Les 3 moyens par lesquels le Ceta va dégrader l’environnement
21 septembre 2017 / Moran Kerinec (Reporterre)
Baisse des barrières tarifaires, harmonisation des normes, institution d’un tribunal d’arbitrage… Reporterre explique comment les décisions phares du Ceta vont avoir des répercussions sur l’environnement et la santé des consommateurs.
Le traité international de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, signé le 30 octobre 2016, entrera en vigueur ce jeudi. Intitulé Ceta — comme Comprehensive Economic and Trade Agreement, ou Accord économique et commercial global —, il prévoit la réduction des droits de douane, le rapprochement des normes et le règlement des litiges entre industriels et États devant un tribunal spécial. Cependant, l’accord commercial et économique recèle encore de nombreuses carences. « C’est ce qu’on appelle un accord de nouvelle génération, explique Karine Jacquemart, directrice de l’ONG Foodwatch. Il ne s’attaque pas qu’à ce qui touche au commerce et aux aspects techniques. »
Le président de la République s’était engagé pendant sa campagne à nommer une commission d’experts indépendante pour examiner le Ceta et à renégocier l’accord en cas de risques avérées, il semble que le rapport de la commission soit resté lettre morte. Rendu le 10 septembre dernier, à peine quelques jours avant la promulgation du Ceta, celui-ci en pointe les défauts : « Les chapitres de l’accord concernant l’environnement ont le mérite d’exister, mais ne contiennent aucun engagement contraignant », peut-on y lire. Un rapport rédigé par les ONG membres du collectif national Stop Tafta/Ceta conclut lui aussi aux dommages que va avoir le Ceta sur l’environnement et l’alimentation.
« Ce que propose le gouvernement en terme de comité de suivi sur le Ceta est de la poudre aux yeux, résume Samuel Leré, le responsable environnement et mondialisation de la Fondation pour la nature et l’homme (anciennement Fondation Nicolas Hulot), ce n’est pas suffisant pour limiter les risques de l’accord. »
Concrètement, quels sont les trois moyens par lesquels le Ceta va affaiblir les politiques environnementales en Europe ?
1 - Les baisses tarifaires stimulent le réchauffement climatique
Le Ceta réduit drastiquement les barrières tarifaires entre le Canada et les pays de l’Union européenne, c’est-à-dire les droits de douane que les produits étrangers payent à leur entrée sur un territoire national. Or, le démantèlement des barrières tarifaires va accroître l’exportation des produits des deux côtés de l’Atlantique, stimuler des transports maritimes très polluants et intensifier la concurrence entre les entreprises européennes et canadiennes, ces dernières pratiquant une agriculture bien plus intensive que leurs consœurs du Vieux Continent.
Pour optimiser leurs rendements, les entreprises européennes devront labourer davantage les sols, ce qui risque d’entraîner l’abandon de milliers d’hectares de prairies de pâture ou de fauche, qui sont des réservoirs de carbone. En encourageant l’agriculture industrielle et donc les émissions agricoles, le Ceta incite à abandonner le piégeage du carbone dans le sol, et donc à aggraver le dérèglement climatique.
L’énergie occupe aussi une place considérable des échanges commerciaux entre le Canada et l’Europe. « Le Ceta est un accord climatique qui va faciliter les investissements dans les énergies sales, dit Samuel Leré, notamment les énergies fossiles non-conventionnelles comme le pétrole bitumineux ou le gaz de schiste. » Le traité ne distingue pas entre les énergies sales et les renouvelables, et ne permet pas aux gouvernements de limiter l’exploitation et l’importation d’énergies fossiles. Le pétrole extrait du sable bitumineux canadien, 49 % plus émetteur de CO2que le pétrole conventionnel, verra ainsi sa production encouragée pour être vendu sur le marché européen.
