Or, cuivre ou gaz de schiste : la France sera-t-elle livrée aux convoitises des compagnies minières ?
La réforme du code minier sera discutée cette semaine à l’Assemblée nationale. Elle concerne autant les industriels que les simples citoyens : ce code minier est censé encadrer l’extraction d’or, de cuivre ou de gaz de schiste sur tout le territoire, du Limousin à la Guyane. Jusqu’à présent, les compagnies minières n’avaient quasiment aucun compte à rendre en matière environnementale et sanitaire. La grande opacité des conditions d’octroi des permis de recherche est également pointée du doigt. De leur côté, les industriels sont sur la brèche pour demander une réécriture simplifiée du code, facilitant l’exploitation des produits du sous-sol. Les députés sauront-ils trancher dans le sens de l’intérêt commun ?
Pour l’instant, c’est une immense excavation – 2,5 km de long, 700 mètres de largeur, 250 mètres de profondeur – en plein cœur de la forêt tropicale guyanaise. La première mine d’or de type industriel de ce département français d’outre mer pourrait ouvrir dès 2020. La société canadienne Colombus Gold assure qu’un magot de plus de 150 tonnes de métal jaune est caché sous ce que l’on appelle la « montagne d’or ». Il s’agit « d’un gisement de dimension mondiale », se réjouit le gouvernement français, qui a délivré les autorisations de prospection. « Pour récupérer les onces, il faudra raser la forêt, dynamiter la montagne et broyer plusieurs centaines de millions de tonnes de roche, avertit Patrick Monier, de l’association guyanaise Maïouri nature [1]. Car il n’y a que 1,5 grammes d’or par tonne, et encore. Les besoins en énergie seront astronomiques : environ 20 mégawatts par an, soit autant que la consommation de Cayenne, la capitale (60 000 habitants) [2]. »
19 000 hectares de forêt tropicale menacés
Le 1er décembre dernier, la sénatrice Marie-Christine Blandin (EELV) a interrogé le gouvernement sur l’avancement du projet. Elle a fait part de son inquiétude face à la destruction de 19 000 hectares de forêt tropicale – deux fois la surface de Paris – et au risque de pollutions. À la menace de contamination par le cyanure, utilisé pour extraire l’or de la roche, s’ajoutent les dangers dus à l’excavation des « matériaux connexes » : cadmium, arsenic ou mercure seront également libérés de leur prison minérale. Il existe également des risques de rupture des digues qui retiendront les terrils excavés. « Je sais quelles sont les conséquences de l’industrie minière », a répondu Christian Eckert, secrétaire d’État en charge du budget ; avant de promettre « l’attention vigilante du gouvernement sur ces questions ». Mais les récentes propositions de réforme du code minier permettent de douter de cette « attention vigilante » [3].
Ce texte, héritier d’une loi impériale de 1810, règlemente le sous-sol français. Il est impératif de s’y référer pour ouvrir une mine, extraire des hydrocarbures du sous-sol ou prélever des minéraux des fonds marins. Les citoyens l’ont redécouvert au début des années 2000, au moment de l’arrivée des gaz de schiste en France. « En 2010, élus et citoyens apprennent avec beaucoup d’émotions que des permis de recherche de gaz de schiste ont été accordés sans qu’ils n’en sachent rien, retrace Arnaud Gossement, avocat et auteur d’un rapport sur le droit minier [4]. On réalise que le code minier autorise que des processus s’engagent dans la plus totale confidentialité. » Au moment des débats parlementaires sur l’interdiction de la fracturation hydraulique, en juillet 2011, les députés promettent de revoir le texte, qui ne mentionne ni les risques de pollution, ni les risques sanitaires. Puis, entre rapports et désaccords au sein du gouvernement, le projet s’enlise [5]. « Le sujet est si explosif que pour le moment, aucune réforme n’a vu le jour », constate Arnaud Gossement.
Une réforme soustraite au débat public ?
« Il faudrait que le code minier s’aligne sur le code de l’environnement », poursuit l’avocat. La charge de la preuve serait inversée : « Pour le moment, c’est aux populations de désigner ce qui est dangereux. Mais n’est-ce pas plutôt à celui qui monte un projet de dire comment les risques sont pris en compte et compensés ? » La proposition de loi publiée fin novembre, inspirée d’un texte du ministère de l’Économie datant de juin 2015, ne prévoit pas de soumettre les projets miniers au code de l’environnement. Le mot « sanitaire » n’y apparaît pas une seule fois. Et toute référence à la réglementation des installations classées pour l’environnement (ICPE) a disparu, alors qu’elle était mentionnée dans une version déposée deux mois plus tôt, le 21 septembre 2016. Le régime ICPE impose une étude d’impact globale sur l’environnement et l’examen des conséquences des projets industriels sur la santé des populations. Les entreprises doivent aussi se pencher sur la santé et la sécurité des futurs travailleurs.
