dimanche 3 juin 2018

La nouvelle et morne Italie

Par Attilio Moro
Paru sur Consortium News sous le titre This Is the New Italy via Entelekheia

Sesto San Giovanni, une ville de la banlieue de Milan, était l’une des capitales industrielles de l’Italie.
Avec autour de 200 000 habitants (45 000 ouvriers et une classe moyenne robuste), c’était le quartier général des quelques-unes des compagnies italiennes les plus dynamiques, y compris Magneti Marelli, Falck, Breda et de nombreuses autres.
Aujourd’hui, Sesto est un désert industriel – les usines sont parties, la classe moyenne travailleuse a fui, de nombreuses boutiques ont fermé, et la ville tente de se réinventer comme centre de recherches médicales.
A vingt-trois kilomètres au nord de Sesto, la ville de Meda était le siège de plusieurs symboles de l’excellence italienne : Salotti Cassina et Poltrona Frau, qui exportaient tous deux du mobilier haut de gamme dans le monde entier et employaient des dizaines de milliers de travailleurs et de concepteurs. Ils nourrissaient bon nombre d’entreprises familiales qui fournissaient des pièces et du personnel saisonnier hautement qualifié. Aujourd’hui, ces deux compagnies sont parties.
Montezemolo: Ennemi public
Luca Cordero di Montezemolo, un ancien dirigeant de Ferrari, Fiat et Alitalia, et aujourd’hui un ennemi public à cause de son abandon du label « Made in Italy », a acquis les deux compagnies et les a délocalisées en Turquie, sacrifiant la qualité — et les emplois italiens — au profit.  Montezemolo, pourtant de naissance aristocratique, est un des champions du néolibéralisme italien, et a fondé le think tank libre-échangiste influent Italia Futura (Italie Future) en 2009.
Une autre victime est la ville de Sora, avec une population de 25 000 personnes, à 80 kilomètres à l’est de Rome. Encore récemment, Sora était une ville commerciale pleine de vie, avec des usines de papier de taille moyenne et des centaines de magasins. Aujourd’hui, toutes les usines sont partie et 50% des magasins ont fermé.
Partout en Italie, les politiques néolibérales ont conduit à la crise économique et la décadence sociale qui en a résulté s’est accélérée dans le sillage de l’effondrement économique de 2007.
C’était la Stalingrad de l’Italie
Sesto San Giovanni était connue comme « la Stalingrad italienne » à cause du dynamisme de sa classe ouvrière et du Parti communiste, qui y engrangeait 50% des votes. Aujourd’hui, le principal parti de la ville est la Lega, un parti de droite xénophobe. Cela a été accompagné par un changement démographique : Sesto a perdu presque un tiers de sa population, mais a acquis des dizaines de milliers d’immigrants qui constituent aujourd’hui presque 20% de sa population.
Le Parti communiste italien, à l’époque le plus puissant du monde capitaliste, a disparu entre-temps, avec la classe ouvrière. Il y a aussi le dénuement d’une classe moyenne en baisse qui accompagne la rupture du tissu social, avec une corruption omniprésente. Tous les partis traditionnels ont été balayés.
Ils ont été remplacés par les dénommés ‘populistes’ : La Lega et le Mouvement 5 étoiles, vainqueurs incontestés des dernières élections en mars. La Lega exprime les frustrations du nord de l’Italie encore productif (mode, services et quelques produits haut de gamme), ses demandes de baisses de taxation – les taxes italiennes sont parmi les plus élevées d’Europe. Il veut aussi une monnaie parallèle, une réduction de la circulation de l’euro (qui ralentit les exportations, particulièrement vers l’Allemagne) et des limites à l’immigration.
Sesto San Giovanni: C’était la Stalingrad italienne
Le Mouvement 5 étoiles, qui est considéré en partie comme l’héritier de l’ancien Parti communiste, mais avec une base sociale différente de classes sociales basses indifférenciées qui remplacent le prolétariat en voie de disparition, milite pour une moralisation des partis politiques et un revenu universel de base de 750 euros par mois pour les plus pauvres, pour contenir les effets du désastre social qui a eu lieu dans le sud du pays au cours de la dernière décennie : un chômage de 20% qui affecte 40% des jeunes et fait de la mafia et du crime organisé les principaux ’employeurs’ dans les plus critiques régions du sud.
C’est la nouvelle, la morne Italie. L’ancienne, celle de Fiat, de Cassina, des petites entreprises familiales, l’Italie des Démocrates Chrétiens, du Parti communiste et de la riche culture prolétarienne est morte.
Attilio Moro est un journaliste vétéran qui a été correspondant du quotidien Il Giorno à New York. Il avait auparavant travaillé en radio (Italia Radio) et télévision. Il a longuement voyagé et couvert la première Guerre d’Irak, les premières élections au Cambodge et en Afrique du Sud, et des événements au Pakistan, au Liban, en Jordanie et dans plusieurs pays d’Amérique Latine, y compris Cuba, l’Equateur et l’Argentine. Aujourd’hui, il est correspondant des affaires européennes à Bruxelles.
Traduction Entelekeheia
Photo Pixabay

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