La dépendance de la Belgique aux marchés financiers : on en parle quand ?
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Avec l’approbation du budget 2017 par l’Etat fédéral, ce que cachaient les discours, les comptes le révèlent avec une stupéfiante efficacité. Pas un mot sur la spirale insoutenable de la dette publique belge, mais partout, des chiffres qui témoignent de la folle fuite en avant qu’entreprennent les gouvernements fédéraux successifs. Pas un son de cloche sur la surdétermination des politiques publiques par les marchés financiers, mais toujours les mêmes postes qui paient l’addition. En somme, ce que démontre l’analyse de l’endettement fédéral c’est que les marchés financiers sont en situation de rente sur les recettes fiscales de l’Etat, sur les impôts des contribuables, et que banques, fonds de pensions et autres investisseurs financiers s’introduisent en permanence dans le contrat social entre représentant-e-s et représenté-e-s.
- Sans le paiement des seuls intérêts sur la dette, l’État serait en surplus budgétaire.
- L’État fédéral n’emprunte pas pour investir, mais pour payer sa dette arrivant à échéance.
- Nous dépendons des marchés financiers et de leurs comportements futurs, mais cela n’a pas toujours été le cas et des méthodes alternatives de financement existent.
Le 17 octobre 2016, le gouvernement fédéral adoptait son budget pour l’exercice 2017. Alors que l’urgence climatique et sociale exigerait un réengagement de l’État dans les services et investissements publics, l’heure en est encore aux coupes budgétaires.
On sait que depuis 2009 la Belgique est dans le viseur de la Commission européenne |1| et que la signature du TSCG en à renforcer le contrôle budgétaire. Aux fameux 3% arbitraires de déficit budgétaire maximum fixés par Maastricht, s’est ajouté 0,5% de déficit structurel. Les contours et les critères de ce « déficit structurel » sont assez flous |2|, mais engagent les gouvernements fédéraux successifs dans la poursuite d’un équilibre budgétaire stricte menant à une politique de coupe dans les services fondamentaux à la population |3|.
Pour rentrer dans les balises budgétaires « imposées » par l’UE – et ratifiées par la Belgique -, le fédéral a prévu 3,006 milliards d’euros d’efforts dans son budget 2017. En première ligne se trouvent les dépenses en soins de santé qui seront amputées à hauteur de 902 millions d’euros, auxquelles s’accompagnent des coupes dans diverses dépenses sociales. Dans le même temps la taxe sur la spéculation financière est remise à plus tard faute « d’accord » et la taxe sur les plus-values promise par la N-VA au CD&V lors des négociations budgétaires n’apparait nulle part |4|. Voilà une esquisse de budget qui met à nouveau à contribution les couches les plus défavorisées de la population et qui perpétue le gel des investissements publics |5|, pendant que la prédation financière est, elle, laissée libre de ses mouvements.
Mais ce dont témoigne l’agitation parlementaire et médiatique de ces derniers temps sur le budget fédéral, c’est – à nouveau – le mutisme complet sur la dynamique de l’endettement en Belgique et notamment du service de la dette. Pourtant, c’est bien en questionnant cette dynamique que l’on touche du doigt l’une des sources des difficultés de l’État belge et de l’injustice qui prévaut lorsqu’il est question du budget.
La rente du capital sur les recettes de l’État |6|
On a beau s’attarder sur les nombreux commentaires médiatiques qui circulent à propos du budget de l’État fédéral |7|, on ne trouvera pas, ou peu, de réflexion concernant l’emprise de l’endettement sur la conduite des politiques publiques.
En 2015 l’État fédéral était endetté à hauteur de 379 milliards d’euros (soit 90% de son PIB |8|). S’il est compliqué d’établir précisément quels sont les détenteurs de la dette belge (puisque la loi l’interdit |9|) on peut néanmoins en avoir une idée globale assez fidèle. 81,8% de cette dette est détenu sous forme d’obligations linéaires, des titres de la dette – dit titre de créances négociables – qui sont destinés exclusivement aux investisseurs institutionnels, c’est-à-dire les grandes banques privées, les fonds de pension, les compagnies d’assurance, les fonds d’investissement etc |10|. Ces acteurs de la finance privée sont d’ailleurs – certains d’entre eux – des « partenaires agréés » par l’administration belge à travers leur statut de Primary Dealers qui leurs assurent un accès prioritaire aux obligations d’État |11|. Si ces investisseurs institutionnels (les « zinzins ») peuvent détenir de la dette directement ou indirectement (par exemple pour le compte de clients), les particuliers constituent quant à eux une proportion minuscule des créanciers directs |12|. Ces titres se dirigent ensuite vers le marché secondaire, où ils sont revendus à plusieurs reprises. L’opacité la plus totale règne sur ce marché. Il est par exemple impossible de déterminer si les détenteurs de la dette publique se trouvent ou non dans un paradis fiscal.