La libéralisation des échanges augmenterait également le risque de fraude selon Samuel Leré : « Le Canada est le premier pays à avoir autorisé la consommation de saumon transgénique. Il n’y a aucune règle de traçabilité, d’étiquetage sur ce produit. S’il arrive dans les assiettes, ce sera par fraude, mais nous avons constaté avec le scandale des œufs contaminés cet été que les contrôles sont insuffisants. »
Ces modifications des barrières tarifaires ne seront pas toutes immédiates, mais progressives comme le précise Mathilde Dupré, de l’Institut Veblen : « La situation évoluera au cas par cas, de façon immédiate ou avec des délais de plusieurs années. »
2 - L’harmonisation des normes - vers le bas
Le rapprochement des normes entre les produits est le second point majeur du Ceta. Le traité organise la mise en place de comités pour mettre au point des mécanismes de convergence entre les normes qui régissent les produits européens et canadiens, ceci afin de faciliter les échanges. C’est ce qu’on appelle un « accord vivant », dit Karine Jacquemart, de Foodwatch : les décisions d’harmonisation seront prises après la signature de l’accord.
Cette reconnaissance mutuelle des normes pourrait conduire à « un abaissement des normes en matière de pesticides autorisés dans les produits, prévient Samuel Leré, il y a un danger d’autorisation d’arrivée des produits OGM et d’abaissement des règles les concernant ». « Demain, nous ne pourrons plus décider d’améliorer les normes en suivant les processus démocratiques européens sans avoir des pressions de la part du Canada », avertit Karine Jacquemart ; « les normes sociales et environnementales sont considérées comme des barrières au commerce, c’est pour ça que le Ceta met en place des mécanismes qui vont avoir un impact sur l’ensemble de notre vie quotidienne, notre alimentation et notre santé. »
Autre point noir, le principe de précaution mis en place dans les pays de l’Union européenne pour prévenir les risques liés à la santé ou l’environnement n’est pas explicitement mentionné dans le Ceta. Or, le Canada ne reconnaît pas le principe de précaution : « Le Canada a déjà attaqué l’Union européenne par le passé devant l’Organisation mondiale du commerce, rappelle Karine Jacquemart, par exemple sur la décision d’interdire le bœuf aux hormones. Nous savons qu’ils utiliseront tous les outils à leur disposition pour remettre en question les règles de protection des consommateurs sur la base du principe de précaution. »
3 - La protection des investisseurs met en péril celle des consommateurs
Le Ceta crée un système de protection des investisseurs entre l’Union européenne et le Canada très particulier. Dans les faits, il institue un tribunal d’arbitrage qui permet aux investisseurs étrangers de poursuivre un État ou une décision de l’Union européenne si une décision publique compromet ses « attentes légitimes en terme de retour sur investissement », c’est-à-dire ses bénéfices futurs. Les plaintes sont à sens unique : un État ne pourra pas poursuivre une entreprise privée dans le cadre prévu, mais les grandes entreprises pourront porter plainte ou menacer de le faire à l’encontre des États.
« Le Ceta met en place des tribunaux d’arbitrages qui permettront aux investisseurs d’attaquer des décisions politiques s’ils estiment qu’elles vont à l’encontre de leurs intérêts », dit Karine Jacquemart. Cette procédure pourrait être très coûteuse pour les pays concernés par le Ceta, et avoir un effet dissuasif même en cas de simple menace de procès : en 2011, le Québec recula ainsi sur l’interdiction d’un composant cancérigène d’herbicide commercialisé par Dow Chemical, qui était déterminé à porter l’affaire devant les tribunaux.
L’un des risques mis en avant par les ONG est qu’en légitimant la remise en cause des réglementations et en ne protégeant pas le principe de précaution européen, le Ceta incite les industriels à poursuivre les États sur les questions d’autorisations d’OGM, de pesticides et de normes environnementales. Le mécanisme d’arbitrage sanctionnerait alors toute nouvelle réglementation énergétique et climatique.
Cependant, ces tribunaux n’entreront en vigueur qu’une fois le texte définitif voté par les 38 parlements régionaux ou nationaux de l’Union européenne. À ce jour, seulement cinq pays (Lettonie, Danemark, Espagne, Croatie et Malte) l’ont fait. En principe, il suffit qu’un seul pays vote non pour que le texte cesse de s’appliquer.
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