Élève le jour, SDF la nuit : zoom sur un phénomène très inquiétant, à Toulouse (FRANCE)
À Toulouse, le phénomène des élèves et étudiants scolarisés qui n'ont pas de moyen d'hébergement s'aggrave. Actu Toulouse fait le point sur cette urgence sociale.
« Juppé, héberge-nous ! ». Début octobre 2017, des étudiants ont manifesté sous les fenêtres d’Alain Juppé, le maire deBordeaux (Gironde), pour alerter sur la pénurie de logements. Pire, pour cette rentrée universitaire dans la capitale girondine, 500 à 1 000 étudiants seraient sans-domicile fixe (SDF), selon les chiffres de l’Unef (Union nationale des étudiants de France) Bordeaux. Au mieux, ils font l’aller-retour chez leurs parents, squattent chez des amis. Au pire, ils dorment dans leur voiture ou à la rue…
« À Toulouse, on arrive à régler les cas assez rapidement, ou alors les étudiants évitent de parler de leur situation », explique Adrien Liénard, vice-président de l’Unef Toulouse. « Une petite vingtaine d’étudiants sont venues nous voir sur cette problématique. Une faible proportion est concernée, mais cela part d’un constat : les petites surfaces sont extrêmement chères ».
130 enfants à la rue selon les associations
Élève ou étudiant le jour, sans-abri le soir et la nuit : le phénomène est bien présent dans la Ville rose et touche toutes les catégories scolaires, du primaire à la fac en passant par le collège et le lycée. Une situation dont les acteurs ont bien du mal à en ressortir des chiffres précis, mais qui interroge en 2017.
Et qui concerne au premier chef les enfants les plus petits et les plus fragiles. Selon l’association Droit au Logement (Dal) Toulouse, près de 130 enfants, la très très grande majorité étrangers, dorment à la rue ou dans des squats dans la 4e ville de France, selon leur dernier pointage. Une partie de ces enfants étaient accompagnés de leurs parents lors de la réquisition du gymnase du lycée Saint-Sernin, mercredi 15 novembre 2017.
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Maria, scolarisée en 5e : « Je n’arrive pas à suivre »
Parmi eux, Maria*. Scolarisée en 5e au collège Georges Sand (route de Saint-Simon, quartier Arènes-Cépière), elle dort sous une tente avec sa famille près d’un jardin public, dans le quartier Papus. L’expérience de la rue, elle ne l’avait pas vécue auparavant. L’année dernière, elle vivait en appartement à La Faourette et sa 6e s’était passée le plus normalement du monde, au collège Maurice Bécanne. Expulsée de son logement, cette famille bulgare vit à la rue, sans solution, depuis août 2017. « Je n’arrive pas à suivre cette année et j’ai beaucoup de mal à faire les devoirs. Cela se passe bien avec les professeurs », explique la jeune fille.
En revanche, elle avoue ressentir du rejet de la plupart des camarades, des moqueries. La pauvreté ? La peur de l’étranger ? Peut-être un peu des deux.
Cristian, en CM2, dort tous les soirs près de la place Wilson
Non loin de là, la famille Nicolae, d’origine roumaine, porte un autocollant du Dal. Le petit frère, Cristian, est en CM2 à l’école Lakanal (place de la Daurade). Vous avez sans doute croisé cette famille, qui dort depuis plusieurs mois près de la place Wilson, au bout de la rue Lafayette, et qui a pu déposer ses affaires personnelles dans l’église Saint-Jérôme. La soeur de Cristian témoigne :
On appelle le 115 tous les jours et on n’a pas de réponse. Pourtant, Cristian va tous les jours à l’école, il parle mieux français que moi. Mon frère est intégré dans l’école, il peut rester y faire ses devoirs avec le professeur. Mais c’est difficile le soir, car il fait froid.
« Beaucoup d’enfants s’endorment en classe, ou font leurs nuits à l’école », observe François Piquemal, porte-parole du Dal 31. « Ils ressentent la pression et l’injustice de ne pas avoir de toit, la culpabilité qui pèse sur leurs parents. Ce n’est pas une scolarité normale pour apprendre ses leçons. On voit ainsi que certains enfants deviennent mûrs plus vite que les autres ».
Laurence est bénévole à la FCPE 31 et à RESF (Réseau d’éducation sans frontière). Parent d’élève au centre-ville, elle suit des familles en difficulté. « Sur les écoles maternelles et primaires de Bayard, Matabiau et des Chalets, on sait que six enfants sont à la rue, dont deux jumelles âgées de trois ans ». Les demandes d’asile sont en cours. En attendant, vogue la galère.
De la solidarité, sur le terrain
Que faire alors ? Sur le terrain, les initiatives se multiplient, comme des manifestations de soutien aux familles, ou l’attention particulière portée par les enseignants. Au grand jour ou sous le manteau, des personnels ou des parents d’élèves montent des cagnottes de solidarité, prennent de leur temps pour trouver des toits. « On observe clairement une augmentation des enfants scolarisés qui dorment à la rue », explique Nicolas, de la CGT Éducation. « En tant que professeur remplaçant, je suis confronté à cette situation. Et même dormir dans un hôtel ou dans un squat n’a rien de rassurant… ».
Chez les lycéens, aussi…
Squatter un hôtel désaffecté n’est pas plus rassurant, mais c’est la solution trouvée, depuis fin octobre 2017, par le collectif Autonomie pour loger 70 mineurs isolés. Parmi eux, une vingtaine sont en cours de scolarisation et quatre adolescents, âgés de 15 à 17 ans, sont actuellement en CAP. Une perspective le jour, mais « trimballés » le soir entre la rue, l’hôtel et l’interrogation d’un toit et d’un lit pérennes comme bagages…
Les lycéens sans-abri, une tendance qui serait à la hausse à Toulouse et en Occitanie selon le groupe FN d’opposition à la Région. Voici ce qu’ils dénonçaient à la rentrée 2017 :
20 % des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté et le nombre de jeunes sans-abri a augmenté l’hiver dernier. Les associations de parents d’élèves s’alarment de la grande précarité constatée chez les lycéens de plusieurs établissements de notre région – notamment en Haute-Garonne -, et du nombre de sans-abri dans la population lycéenne régionale.
« J’ai encore croisé il y a quelques jours une lycéenne qui dormait à la rue, à Toulouse. C’est un véritable drame », indique Julien Leonardelli, conseiller régional Front national d’Occitanie et secrétaire départemental du FN en Haute-Garonne. Du côté de la FCPE de Haute-Garonne, on admet que « les lycéens en apprentissage sont en difficulté pour se loger ».
De la maternelle à la fac, les élèves toulousains qui n’ont pas de toit pour travailler le soir sont là, cachés, mais bien devant nous. Un phénomène qui touche les grandes villes, pas seulement Toulouse. « Mais la situation d’urgence est bien réelle. Est-ce qu’il faudra qu’un enfant meure dans la rue pour réagir ? », conclut Laurence, de la FCPE et RESF.
*Le prénom a été changé
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