Annuellement l’État fédéral paie en moyenne un taux d’intérêt de 3% sur la totalité de ses prêts en cours, soit environ 13 milliards d’euros
Annuellement l’État fédéral paie en moyenne un taux d’intérêt de 3% |13| sur la totalité de ses prêts en cours, soit environ 13 milliards d’euros d’intérêt payés aux détenteurs de la dette. En 2016, la première dépense budgétaire de l’État fédéral est celle allouée au paiement de ces intérêt de la dette. Le « budget ajusté » de cette année chiffre cette dépense à 14 milliards d’euros |14|, soit plus que les dépenses du fédéral dans la sécurité sociale (10,315 milliards d’euros), plus que les pensions (10,671 milliards d’euros) |15|, plus que la dotation aux communautés (11,086 milliards d’euros) et plus que les dépenses fédérales réunies dans la santé publique, la mobilité et les transports, la recherche et le développement ou des crédits aux PME (pour un total de 4,758 milliards d’euros).
Ainsi, dans leur écrasante majorité, les 13 milliards d’euros de charges d’intérêt de la dette publique qui sont dépensés en moyenne chaque année par les contribuables belge – à travers l’imposition – finissent dans les poches d’acteurs financiers privés. En clair, cela signifie que les politiques fiscales qui sont théoriquement mises en place par l’État pour servir les intérêts de la collectivité à travers la redistribution et les investissements publics, servent finalement dans une grande partie à rémunérer les intérêts de particuliers motivés par le profit. En, parallèle depuis 2012, les gouvernements fédéraux successifs réalisent des politiques de dilapidation des services fondamentaux à la population. Alors que le devoir fiscal constitue la contrepartie du « droit à avoir son mot à dire » dans la conduite des affaires publiques de sa collectivité (ce qu’on appelle la démocratie), l’injustice fiscale causée par le mythe de l’attractivité du territoire et par l’évasion fiscale se couronne par la priorité du gouvernement à assurer le paiement de sa dette négociable qu’il a envers les créanciers financiers privés ; et cela, quitte à mettre au second plan les obligations sociales qu’il a envers ses citoyens et citoyennes |16|.
Le cercle vicieux de la dette
Dans le même temps résonne dans l’espace médiatique l’injonction absolue du remboursement de la dette publique |17|. A première vue cela parait raisonnable. Des investissements et dépenses de fonctionnement ont été réalisés par la collectivité au moyen d’emprunts, il est alors normal que le remboursement s’effectue, voir même que cela engendre d’important frai en intérêts.
Premièrement, il est important de rappeler que plusieurs des emprunts souscrits par la Belgique sont discutables du point de vue de leur légalité et/ou de leur légitimité |18|, notamment ceux issus du sauvetage bancaire de 2008 pour lesquels aucune contrepartie sérieuse d’assainissement du secteur bancaire n’a été conduite. Et de fait, il importerait de réaliser un audit contraignant à ce sujet pour éviter des situations de crise grave de la dette comme en Grèce ou dans de nombreux autres pays. Deuxièmement, l’endettement est constamment présenté comme une tare alors qu’il peut être un outil au service du développement de la collectivité, à condition d’être géré démocratiquement |19|.
Néanmoins il serait erroné d’affirmer que le fédéral emprunte aujourd’hui uniquement pour réaliser quelconque investissement d’utilité publique. Il est également erroné d’affirmer que les efforts réalisés par la collectivité – à travers la politique d’austérité – contribuent à réduire le volume d’endettement de l’État fédéral.
