaoud Romdhani. « Le FTDES a souligné à maintes reprises la gravité de la crise économique et sociale et tenté d’alerter les autorités sur l’ampleur du drame. Celui d’une jeunesse qui semble vivre dans un tunnel obscur et ne rêve que d’une seule chose : quitter le pays par n’importe quel moyen », a-t-il fait valoir dans un communiqué soulignant l’emballement des chiffres de l’émigration non réglementaire.
Une fuite des cerveaux
Les laissés-pour-compte des quartiers populaires des grandes villes et des régions déshéritées de l’intérieur du pays qui aspiraient en 2011 à la dignité, au travail et à la liberté ont depuis lors perdu espoir.
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« Le chômage, la cherté de la vie, l’inflation à 7,7 %, la dévaluation du dinar, les espoirs se tarissent aussi chez les diplômés. Nous assistons à une véritable fuite des cerveaux, l’ordre des médecins estime que 45 % des nouveaux médecins ont quitté le pays en 2017 », ajoute Messaoud Romdhani.
Un jeune sur deux pense à migrer
Dans une enquête parue en janvier 2017, le FTDES avait évalué que l’envie migratoire concernait un jeune sur deux de 18 à 35 ans et que 31 % se disaient prêts pour la migration.
Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), près de 34 000 personnes ont traversé la Méditerranée pour gagner la Grèce l’Italie et l’Espagne et 651 ont péri en mer depuis le début de l’année. Les Tunisiens – 1 910 – sont la troisième nationalité représentée derrière les Syriens et les Irakiens. Ils sont la première nationalité à arriver en Italie : 720 personnes sur 13 677 comptabilisées par le HCR.
15 000 Tunisiens ont pris la mer l’an dernier
Mais pour Romdhane Ben Amor la réalité est bien supérieure. Selon le rapport du FTDES, 15 000 Tunisiens ont tenté de rejoindre l’Europe l’an dernier : 3 178 d’entre eux ont été interceptés par les garde-côtes tunisiens, 6 151 ont été arrêtés par les autorités italiennes et les autres sont passés entre les mailles du filet. Et la tendance est à la hausse : 3 000 tentatives de traversée ont eu lieu au cours du premier trimestre 2018.
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