La construction en paille se développe en France
31 janvier 2017 / Martin Cadoret (Reporterre)
Écologique, pourvoyeuse d’emplois, disponible localement, économique… la paille se révèle un matériau de construction de premier choix. Encore peu populaire, elle pourrait le devenir comme les collectivités territoriales s’y intéressent.
- Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), reportage
C’est une inauguration étonnante qui a eu lieu à Rosny-sous-Bois, vendredi 27 janvier. Ce matin-là, le maire a participé à la pose, non pas de la première pierre, mais de la première botte de paille de la nouvelle école primaire. Dans l’inconscient collectif, la seule manière d’utiliser de la paille pour un bâtiment serait en chaume pour les toits. Ici, dans l’école en cours de construction, les murs seront constitués de bottes de paille empilées les unes par-dessus les autres. Un enduit en terre appliqué directement sur les bottes doit leur donner l’apparence d’un mur normal. Enfin, pour éviter d’avoir recours à de nouvelles charpentes en bois, la structure de l’ancien marché, qui occupait auparavant cet emplacement, a été conservée et constitue l’ossature du nouveau bâtiment.
Au départ utilisée par une poignée de particuliers à la conscience écologique, la paille est de plus en plus employée par les collectivités locales pour les bâtiments publics. Ses avantages sont nombreux. « Comme c’est un déchet, la paille permet d’avoir un impact minimum sur l’équilibre environnemental. Celle de l’école, c’est de la paille bio qui vient de la Seine-et-Marne », détaille Emmanuel Pezres, l’architecte de la ville. Elle permet aussi d’obtenir une isolation optimale, idéale pour réaliser des bâtiments passifs, qui consomment très peu ou pas du tout d’énergie. Généralement, la paille joue le rôle d’isolant dans une structure en bois déjà fabriquée, c’est d’ailleurs le cas pour l’école maternelle voisine. Mais ici, l’école sera construite en « paille porteuse », c’est-à-dire que les murs seront uniquement constitués de paille, sans structure de bois.
- Les plans de la future école.
La paille est également très économique : il s’agit simplement de bottes de paille format parallélépipède, empaquetées par une botteleuse classique. « Au mètre carré, il faut compter de 3 à 6 euros, contre 70 euros environ pour un isolant écologique du type feutre de bois », explique Dirk Eberhart, président du Réseau français de la construction paille (RFCP), une association qui promeut ce type de construction et qui regroupe des professionnels du bâtiment. « Il y a aussi un facteur social : pour construire en paille, il faut plus de main d’œuvre. Mais comme le matériau est moins cher, ça s’équilibre et finalement ça ne coûte pas plus cher qu’une construction en béton. » Le maire Les Républicains de Rosny, Claude Capillon, a fait les comptes. « In fine, nous avons fait un million d’euros d’économies. »
« Forcément, les gens pensent aux Trois Petits Cochons. C’est un long travail de les convaincre »
À l’heure actuelle, le RFCP recense 5.000 bâtiments en paille sur le territoire français, un chiffre en augmentation. « Et chaque année, 500 nouveaux bâtiments sont construits. Le boom se voit surtout au niveau des marchés publics », précise Benoît Rougelot, le responsable du collectif en Île-de-France. L’usage de la paille pour la construction n’est pourtant pas récent. En témoigne l’existence de la maison Feuillette, construite en 1920. C’est le plus vieux bâtiment au monde construit en ossature bois et en isolation paille. Mais la redécouverte du matériau a pris une autre dimension avec la mise en place de règles professionnelles pour la première fois en 2011, sorte de catalogue des bonnes pratiques de construction. Elle a permis de rassurer les assureurs et d’établir des standards à même d’être vérifiés par les bureaux de contrôles.
Le Réseau français de la construction paille estime même que 10 % de la paille de blé produite en France suffirait à isoler tous les nouveaux logements construits chaque année. « Au niveau écologique, c’est la seule ressource massivement disponible, contrairement au chanvre, au lin ou à la laine de bois, poursuit Dirk Eberhart, le président du RFCP. C’est une évidence que ce type de construction va se multiplier. » La filière est progressivement en train de se constituer. « Au début, dans notre réseau, il y avait beaucoup de particuliers autoconstructeurs. Maintenant, il n’y a quasiment plus que des entreprises », précise le responsable.