Le volume d’endettement ne diminue donc pas puisque la partie à rembourser est réempruntée à chaque échéance
En effet depuis déjà plusieurs années, le fédéral décide de se ré-endetter chaque année – toujours majoritairement auprès d’investisseurs issus des marchés financiers – pour pouvoir payer les prêts arrivés à échéances. Ainsi en 2015 par exemple, 28 milliards d’euros de prêts arrivaient à échéance et les pouvoirs publics ont réemprunté cette somme immédiatement pour pouvoir les payer |20|. Le volume d’endettement ne diminue donc pas puisque la partie à rembourser est réempruntée à chaque échéance : c’est ce que l’on nomme le roulement de la dette (roll over). Comme le montre le graphique ci-dessous, le besoin de financement de l’État correspond presque chaque année au volume de dette venant à échéance. Cela signifie que la quasi-totalité des emprunts réalisés par le fédéral servent à rembourser d’anciens prêts (exception faite de l’année 2008 et 2011 où de l’argent public a été injecté par emprunt dans le secteur bancaire pour le sauver de la faillite).
Le fédéral emprunte également pour financer son déficit budgétaire (9 milliards d’euros en 2016) |21| : le volume de l’endettement augmente donc chaque année du montant du déficit budgétaire |22|. Il faut ici insister sur le fait que depuis plusieurs années maintenant, le déficit budgétaire est causé en partie par une dépense structurelle qui est celle du paiement des intérêts de la dette |23|. Cette dépense, elle, n’est jamais remise en cause et ne diminue pratiquement pas |24|, ce qui en fait le principal moteur du déficit structurel. On peut donc affirmer qu’au-delà du financement du déficit, les emprunts réalisés annuellement par le fédéral servent à financer le paiement des taux d’intérêt : c’est l’effet boule de neige.
Ci-dessous un graphique montrant la situation budgétaire du fédéral sans le paiement des taux d’intérêts (solde primaire) et avec (solde de financement). On constate que sans le paiement des intérêts le fédéral est bien plus souvent à l’équilibre voir en excédent qu’en situation déficitaire.
L’État fédéral belge n’a jamais vu, au cours des dernières années, son volume d’endettement diminuer mais à l’inverse, celui-ci augmente chaque année (avec comme corollaire, l’augmentation du montant des intérêts à payer). Il se trouve donc dans une situation de dépendance vis-à-vis de financements en provenance de la « finance » qui dégrade annuellement son solde budgétaire et duquel, il ne pourra sortir qu’à condition de faire un défaut de paiement ou de miser sur une grâce miraculeuse de ses créanciers. L’endettement en Belgique n’est pas un élément qui est causé par un « trop de dépenses » de fonctionnement ou d’investissements, mais qui relève bien en grande partie d’une mécanique structurelle : le roll over et l’effet boule de neige |25|.
Dis-moi qui sont tes créanciers, je te dirais comment tu gères ton pays
A la problématique « comptable » de la dynamique de la dette publique s’ajoutent des conséquences non moins problématiques pour une démocratie. La structure actuelle du financement du fédéral est en effet révélatrice du rapport de force actuellement asymétrique entre la sphère publique et la sphère privée et, de surcroit, du retrait de la puissance publique dans ses obligations vis-à-vis de la population.
La majorité des Etats de l’OCDE n’avait pas essentiellement recours aux marchés pour financer leurs déficits et leurs investissements
Avant la dérégulation des années 70, la majorité des États de l’OCDE n’avait pas essentiellement recours aux marchés pour financer leurs déficits et leurs investissements. Étaient notamment privilégiés les bons d’États, destiné aux investisseurs nationaux non issus de la finance privée qui y investissaient leurs surplus d’épargne. De plus les instruments de la dette, au même titre que l’impôt, demeuraient sous la houlette de la puissance publique qui contrôlait et déterminait politiquement, administrativement et juridiquement le taux d’intérêt de ses titres. Dans le cas de la France – à la période où la banque de France et trois quarts des banques étaient publiques – le « Circuit du Trésor » imposait aux établissements bancaires de détenir continuellement des titres de la dette publique, à un taux d’intérêt imposé, en échange de quoi ils pouvaient réaliser leurs activités sur le territoire. Les instruments de la dette étaient le prolongement direct de la politique monétaire et financière souveraine des États, et en parallèle, l’activité bancaire était régulée et orientée dans un souci de faire passer les intérêts particuliers après l’intérêt général. A cela il faut ajouter que, dans certains pays, les banques centrales nationales accordaient, à des conditions strictes et dûment négociées, des avances au Trésor – soit de la liquidité à très bas coût.
