Aux Pays-Bas, on plonge les pommes dans le coma
source : Usbek et Rica
Les chercheurs de l’université de Wageningen boostent les tomates à la vitamine C, récoltent 90 kg de concombres au mètre carré et font entrer les pommes en hibernation pour mieux les exporter. Visite du repaire champêtre des apprentis sorciers de la food tech du futur.
C’est un agencement de champs boueux, en bordure d’une bourgade provinciale. Un lieu paumé, un rien déprimant sous le lourd ciel batave. Dans l’autobus qui mène à la Wageningen University, les conversations s’animent, en anglais, autour d’abeilles traçables sur smartphone et de patates invincibles. Sur le bas-côté, un groupe d’agriculteurs arpente la terre meuble.
L’université de Wageningen abrite la plus grande serre académique d’Europe - Photographie réalisée par Giulio di Sturco pour Usbek & Rica
Tels des cosmonautes, ils sont vêtus de combinaisons blanches intégrales. Il faut dire que ces quelques hectares de terre, et le QG high-tech qui va avec, sont aussi stratégiques qu’un programme spatial.
Cochons et satellites
Directeur de recherche sur l’alimentation, Charon Zondervan est l’un des leaders de « l’université la plus verte du monde ». Son visage austère, cerclé de fines lunettes, s’illumine lorsqu’il salue ses étudiants, occupés ici à des expériences sur la mastication des seniors et là à définir la perception du goût par le nez.
« La fac possède des cochons, des bateaux, des satellites… Et on produit 3 millions de litres de lait par jour ! »
Ses doigts tracent les contours d’un triangle imaginaire : « Wageningen est située à l’exacte intersection des trois grands types de sols du pays (sablonneux, argileux et noir) : c’est ici qu’en 1918 le gouvernement a décidé de construire cette université, alors destinée à assurer la sécurité alimentaire du pays. » Les pionniers de Wageningen ont bien fait leur travail puisque les Pays-Bas sont aujourd’hui les deuxièmes exportateurs mondiaux de produits agricoles, derrière les États-Unis.
Les serres, ultra modernes, sont idéales pour se livrer à des expérimentations - Photographie publiée sur Invest in Holland.
La fac, elle, est devenue la base académique des industries exportatrices à haute valeur ajoutée : « 50 % des chercheurs sont universitaires, les autres travaillent sous contrat avec le privé. Donc d’un côté on publie, de l’autre on brevette, renseigne Zondervan. La fac possède des cochons, des bateaux, des satellites… Et on produit 3 millions de litres de lait par jour ! », ajoute le scientifique. Lui ne trait pas les vaches ; il ne tranche pas non plus de jambons. Le terrain de jeu de Charon est situé derrière une véranda baptisée Futurum. Comprendre : « le restaurant du futur ».
Big Brother en cuisine
Quand vient l’heure de la pause déjeuner, plutôt que de s’attabler, Zondervan se glisse dans une petite pièce attenante, allume des écrans et joue du joystick pour épier les habitudes alimentaires de ses collègues. Car à la cantine de Wageningen, 1 200 cobayes, dûment badgés, sont observés par 40 caméras 3D disposées au plafond. « Les femmes font deux fois plus de trajet que les hommes et varient plus leurs menus », a repéré Charon, qui zieute depuis 2008 les habitudes alimentaires de ses congénères, en partenariat avec Sodexo, le géant de la restauration collective.
Usbek & Rica
16/08/2016
Aux Pays-Bas, on plonge les pommes dans le coma
Les chercheurs de l’université de Wageningen boostent les tomates à la vitamine C, récoltent 90 kg de concombres au mètre carré et font entrer les pommes en hibernation pour mieux les exporter. Visite du repaire champêtre des apprentis sorciers de la food tech du futur.
C’est un agencement de champs boueux, en bordure d’une bourgade provinciale. Un lieu paumé, un rien déprimant sous le lourd ciel batave. Dans l’autobus qui mène à la Wageningen University, les conversations s’animent, en anglais, autour d’abeilles traçables sur smartphone et de patates invincibles. Sur le bas-côté, un groupe d’agriculteurs arpente la terre meuble.
Tels des cosmonautes, ils sont vêtus de combinaisons blanches intégrales. Il faut dire que ces quelques hectares de terre, et le QG high-tech qui va avec, sont aussi stratégiques qu’un programme spatial.
Cochons et satellites
Directeur de recherche sur l’alimentation, Charon Zondervan est l’un des leaders de « l’université la plus verte du monde ». Son visage austère, cerclé de fines lunettes, s’illumine lorsqu’il salue ses étudiants, occupés ici à des expériences sur la mastication des seniors et là à définir la perception du goût par le nez.
« La fac possède des cochons, des bateaux, des satellites… Et on produit 3 millions de litres de lait par jour ! »
Ses doigts tracent les contours d’un triangle imaginaire : « Wageningen est située à l’exacte intersection des trois grands types de sols du pays (sablonneux, argileux et noir) : c’est ici qu’en 1918 le gouvernement a décidé de construire cette université, alors destinée à assurer la sécurité alimentaire du pays. » Les pionniers de Wageningen ont bien fait leur travail puisque les Pays-Bas sont aujourd’hui les deuxièmes exportateurs mondiaux de produits agricoles, derrière les États-Unis.