Mais comment se fait-il que les députés aient déposé deux propositions de réforme en trois mois, après cinq ans d’atermoiements ? Le gouvernement leur aurait demandé de raccourcir leur première version, pour leur donner une chance de la voir débattue, au moins en première lecture, avant les prochaines élections. Sur le terrain des associations de lutte contre les projets miniers ou d’extraction d’hydrocarbures, cette brusque agitation suscite l’inquiétude. « Le texte est taillé sur mesures pour les multinationales qui convoitent la Guyane, pense Patrick Monier. À commencer par le fait qu’il soit si court et si allégé. Cela fait des années que les industriels demandent une simplification ! » Les parlementaires qui ont signé la proposition de loi précisent qu’ils confient au gouvernement le soin de compléter la modernisation du code minier via des ordonnances, c’est à dire sans débat public.
Les pétroliers en embuscade
« Nous craignions que d’importantes décisions soient prises ainsi », s’inquiète Claude Taton, de Frack Free Europe, citant l’exemple de l’exemption de permis d’explorer pour un propriétaire foncier. Ce point, inscrit dans la version du 21 septembre 2016, est hautement litigieux : il permet de contourner toute consultation du public, et tout véto des politiques, pour sonder le sous-sol. « En 2008, la société canadienne Iamgold avait un projet de mine d’or gigantesque non loin de Cayenne. Nous nous sommes aperçus qu’elle avait acquis 3000 hectares à sept centimes le m2 ! », rappelle Philippe Boré de Maïouri Nature. Le projet a finalement été rejeté suite à une mobilisation citoyenne. Mais si, demain, une ordonnance réactualise cette exonération de permis pour un propriétaire, ce type d’opération confidentielle risque de se reproduire.
En métropole, cette éventualité inquiète beaucoup les collectifs de citoyens mobilisés contre les gaz de schiste. Ils considèrent par ailleurs avec méfiance la stratégie actuelle des opérateurs pétroliers qui, selon les Amis de la terre, « continuent à s’implanter sur des zones géographiques supposées receler des gisements dans l’attente d’une modification ou d’une évolution de la loi interdisant la fracturation hydraulique » (lire notre article). En décembre 2015, une cinquantaine de permis d’exploration étaient en cours de validité.
Au nom du secret industriel
Ces collectifs opposés au gaz de schiste s’insurgent contre la « procédure de consultation renforcée », introduite dans le projet de nouveau code minier. Qualifiée de « progrès réel » par le député PS rapporteur de la loi Jean-Paul Chanteguet (Indre), cette procédure peut être engagée par le préfet s’il estime qu’il existe des « enjeux environnementaux significatifs » ou si les deux tiers des communes concernées par le projet minier le demande. « C’est un groupe participatif qui réunit les élus, les citoyens et les industriels, et qui peut commander des contre-expertises, précise Jean-Paul Chanteguet. C’est un premier pas vers plus de participation des citoyens, même s’il est petit. » Mais selon plusieurs associations, cette procédure n’est ni plus ni moins qu’une « imposture démocratique ». « C’est le Préfet qui décidera, composera et présidera ce groupement participatif. Il n’y a là aucun renforcement de la participation du public », estime Arnaud Gossement. Ajoutons que le rédacteur d’une contre-expertise, financée par l’industriel qui demande le titre minier, sera choisi dans une liste concoctée par le préfet, après accord de l’industriel...
Autre question : comment se prononcer sur la dangerosité d’un projet quand on ignore son process industriel ? « À aucun moment, les entreprises ne sont tenues de donner des informations précises sur les techniques et substances qu’elles prévoient d’utiliser pour l’exploration ou l’extraction, alors que cela revêt une importance capitale au niveau de l’impact sur l’environnement à court, moyen et long terme », déplore Claude Taton, de Frack Free Europe. « C’est un grand classique, relève Pedro, ingénieur en explosifs et membre de l’association Ingénieurs sans frontières - Systèmes Extractifs et Environnements (ISF-SystExt). Ils se cachent derrière le secret industriel pour ne rien dire. Il est dommage que le projet de loi entérine cette demande de l’industrie. »
« Pas d’uniformité dans les procédures »
Du côté des députés, le sujet ne fait pas l’unanimité. « Si l’on veut que les permis de recherche ne soient plus accordés dans la plus grande opacité, il faut que les industriels donnent certaines informations », estime Jean-Paul Chanteguet. Son collègue Patrice Carvalho, député communiste de l’Oise et membre de la commission qui porte le projet de loi, pense que tout ce qui est technique n’a pas à être communiqué. « Est-ce qu’un pâtissier irait donner sa recette de gâteau ? », illustre-t-il. Chacun appréciera la pertinence de la comparaison.