La détermination du taux d’intérêt sort donc du compromis social
Or, dès les années 70, les réformes internationales de libéralisation du secteur financier – sous l’impulsion des USA – et plus tard les politiques européennes |26|, changent la donne. La part de la dette souscrite auprès des marchés financiers a explosée |27| et les conditions d’emprunt ont été chamboulées. Le facteur le plus significatif de l’emprise nouvelle des marchés sur les États souverains a été l’introduction (en 1989 pour la Belgique) de la mise aux enchères des titres de la dette. Le prix d’un emprunt et le taux d’intérêt auquel l’investisseur acceptera d’accorder un prêt se fait désormais selon les procédures de marché, selon l’offre et la demande, hors de toute détermination ou de négociation avec la puissance publique et en compétition directe avec les autres États souverains. La détermination du taux d’intérêt sort donc du compromis social, pour devenir un mécanisme de sanction de la viabilité des politiques publiques selon les critères particuliers des investisseurs, un mécanisme d’évaluation du « climat des affaires ». Ainsi il suffit qu’une politique « trop » social soit mise en place pour que les investisseurs jugent l’investissement dans les titres souverains risqué |28| et par là, qu’ils fassent augmenter les taux d’intérêt auxquels ils acceptent de prêter.
En plus de dépendre totalement de créanciers privés pour financer son action publique, l’Etat est également jugé au regard de sa capacité à maintenir sa dette attractive auprès de ses investisseurs. En conséquence de quoi c’est toute sa politique qui est passée au crible des agences de notations, des institutions internationales et du jugement des investisseurs privés. [L’État] « est embarqué dans une course au « bon élève » budgétaire et au plus offrant en termes de fiscalité, de marché du travail et d’infrastructures de politiques publiques « market friendly » [dans l’optique] de faire ses preuves quant à la qualité de son crédit et la conformité de ses politiques publiques aux attentes des investisseurs » |29|.
Les réformes des années 70 prétendaient vouloir restreindre la tendance soi-disant trop dépensière des États. En réalité, ces dépenses sont restées stables (+- 45 % du PIB pour la Belgique) – au même titre que l’inflation – et ces réformes ont plongé les États dans un déficit structurel permanent en faisant exploser les dettes publiques procurant aux investisseurs privés une rentes régulière sur les recettes fiscales des États à travers le paiement des intérêts, et une dépendance permanente à leurs prêts pour rembourser les emprunts passés arrivés à échéance. A cela s’ajoute que les politiques publiques sont dorénavant constamment exposées au jugement de la finance quant à leurs solvabilités. C’est pour cela que le défaut ou le moratoire sur la dette publique doivent systématiquement s’accompagner d’une réflexion sur un financement public alternatif |30|.
Trouver une porte de sortie
La politique de l’État fédéral belge, et celle de l’ensemble des entités fédérées |31|, se trouve aujourd’hui contrainte par les desideratas des investisseurs privés. On comprend mieux le retrait progressif du fédéral dans les soins de santé – incitant par là à la retraite par capitalisation ou aux assurances privées –, la défiscalisation systématique des ménages les plus riches et des transnationales |32| ou encore le report de la taxe sur les opérations spéculatives – tant ceux qui pratiquent le plus la spéculation sont les principaux argentiers du fédéral. Mais l’état de délabrement budgétaire de la Belgique – et de ses politiques publiques – dépend autant de la prédation financière d’acteurs motivés par le profit à court terme que de choix politiques posés par nos responsables politiques.
A ce titre, l’Agence de la dette, une entité qui dépend du SPF Finances, est un organisme intéressant à analyser pour mesurer « l’importance » que les autorités accordent à la problématique de l’endettement. L’Agence de la dette est une agence de gestion. Elle s’occupe d’exécuter les mises en ventes et s’assure que les paiements d’intérêts soient effectués tout en réalisant des opérations de marché consistant en des rachats anticipés de la dette en jouant sur les taux d’intérêts |33|. Une loi fédérale votée en octobre 2016 (86 pour, 50 absentions et 0 contre) prévoit d’ailleurs d’approfondir le recrutement, par l’Agence, de contractuels issus de la finance privée. Cela démontre à quel point la souveraineté monétaire et financière de l’Etat est reléguée à des opérations techniques et de gestion en dehors de toute orientation proprement politique.
