Par Elijah J. Magnier@ejmalrai
Traduction : Daniel G.
La Russie et Damas (et leurs alliés) sont parvenus à s’entendre sur un plan en vue de la libération, par l’armée syrienne, des territoires qui restent à Quneitra et Daraa au sud de la Syrie. L’accord fera l’objet de discussions cette semaine entre hauts dirigeants (vice-ministres) des administrations russes, américaines et jordaniennes, avec la bénédiction de Damas et de Téhéran qui louangent les efforts et la capacité de négociation des Russes. L’accord est on ne peut plus clair : les USA doivent se retirer du passage frontalier d’al-Tanf, sans quoi il n’y aura pas d’accord et l’armée syrienne demandera l’aide de ses alliés pour libérer le sud. Les Russes ont lancé la balle dans le camp des USA et c’est maintenant au tour de Washington d’agir. Il peut soit décider d’entrer en guerre aux côtés d’Israël contre les forces de Damas dans le sud, soit retirer ses forces d’occupation du passage frontalier entre la Syrie et l’Irak.
L’armée syrienne concentre des forces importantes en vue de la libération de la dernière poche au sud de la capitale Damas où Daech (sous le nom d’Armée Khaled Bin al-Walid) et d’autres djihadistes et leurs alliés occupent une partie du sud de la Syrie jouxtant Israël et la Jordanie. Damas et Amman voudraient bien que l’armée syrienne reprenne le contrôle de la frontière et ouvre de nouveau le passage frontalier de Nassib, pour rétablir l’une des sources de revenus les plus importantes des deux pays.
Israël s’est tourné vers la Russie – et non vers les USA – pour obtenir une garantie que l’Iran et le Hezbollah n’établiront pas de bases à la frontière syrienne, de façon à créer une situation où elle servira de plateforme à une attaque contre Israël dans l’avenir.
La Russie, la Syrie et l’Iran ont tous convenu de la prochaine étape à franchir pour libérer le sud et contenter toutes les parties concernées. La demande des Israéliens de ne voir que l’armée syrienne à sa frontière ne sera pas exaucée « gratuitement » : il y a un prix à payer et ce prix, c’est le passage frontalier d’al-Tanf qu’occupent actuellement les forces US.
Outre la principale voie commerciale entre l’Irak et la Syrie à l’est (al-Tanf), les forces US occupent aussi une partie du nord-est de la Syrie. Les USA n’ont aucun intérêt direct à maintenir des forces en Syrie (à part leur soutien à Israël) et se servent du contrôle exercé sur le passage frontalier pour pousser des milliers de militants entraînés par le Pentagone à attaquer des territoires syriens (sans résultat stratégique) ou pour ralentir l’économie syrienne. Voilà pourquoi la Russie et ses alliés s’attendent à ce que Tel-Aviv fasse pression sur Washington pour qu’il retire ses troupes d’al-Tanf en échange de la « tranquillité d’esprit » d’Israël à sa frontière.
Plusieurs scénarios sont toutefois possibles :
  1. Israël accepte et demande aux USA de libérer le passage frontalier entre la Syrie et l’Irak. L’armée syrienne prendra alors le contrôle du sud en attaquant les djihadistes et leurs alliés.
  2. Israël refuse et l’armée syrienne attaque les djihadistes et leurs alliés. Si Israël réagit en bombardant les forces attaquantes, Damas et ses alliés ont déjà établi une nouvelle règle d’engagement et riposteront en frappant des cibles sur les hauteurs du Golan occupé et au-delà. Le risque de débordement entre Israël et le Hezbollah et l’Iran est élevé. Sur le plan intérieur, Israël est-il prêt à une guerre plus étendue?
  3. Israël et les USA augmentent la mise en demandant le retrait de toutes les forces iraniennes de la Syrie, ce qui est impossible à respecter par la Russie. L’Iran est présent en Syrie depuis que le président Hafez Assad a permis au Corps des gardiens de la révolution islamique iranienne de soutenir la résistance libanaise contre l’invasion israélienne de 1982. En outre, la Syrie a demandé à l’Iran et à ses alliés de la soutenir en 2013, soit plus de deux ans avant l’intervention des Russes. Téhéran et Damas, qui sont tous deux membres de « l’Axe de la résistance » avec le Hezbollah, sont sur la même longueur d’onde pour tout ce qui concerne la guerre en Syrie, la façon de la mener et le résultat politique qui devrait s’y dégager. Pareille harmonie n’existe pas entre Damas et Moscou. Par conséquent, la Russie n’est pas en mesure de demander au gouvernement syrien d’imposer un retrait iranien de la Syrie en échange de ce que l’armée syrienne peut faire avec ou sans l’accord d’Israël.
Israël dispose donc d’une marge de manœuvre limitée. S’il s’engage dans une bataille aux conséquences imprévisibles contre « l’Axe de la résistance », elle pousserait le président Bachar al-Assad à passer de la défensive à l’offensive et à se montrer plus agressif en étant prêt à frapper Israël. Israël peut aussi accepter de limiter ses gains en acceptant que l’Iran et ses alliés s’éloignent de sa frontière.
Lors de sa dernière interview, Assad a dit qu’il n’avait d’autre choix que « d’améliorer la défense aérienne, c’est tout ce que nous pouvons faire et c’est ce que nous faisons ». Pour « l’Axe de la résistance », il s’agit là d’une attitude purement défensive qui ne correspond pas nécessairement à la manière dont il voudrait s’occuper d’Israël. L’Iran et ses alliés souhaiteraient adopter une attitude bien plus combative à l’endroit d’Israël en menant une offensive qui irait beaucoup plus loin que ce que souhaite Assad pour l’instant. Par conséquent, le choix de maintenir seulement la présence de l’armée syrienne à proximité des hauteurs du Golan occupé et de la ligne de démarcation de 1974 est tout à l’avantage d’Israël.
Il y a des différences dans la façon dont la Russie mène le dossier syrien auprès de ses proches alliés, mais elles ne sont pas assez grandes pour nuire aux relations. La Russie souhaiterait qu’une réconciliation politique se fasse le plus rapidement possible, que Damas réécrive la constitution et que les USA abandonnent al-Tanf, de façon à ce que les forces d’occupation (USA et Turquie) soient concentrées seulement au nord.
Damas ne demandera pas à l’Iran et à ses alliés, du moins pas aujourd’hui, de se retirer tant que le danger n’est pas écarté. Il a l’intention de revoir la constitution (et non pas de la réécrire, comme le souhaite Moscou) et souhaite le retrait de toutes les forces d’occupation.
Peu importe que les Israéliens « ont le culot » d’exiger de la Syrie quelles sont les forces qu’elle peut ou maintenir ou non sur son territoire, une chose est sûre : tant la Russie que « l’Axe de la résistance » veulent que le sud soit libéré et sont prêts à demander à l’Iran et au Hezbollah de se tenir loin de la frontière. « L’Axe » semble très à l’aise avec l’idée de quitter le sud de la Syrie pour le confier aux forces locales syriennes qui, après plus de sept ans de guerre, sont très bien équipées et fortes d’une expérience de combat et d’une idéologie bien ancrée qui leur permettront de suivre les traces de « l’Axe » dans leur animosité contre Israël. Mais pour l’instant, l’abandon d’al-Tanf par les USA est le prix à payer et il est non négociable.