En attendant que le texte soit débattu, c’est l’ancien code qui prévaut. La manière dont les permis d’explorer sont accordés reste donc opaque, y compris pour les parlementaires. « Qui accorde les permis ? Le Premier ministre ? Le ministre de l’Économie ? Faut-il une étude d’impact ? Il n’y a pas d’uniformité dans les procédures. C’est trop flou », se désole Pedro. Une petite dizaine de permis d’explorer ont été attribués ces dernières années en métropole, pour chercher de l’or, du fer, du plomb, du zinc, du cuivre ou du lithium. Une dizaine d’autres demandes sont déposées. En Guyane, une quinzaine de permis de recherche d’or ont été accordés depuis quinze ans. L’association Ingénieurs sans frontières tient à jour une carte répertoriant les titres miniers. La plupart des sociétés qui prospectent sont des « juniors » : elles revendront leurs titres et gisements les plus prometteurs à prix d’or à de plus grosses entreprises.
Pour répondre à ceux qui s’alarment des conséquences environnementales des mines, les industriels renvoient à leur code de bonne conduite. Rédigé par le groupe de travail « mine responsable » mis en place par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, au printemps 2015, ce texte est pour le moment inaccessible au public et, semble-t-il, aux parlementaires. Jean-Paul Chanteguet ne l’a pas consulté. Il ne sait pas comment ce pavé – 13 volumes, plus de 1 000 pages – pourra être articulé avec la future loi. Le document « liste les recommandations faites par l’État pour inciter les entreprises à être vertueuses », explique Thierry Meilland-Rey, de la société des industries minérales. Deux associations, ISF et France Nature environnement (FNE) ont quitté le groupe de travail, déplorant l’absence de contrainte juridique de ce code de bonne conduite. « C’est important de créer une émulation dans la profession, répond Thierry Melland-Rey. Quand bien même un seul exploitant suivrait ce guide, ce serait intéressant. Car ensuite, cela fait boule de neige. »
Après la mine, le déluge ?
« L’état catastrophique d’anciens sites miniers français tels que Salsigne ou Saint-Felix-de-Pallières permet de douter de la bonne volonté des industriels », rétorque Solène Demonet de FNE (lire notre reportage : À Salsigne, un siècle d’extraction d’or, dix millénaires de pollution ?). « Nous souhaitons que les obligations de respect de l’environnement et de gestion de l’après-mines soient intégrés dans le texte de loi. Sinon, les collectivités risquent de se retrouver à gérer les conséquences sanitaires toutes seules. »
Ce sujet de « l’après-mines » rend les industriels nerveux. L’entreprise pétrolière canadienne Vermilion Energy juge qu’il est excessif d’imposer la responsabilité de l’exploitant pendant cinquante après l’arrêt de l’activité minière, comme le suggère le rapport du conseiller d’État Thierry Thuot remis en décembre 2013 [6]. « L’investissement en serait grandement freiné, peut-être au point de provoquer chez certains opérateurs l’abandon de leurs opérations sur le territoire français », signale l’entreprise [7]. Les députés ont-ils entendu l’inquiétude des industriels ? Leur proposition de loi demeure en tout cas assez vague pour assurer leur impunité. Il est certes prévu que l’État puisse se retourner contre la maison-mère d’une filiale qui aurait commis quelque forfait. « Mais les conditions dans lesquelles ce serait possible sont assez floues, note un ingénieur minier. Et le remboursement intégral des réparations que les dommages causés ont engendré n’est pas automatique. Pourquoi ? »
« Le code minier reste conçu pour les industriels »
« Ils évoquent les filiales, mais pas les sous-traitants, signale Patrick Monier. Mettons qu’une digue, construite par un sous-traitant à la demande d’une filiale cède. Qui est responsable ? Le système n’est pas assez verrouillé là dessus. » Au Brésil, un barrage minier a cédé il y a un an, libérant des torrents de boues toxiques et provoquant l’une des plus grosses catastrophes environnementales du pays (lire notre article). Le projet de futur code minier précise aussi qu’une entreprise pourra contester les indemnités demandées, ce qui lui ouvre la possibilité de mener une bataille judiciaire sans fin.
« Le code minier reste conçu pour les industriels, se désole Claude Taton. Il définit un processus de décisions encourageant le forage des sols plus qu’il n’encadre un processus démocratique s’interrogeant sur l’intérêt de l’ exploitation. » Jean-Louis Schilansky, ancien président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP), pense exactement la même chose. Mais lui s’en félicite : « On ne change pas les règles du permis de conduire pour empêcher de conduire, mais pour permettre de conduire mieux : c’est exactement cette logique que nous défendons dans la discussion sur la réforme du code minier. » [8].
Nolwenn Weiler
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