La souveraineté monétaire et financière de l’État est reléguée à des opérations techniques et de gestion en dehors de toute orientation proprement politique
Le degré auquel la démocratie est mise à mal et combien le chemin sera tortueux pour en sortir saute ici aux yeux. Il est de nécessité impérieuse de poser sur la table les conditions de reprise en main démocratique des déterminants des finances publiques, notamment en envisageant un financement public qui ne dépende pas dans son entièreté aux marchés financiers ; ou encore et surtout, de penser des mécanismes de contrôle démocratique permanents, comme l’audit citoyen de la dette, qui assurerait que la représentation politique est bien au service de ceux qui la légitiment.
Le cas de la Grèce est à ce titre criant. Suite à son impossibilité d’honorer son service de la dette, l’État hellénique est aujourd’hui sous plan de sauvetage de la Troïka et n’a plus accès aux marchés financiers. La Commission européenne, la BCE et le FMI prêtent aux Grecs pour qu’ils puissent ensuite rembourser les créanciers privés et entraîne le pays dans un rythme économique insoutenable. Ne disposant plus de facilité (coûteuse) d’emprunt « offerte » par le marché à court terme pour financer son déficit ou le remboursement de sa dette, le gouvernement grecque doit couper dans ses dépenses publiques et puiser dans son patrimoine en le bradant au secteur privé de manière à dégager un excèdent budgétaire pour honorer ses créances |34|. Or, comme le CADTM le démontre depuis plusieurs années, le défaut sur la partie illégitime, illégale et odieuse de la dette s’impose. Le cas grec démontre qu’en plus d’un défaut il faut pouvoir innover et réintégrer la création monétaire (et le secteur bancaire) dans le carcan de la décision publique, faute de quoi l’étranglement des marchés financiers ne fera que se réactiver dans le futur. En réaction à la crise humanitaire provoquée par la politique de la Troïka qui secouait plusieurs collectivités grecques, des initiatives de monnaie locales et de systèmes d’échanges locaux ont été mis en place pour pallier aux manques de revenus et à l’impossibilité de réaliser des échanges économiques basiques. Ces exemples innovants, loin de palier à tous les maux de la crise, montrent que c’est en tout état de cause une question de souveraineté monétaire et d’une finance publique « hors-marché financiers » que les collectivités doivent s’approprier pour sortir de la spirale de la dette.
Le cas de la Grèce est à ce titre criant. Suite à son impossibilité d’honorer son service de la dette, l’État hellénique est aujourd’hui sous plan de sauvetage de la Troïka et n’a plus accès aux marchés financiers. La Commission européenne, la BCE et le FMI prêtent aux Grecs pour qu’ils puissent ensuite rembourser les créanciers privés et entraîne le pays dans un rythme économique insoutenable. Ne disposant plus de facilité (coûteuse) d’emprunt « offerte » par le marché à court terme pour financer son déficit ou le remboursement de sa dette, le gouvernement grecque doit couper dans ses dépenses publiques et puiser dans son patrimoine en le bradant au secteur privé de manière à dégager un excèdent budgétaire pour honorer ses créances |34|. Or, comme le CADTM le démontre depuis plusieurs années, le défaut sur la partie illégitime, illégale et odieuse de la dette s’impose. Le cas grec démontre qu’en plus d’un défaut il faut pouvoir innover et réintégrer la création monétaire (et le secteur bancaire) dans le carcan de la décision publique, faute de quoi l’étranglement des marchés financiers ne fera que se réactiver dans le futur. En réaction à la crise humanitaire provoquée par la politique de la Troïka qui secouait plusieurs collectivités grecques, des initiatives de monnaie locales et de systèmes d’échanges locaux ont été mis en place pour pallier aux manques de revenus et à l’impossibilité de réaliser des échanges économiques basiques. Ces exemples innovants, loin de palier à tous les maux de la crise, montrent que c’est en tout état de cause une question de souveraineté monétaire et d’une finance publique « hors-marché financiers » que les collectivités doivent s’approprier pour sortir de la spirale de la dette.
