dimanche 22 avril 2018

(La justice passe par une autre forme d'injustice. Mais, laquelle est la plus noble, il faut choisir. note de rené)


Afrique du Sud : le prochain Zimbabwe ?

REPORTAGE. Dans le Gauteng, à quelques kilomètres de la capitale, Pretoria, un drame est peut-être en train de se nouer autour de l'incitation des habitants des townships, par le parti d'extrême gauche EFF, à marquer des terres.
PAR NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE EN AFRIQUE DU SUD, 
Publié le  | Le Point Afrique source : Le Point afrique
<p>Vassie Naidii sur ses terres. </p>
Vassie Naidii sur ses terres. 
Vassie Naidii, fines lunettes de métal posées sur profil indien, coupe grise impeccable, chemise bleue rayée et mains dans les poches de son pantalon noir d'homme d'affaires, scrute les alentours. Il tente un sourire hésitant, il a eu la peur de sa vie, mais il ne voudrait pas exagérer : « Ils sont venus dimanche, vers 8 heures, en minibus. Ils étaient une cinquantaine, peut-être cent. Ils ont délimité des parcelles avec du ruban de signalisation, sur ma terre. Ils n'avaient pas d'armes, mais des marteaux, des bâtons, ce genre de choses, des fourches, des tuyaux. » « Ils », ce sont des habitants du township d'Olivienhoutbosch, à moins de 1 kilomètre. Tous les abords de Monument Drive, route non goudronnée, à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Pretoria, ont ainsi été « marqués ». Les rubans blancs forment des rectangles qui oscillent au gré du vent, entre les hautes herbes. Vassie a tout arraché chez lui, mais s'il jette des regards inquiets, c'est que des voitures tournent, en repérage. Il supervise ses employés qui, pour la cinquième fois, plantent une clôture. Vassie n'est pas fermier et compte développer un programme immobilier sur sa terre : « S'ils me la prennent, j'arrête de payer mon crédit, j'en ai encore pour vingt ans chez Standard Bank. »
 ©  Claire Meynial
Marianna Stais, 49 ans. © Claire Meynial

Plus bas, la blonde Marianna Stais, 49 ans, a revêtu un chemisier blanc qui découvre ses épaules, un jean et des ballerines noires. « On s'est faites belles pour l'interview, mais en vrai, on est des filles de ferme », rient-elles, avec son amie Audrey Vanstaten, 44 ans. Marianna reçoit dans son studio de Pilates, où la baie vitrée donne sur ses 8,5 ha : « C'était samedi à l'heure du déjeuner. Ils étaient à cinq mètres de l'entrée, très calmes, mais des cabanes chez moi, ça ne va pas être possible. Je leur ai parlé, ils veulent s'installer. Il n'y a pas d'eau, pas d'électricité, pas d'égout, même nous, on a une fosse septique, comment ils vivraient ici ? Et il y a des espèces protégées, des chacals et des grenouilles-taureaux. » Audrey montre des photos de la grosse grenouille verte sur son téléphone. Marianna assure avoir été militante antiapartheid « radicale » entre 1986-1990, étudiante à l'université de Witwatersrand, à Johannesburg, qu'elle est « compréhensive », que rien ne lui fait plus mal que ce rôle de méchante. « Mais c'est une propriété privée ici. S'il y a des squatters, j'ai un centre de bien-être, mon business s'effondrera. »
Ce sont des créatures innocentes manipulées par l'EFF (Economic Freedom Fighters, parti d'extrême gauche de Julius Malema, NDLR) qui leur a dit qu'elles pouvaient s'installer. On est près du township de Diepsloot, ça peut très mal tourner, ça peut devenir le Zimbabwe ! » La voilà, la hantise des Blancs, dont beaucoup avaient de la famille dans le pays voisin, souvent réfugiée ici : la réforme agraire lancée dans les années 2000 par Robert Mugabe et l'expulsion de fermiers blancs dans un déchaînement de violence.

Cabanes insalubres

 ©  Claire Meynial
Peter Seolela, responsable local de l’EFF. © Claire Meynial

Au bord de Monument Drive, Peter Seolela, responsable local de l'EFF, casquette rouge du parti sur la tête, jubile devant un terrain « marqué » : « On a dit, lors des réunions d'information sur les logements sociaux : Allez identifier la terre et la nettoyer. Les critères, c'est qu'il n'y ait pas de clôture, que ce soit vide et ouvert. Ce n'est que pour les Sud-Africains, on leur demande une photocopie de leur carte d'identité. Mais personne ne va installer de baraque, le gouvernement doit développer l'endroit. Notre démarche n'a rien à voir avec le nouveau président, ce n'est pas du tout politique. En juillet 2017, le département des établissements humains à Johannesburg nous a promis qu'il s'attaquerait au problème, on lui facilite la tâche. Il indemnisera les propriétaires. Ils ne doivent pas avoir peur, on est voisins, on est ensemble ! » Comment les gens ont-ils su quelle surface délimiter ? « Je ne sais pas, ils se sont arrangés entre eux. » À côté, Patricia, 29 ans, et Masedi, 33 ans, qui ne souhaitent pas donner leur nom, viennent de marquer une terre. Leur version est un peu différente : « L'EFF nous a dit où aller et de prendre 17 mètres sur 11 mètres. On a des réunions chaque semaine depuis un mois. » Ils sont noirs, originaires du Limpopo, ils vivent à Olivienhoutbosch et lorsqu'on leur demande s'ils savent qu'ils se trouvent sur une propriété privée, ils se montrent dubitatifs : « On a entendu ça aux informations, mais tant qu'on ne nous le prouve pas… » Tous deux sont au chômage, chacun a deux enfants et loue une baraque dans le township.
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Patricia, 29 ans, et Masedi, 33 ans viennent de marquer une terre. © Claire Meynial


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