La fac, elle, est devenue la base académique des industries exportatrices à haute valeur ajoutée : « 50 % des chercheurs sont universitaires, les autres travaillent sous contrat avec le privé. Donc d’un côté on publie, de l’autre on brevette, renseigne Zondervan. La fac possède des cochons, des bateaux, des satellites… Et on produit 3 millions de litres de lait par jour ! », ajoute le scientifique. Lui ne trait pas les vaches ; il ne tranche pas non plus de jambons. Le terrain de jeu de Charon est situé derrière une véranda baptisée Futurum. Comprendre : « le restaurant du futur ».
Big Brother en cuisine
Quand vient l’heure de la pause déjeuner, plutôt que de s’attabler, Zondervan se glisse dans une petite pièce attenante, allume des écrans et joue du joystick pour épier les habitudes alimentaires de ses collègues. Car à la cantine de Wageningen, 1 200 cobayes, dûment badgés, sont observés par 40 caméras 3D disposées au plafond. « Les femmes font deux fois plus de trajet que les hommes et varient plus leurs menus », a repéré Charon, qui zieute depuis 2008 les habitudes alimentaires de ses congénères, en partenariat avec Sodexo, le géant de la restauration collective.
L’autre partie de l’expérience se fomente en cuisine, où s’élaborent les plats de demain. Quand les marmitons mettent un peu moins de sel dans la soupe, Charon Zondervan explore les réactions des convives, et l’état final de leurs gamelles. Le packaging, les labels, les mets laissés à discrétion, sont autant de variables pour élaborer les contours d’une diète optimisée.
« Pour 9,62 euros, on évite le mac and cheese trop beau pour être honnête pour s’aventurer vers la soupe de panais-céleri, accompagnée de croquettes au fromage. »
Papiers scientifiques d’un côté, brevets et recettes marketing de l’autre. « Ah, voilà M. X, il est de sale humeur, il marche tout droit et adore la soupe », anticipe le chercheur, tel un commentateur sportif devant son écran, avant de nous laisser tester ce resto U connecté. Pour 9,62 euros, on évite le mac and cheesetrop beau pour être honnête pour s’aventurer vers la soupe de panais-céleri, accompagnée de croquettes au fromage. Charon apparaît alors, sourire en coin : « Vous avez apprécié ? Je vous enverrai une photo souvenir », lance-t-il en avisant la caméra braquée précisément sur notre table…
Fruits immortels
À Wageningen, le parcours gastronomique ne s’arrête pas au restaurant. Ici, les graines les plus robustes sont sélectionnées, le terreau le plus fertile est façonné en laboratoire, et les fruits les plus appétissants créés dans des labos sécurisés. Le challenge, c’est l’export. Faire voyager les mets. Donc les rendre immortels. C’est à l’intérieur de conteneurs sédentarisés qu’Henry Boerrigter, Géo Trouvetou méfiant puis volubile, teste l’optimisation du transport des fruits et légumes.
Les experts en chaîne du frais cherchent à conserver fruits et légumes pendant des mois - Photographie réalisée par Giulio di Sturcopour Usbek & Rica
La « sustainable fresh chain », voilà son domaine d’expertise. Alors, quand Henry tend une pomme bien rouge et bien dodue, on comprend qu’il y a un truc. « Cette pomme sort tout juste du coma. Elle a un an », explique-t-il, sûr de son effet. Et pour cause : le chercheur lui a administré un cocktail maison dans une perfusion à base de choc thermique puis de baisse régulière de l’oxygène, afin de plonger le fruit en léthargie contrôlée, avant un réveil programmé par des capteurs. Un système breveté, destiné à maîtriser les revenus des techno-agriculteurs tout en assurant une qualité nutritionnelle zéro défaut. « C’est bon pour la santé et bon pour l’économie des Pays-Bas », jubile Boerrigter, en guerre permanente contre la pourriture sous toutes ses formes.
Serre de l'Université de Wageningen - publiée sur le site de l'Université
Asperges, fleurs, bananes… Toute une gamme de comestibles sont soumis à des tests comparables, suivis en direct dans une salle des machines « faite maison ». Les concombres poussent en accéléré devant une webcam et les tomates sont pouponnées sous une lumière rouge et bleu dans le cadre du projet « LED it be 50 % », mené en partenariat avec Philips. Pour la food tech décomplexée, il n’y a plus de saisons.
Derrière le bâtiment central, un autre chantier est en cours. Boerrigter avise un plan d’architecte : « Ce lieu abritera un centre de robotique flambant neuf. Nous pourrons créer des robots “ingénieurs qualité” qui s’assureront de la qualité des produits, dans n’importe quel endroit du monde. » Une pluie glacée s’abat soudain sur le campus. Le scientifique disparaît dans ses conteneurs. Au loin, les cosmonautes quittent leurs champs pour regagner le quartier général. Quelques jours après notre visite, Wageningen est désignée, pour la dixième année consécutive, meilleure université du pays. Dans le même temps, le couple royal des Pays-Bas – Willem-Alexander et son épouse Máxima – rendait une visite officielle en Chine, accompagné des ministres néerlandais des Affaires étrangères et de l’Agriculture.
Un périple au cours duquel ils n’ont pas manqué de visiter l’exploitation laitière la plus high-tech de Pékin, dont les technologies et le savoir-faire sont made inWageningen.
Illustration de une tirée du dessin animé Blanche Neige et les sept nains, réalisé par David Hand (1938)
Article paru dans le numéro 18 d'Usbek & Rica. Auteur : Thomas Saintourens.
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