L’auteur remercie Jérémie Cravatte pour sa relecture attentive.
Nicolas Hercelin
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Notes
|1| En 2009 la Belgique a été mise dans une procédure de déficit excessif (prévue par l’article 126 du TFUE) par le Conseil Européen. Sortie de cette procédure en 2014, la Belgique reste néanmoins sous la surveillance de la Commission quant au respect de l’ensemble des obligations budgétaires auxquelles elle est soumise (TSCG et Six Pack notamment).
|2| Entré en vigueur en 2013 le « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance » met en place un solde structurel maximum de 0,5% (s’ajoutant au solde conjoncturel maximum de 3% posé par Maastricht). C’est-à-dire un solde maximum à ne pas dépasser si l’économie était en plein emploi et au maximum de ses capacités de production. Ce calcul est extrêmement difficile à mettre en place, aussi bien que la BCE et le FMI ne s’accordent pas dessus. Cela démontre tout l’arbitraire du taux de « 0,5% ».
|3| Pour aller plus loin sur les politiques d’austérité en Belgique voir : « Belgique : 50 milliards d’austérité en 5 ans, pour quels résultats ? », ACiDe Belgique
|4| L’écho, « Où est passée la taxe sur les plus-values ? »
|5| Tout ce que gouvernement a en tête ce sont des partenariats publics-privés. Lire sur ce sujet le dossier du Soir « Les investissements publics ont chuté de 50% en 25 ans », mars 2016.
|6| L’ensemble des données qui sont utilisées dans cet article est issu des rapports annuels de l’Agence de la Dette, disponibles en ligne : http://www.debtagency.be/fr_publica…
|7| Nous ne traitons pas dans cet article des budgets des entités fédérées. Certains groupes d’ACiDe font un travail très intéressant sur le sujet.
|8| La dette publique totale (entités fédérées comprises) était de 434 milliards d’euros, soit 110 % du PIB.
|9| La loi : http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/54…
|10| Les banques centrales détiennent également de la dette belge, mais en proportion limitée.
|11| Les Primary Dealers sont des institutions financières ayant des accords spéciaux avec l’État. Ce sont eux qui achètent la dette de l’État lors de sa mise aux enchères. Ils assurent également un relais entre l’État et le marché que ce soit dans leur partage d’information ou dans la revente de ces titres sur le marché secondaire. En 2015 les institutions agrées par la Belgique sous ce statut privilégié de Primary Dealers étaient : Barclays, BNP Paribas Fortis, Citigroup, Crédit Agricole, HSBC, ING, JP Morgan, KBC, Morgan Stanley, Natixis, Nomura international, Royal Bank of Scotland, Société Générale. Rapport Annuel de l’Agence de la Dette, 2015.
|12| Selon l’étude « HFCS » commandé par la BCE en 2013, seul 7,5% des ménages belges détenaient des titres de dette publique (belge ou étranger). De plus le rapport indiquait que ces titres de la dette étaient concentrés dans les main des 20% les plus riches en termes de revenus. « Household Finance and Consumption Network », 2013, pp. 24-25.
|13| Actuellement, le taux de référence à 10 ans est au taux plancher de 0,05 %. Cependant, les charges d’intérêt sont toujours importantes puisqu’on ne paie pas uniquement les intérêts des prêts d’aujourd’hui mais aussi des prêts d’hier et d’avant-hier. De plus, il s’agit du taux de financement de l’État fédéral, les communes elles paient actuellement des taux plus élevés. Enfin, ces taux bas sont la conséquence de la politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne pour les banques privées, pas du tout le signe d’une bonne santé économique de la Belgique – qui reste totalement dépendante d’une augmentation de ces taux d’intérêt.
|14| L’ensemble des chiffres se trouvent ici : http://www.begroting.be/FR/Pages/bu…
|15| A noter que depuis les récentes réformes de l’État beaucoup de dépenses publiques sont comptabilisé dans les entités fédérées, notamment celles pour la santé et celles concernant le social. Cela n’empêche pas le fait que la charge de la dette est au moins aussi importante que les dépenses sociales et de santé.