Même si les constructions en paille sont de plus en plus nombreuses, l’usage du matériau est encore loin d’être une évidence. Il y a déjà la contrainte d’accès à la ressource. « Quand il y a un champ à côté, cela fait sens, mais en plein milieu de Paris, ça ne serait peut-être pas très pertinent », concède Benoit Rougelot. De même, certains départements ne sont pas en situation d’excédent de paille, comme le Limousin. Et puis, à un niveau plus global, les préjugés restent tenaces. « Forcément, les gens pensent aux Trois Petits Cochons. C’est un long travail de les convaincre », sourit Dirk Eberhart. La résistance au feu, en l’occurrence, est aussi bonne que pour d’autres matériaux, en conformité avec le règlement de sécurité relatif aux établissements recevant du public.
La mise en place de tels bâtiments publics est également plus longue qu’à l’accoutumée, car il faut pouvoir penser la construction de manière globale. « L’usage de la paille n’est qu’un élément du processus global de construction », concède même Emmanuel Pezres. Lui met aussi en avant les avantages sociaux du projet, qui crée des savoir-faire susceptibles d’être réutilisés pour de futurs projets. L’inclusion des habitants de Rosny a aussi été prise en compte : des pierres en terre cuite, qui vont servir à isoler les salles de repos, ont été fabriquées par les habitants.
Frilosité des assureurs
Pour Christian Hackel, l’architecte montreuillois qui a conçu la plus grande école en paille de France, ouverte en 2014, c’est un changement de paradigme. « En France, il y a encore cette culture du béton, amplifiée par le lobby des industriels du bâtiment. Construire en paille, c’est un cheminement culturel, ça implique de repenser l’acte de construire », avance-t-il. Son école est d’ailleurs un modèle de construction écologique : en plus de la paille, elle possède des panneaux solaires sur les toits pour produire de l’énergie et chauffer l’eau, le tout agrémenté d’un système de récupération des eaux de pluie. « Après, au niveau étatique, le “biosourcé” [les matériaux issus de la biomasse végétale ou animale] commence à rentrer dans les vocables », reconnaît l’architecte.
- L’inauguration du chantier de l’école de Rosny-sous-Bois.
L’autre handicap de la construction en paille, c’est que les assureurs sont encore frileux. « Pour cette construction en paille portée, ça a été sportif de convaincre notre assureur, et on paye plus cher que la moyenne. La technique n’est pas si ancienne et ils ne veulent pas prendre de risque », concède Rémy Beauvisage, de l’entreprise Apijbat, qui construit l’école de Rosny-sous-bois.
Dans ces conditions, la construction paille reste le fait d’une vraie volonté politique. Dans le cas de Rosny-sous-Bois, celle du maire Claude Capillon, pourtant membre de Les Républicains, un parti peu porté sur les questions d’écologie. Sa ville était présente à la COP21 sur le climat, fin 2015. En 2010, la commune a mis en place un Agenda 21 et multiplié les mesures en matière d’écoconstruction : « Nous avions commencé par une façade bioclimatique dans une autre école. Elle avait permis une économie d’énergie de l’ordre de 25 %. C’est à ce moment-là qu’on a réfléchi à l’écoconstruction, avec pour objectif de faire au moins 50 % d’économies d’énergie. »
Lui est convaincu que le système de fabrication des bâtiments publics « arrive en bout de course », d’où cette nécessité de repenser la construction des équipements publics. « L’intérêt, c’est que notre projet est reproductible, ajoute l’architecte communal. On est dans un établissement recevant du public, qui doit satisfaire les plus hautes exigences en matière de réglementation. Cela va peut-être faire sauter quelques verrous psychologiques. » La ville, elle, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : un nouveau centre de loisirs, conçu de la même manière, est en gestation.
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