Regardez bien l’image, et dites-vous qu’il y en a autant à l’intérieur, de gens. En Juillet 2014, je me suis retrouvé avec 300 personnes à minuit dans la salle des ambassadeurs à l’Alhambra. Combien en Inde alors ? Dix mille ? Et dire qu’ils régulent les flux ! Ah, ces « ils » ! Ah, ces « on » !
Le Taj Mahal Je l’ai visité en mars 1988 (excursion de vingt heures, à partir de New Delhi !), avec une poignée d’hindous tout fiers de célébrer leur splendide pays (le guide me négociait ma montre, mais comme elle ne marchait pas…) et une institutrice irlandaise qui m’a donné des notions de gaélique (aucun sous-entendu).
Depuis la Seine a coulé sous le pont Mirabeau, et le temps a laissé son manteau de vent, de froidure et de pluie. De gens et d’argent aussi…
Oh, je les entends d’ici :
« Mais pour qui vous vous prenez ? Une fois de plus, peut-on interdire aux deux ou trois milliards de tartarin de voyager. Comprenez, mon vieux ! Pour qui vous vous prenez ? »
La question c’est comme en politique : pour qui vous nous prenez nous ? C’est quoi ici le génie humain ? C’est quoi ici l’amour de Shah Jahan pour son épouse, l’émotion, la solitude, la candeur de la découverte ? C’est quoi ici la science sacrée de l’architecture expliquée par Guénon ou Jean Hani ? Cela devient quoi, saligauds de la politique et du tourisme, à côté de la merde que vous nous proposez ?
On ne peut plus rien voir, ni Versailles, ni l’Alhambra, ni la muraille de Chine, ni le Taj Mahal. On peut visiter par contre, au sens du Satan qui explique dans le Livre de Job qu’il était le premier touriste :
« 6 Or, un jour, il arriva que les fils de Dieu vinrent se présenter devant l’Éternel, et Satan aussi vint au milieu d’eux.
7 Et l’Éternel dit à Satan : D’où viens-tu ? Et Satan répondit à l’Éternel et dit : De courir çà et là sur la terre et de m’y promener. »
Satan c’est le touriste. Je l’ai dit un jour en loge et tous se sont mis à rire. Les idiots.
Quelques siècles plus tard, un grand écrivain français nommé Alphonse Daudet devine le devenir-falsification du monde promis par Guy Debord, Umberto Eco et les champions de Las Vegas.
C’est dans Tartarin dans les Alpes :
« La Suisse, à l’heure qu’il est, vé ! monsieur Tartarin, n’est plus qu’un vaste Kursaal, ouvert de juin en septembre, un casino panoramique, où l’on vient se distraire des quatre parties du monde et qu’exploite une compagnie richissime à centaines de millions de milliasses, qui a son siège à Genève et à Londres. Il en fallait de l’argent, figurez-vous bien, pour affermer, peigner et pomponner tout ce territoire, lacs, forêts, montagnes et cascades, entretenir un peuple d’employés, de comparses, et sur les plus hautes cimes installer des hôtels mirobolants, avec gaz, télégraphes, téléphones !… »
Ne dites-donc pas alors que vous avez démoli et falsifié les plus beaux lieux de l’humanité, agents Barnum du tourisme et de la mondialisation, que vous n’étiez pas prévenus. Vous étiez même prévenus par Tartarin de Tarascon !