|16| « Dette sociale : qui doit à qui ? », Les Autres Voix de la Planète n°69 – 4e trimestre 2016, CADTM et CNCD 11.11.11, http://www.cadtm.org/Dette-sociale-…
|17| Injonction au remboursement qui fait écho, une nouvelle fois, au TSCG qui impose un niveau maximum arbitraire de ratio dette/PIB à hauteur de 60% et une diminution d’un vingtième par an dans le cas contraire. La Commission européenne continue périodiquement de rappeler à l’ordre la Belgique sur le respect de ces critères. Lire : http://www.lalibre.be/economie/conj…. Bien sûr, ces trajectoires sont fantaisistes et le réel objectif n’est pas de diminuer la dette publique. Lire ACiDe, ibid.
|18| Voir : Eric Toussaint, « Bankocracy », 2014, chapitre 17, sur le coût des sauvetages bancaire. ; Olivier Bonfond, « Et si on arrêtait de payer ? », 2012, pour un historique précis de l’endettement en Belgique ; Renaud Vivien, « Dexia, un coup d’État permanent », sur l’illégalité et l’illégitimité du sauvetage et des garanties de Dexia par l’État belge.
|19| Eric Toussaint, « Bancocratie », Chapitre 40, IX- Des emprunts publics légitimes. Eric Toussaint montre par exemple comment l’emprunt peut être un moyen d’amorcer une transition sociale et écologique.
|20| Rapport Annuel de l’Agence de la Dette, 2015, page 17 « Besoins et moyens de financement ». 2015 n’est pas une année exceptionnelle puisqu’en moyenne le fédéral a 22 milliards de prêts arrivant à échéance chaque année depuis 2000.
|21| Pour être tout à fait précis il faut ajouter que la Belgique emprunte également pour effectuer des « rachats anticipé » de dette. En jouant sur les taux d’intérêt cela permet de faire de (bien maigres) « économies ».
|22| Ibid.
|23| Le déficit budgétaire est bien sûr également causé par l’érosion de certaines recettes fiscales des États.
|24| Lors de la présentation du budget fédéral, le gouvernement a annoncé une économie de 55 millions d’euros dans les charges d’intérêt. Au-delà de la risibilité du chiffre en comparaison avec la charge totale des intérêts (une baisse de 0,48% de la charge totale), cette économie est la conséquence de taux d’intérêt historiquement bas. Mais ni la BCE, ni les acteurs privés n’ont été gage d’une stabilité de ce taux au cours des 40 dernières années.
|25| A cela il faut évidemment ajouter que les sauvetages bancaires de 2008 et la poursuite d’un politique d’avantage fiscaux aux plus fortunés et aux grandes entreprises détériore également les recettes de l’État et donc contribue à l’augmentation de son endettement.
|26| Directive Delors-Lamy, Traité de Maastricht, Traité de Lisbonne (notamment en son article 67 et 123), introduction de l’euro, indépendance de la banque centrale etc.
|27| Florian Fastenrath, Michael Schwan, et Christine Trampusch , « Where states and markets meet : the financialisation of sovereign debt management », New Political Economy, 2016.
|28| Car la situation budgétaire se verrait dégradée par cette dépense sociale « non-rentable ». Pour aller plus loin sur la problématique d’une dépense sociale rentable voir : Benjamin Lemoine, « L’ordre de la dette », 2016.
|29| Benjamin Lemoine, « Refaire de la dette une chose publique, les structures sociales et politiques de l’endettement souverain », savoir/agir, n° 35, mars 2016.
|30| Lire, entre autres : « Comment éviter de se réendetter après une annulation ? » : http://www.cadtm.org/Comment-eviter…
|32| Frédéric Lordon, « La dette publique, ou la reconquista des possédantes », 2010.
|33| L’Agence a par exemple « perdu » 2,3 milliards d’euros par l’usage de swaps dans sa gestion du risque. Lire : https://www.rtbf.be/info/economie/d…
|34| N, Kadritzke, « Grande braderie en Grèce : des privatisations qui sapent le redressement du pays », le monde diplomatique, juillet 2016, http://www.monde-diplomatique.fr/20…
(Belgique, comme la Grèce, à vendre ! Leur pays ne leur appartient plus. note de rené)
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