Grèce : la folie des dépenses militaires
Malgré la très sévère crise, la Grèce reste l’un des pays de l’OTAN et de l’UE qui dépensent le plus pour leur défense nationale.
Parade militaire de la Fête nationale dans le centre d'Athènes, en mars 2014. (LOUISA GOULIAMAKI / AFP)
Écrasée sous 320 milliards d’euros de dette, plombée par cinq années de récession économique, de faibles rentrée fiscales, victime d’un taux de chômage de 25% (50% chez les jeunes), la Grèce continue de consacrer, malgré tout, une part très importante de sa richesse nationale à ses dépenses militaires : près de 2% de son PIB. Ce petit pays (11 millions d’habitants) possède plus de chars (1.300 tanks dont 170 "Leopard 2" allemands) que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, cinq fois plus que la France. Principale raison de cette déraison budgétaire : la peur de la Turquie (72 millions d’habitants) ; la crainte, l’obsession de l’ancien ennemi ottoman qui a occupé la Grèce pendant près de quatre siècles.
Aiguisées par les réserves sous-marines de pétrole, les tensions en mer Égée entre Athènes et Ankara sont persistantes. "Depuis début janvier et jusqu’à aujourd’hui, la Turquie a violé pas moins de 475 fois l’espace aérien grec, soit 4 à 5 fois par jour", assure Kostas Isichos, vice-ministre de la défense jusqu’en juillet. "Et lors d’exercices navals, les bateaux de guerre turcs ont encerclé 22 îles grecques", ajoute-t-il.
Athènes et Ankara sont aussi en conflit virtuel et indirect à Chypre. Tandis que la Grèce soutient le gouvernement chypriote grec au sud, le nord est occupé depuis 1974 par les militaires turcs, qui soutiennent une République turque de Chypre du Nord. La Grèce se sent aussi menacée au nord par l’Albanie et la Macédoine. Car à Tirana comme à Skopje, certains n’ont pas renoncé au rêve de "Grande Albanie" ou de "Grande Macédoine", empiétant sur le territoire grec.
La menace turque dans toutes les pensées
Malgré ces tensions récurrentes, Syriza, la coalition de la gauche radicale arrivée au pouvoir en janvier 2015 sur un programme social, avait promis de réduire les dépenses militaires. "Mais, regrette, amer, Kostas Isichos, l’ex-responsable de la défense, on en est resté aux paroles sans passer aux actes".
Première raison de cet engagement électoral oublié : Syriza a confié le ministère de la Défense à Panos Kammenos, le chef d’un petit parti souverainiste, nationaliste de droite, dont la gauche radicale avait besoin pour avoir la majorité au Parlement. Panos Kammenos a exigé non seulement un portefeuille mais le maintien de son budget, d’autant plus que les militaires font partie de sa clientèle électorale. Mais il y a une autre raison, plus profonde, au retournement de Syriza.
"Face à la menace turque, le maintien des dépenses militaires fait l’objet d’un large consensus dans la population et dans la classe politique, de droite comme de gauche", analyse Thanos Dokos, expert en question de défense à la Fondation hellénique pour la politique étrangère et européenne.
La Turquie est une société militarisée qui ne respecte que la force et qui l’utilise", souligne l’analyste.
Même si chacun exclut une guerre ouverte, beaucoup à Athènes craignent qu’un des nombreux incidents ne dégénère en conflit et veulent se tenir prêt.
Les plans d'économie se heurtent au clientélisme
Après avoir notamment acquis des chasseurs F16 américains, des hélicoptères français, des sous-marins et des chars allemands, la Grèce a certes arrêté, depuis le début de la crise, en 2010, ses coûteux programmes d’achats d’armes. Mais les dépenses d’entretien, de maintenance et de fonctionnement de cet arsenal disproportionné coûtent cher. Sans compter les salaires des quelque 100.000 hommes de l’armée grecque (pour 11 millions d’habitants soit plus que la Pologne pourtant trois fois plus peuplée). Sous la pression des créanciers européens, Athènes aurait accepté, lors des négociations du plan de sauvetage financier du pays cet été, de réduire son budget de dépenses de 200 à 300 millions pour les deux prochaines années.
Un plan d’économie existe depuis 10 ans. Il consiste à réduire les effectifs et le nombre de casernes en Grèce continentale, notamment dans le Péloponnèse, pour redéployer les militaires restants vers les zones sensibles des frontières. Mais cette réforme se heurte aux élus locaux qui ne veulent pas perdre leurs installations militaires, au clientélisme qui règne en maître dans le pays. Et au niveau central, les hommes politiques, dont ceux deSyriza, rechignent, en cette période de chômage de masse, à couper dans les effectifs de l’armée et faire plus de sans-emplois.
Corrompus grecs et corrupteurs européens
Face aux pressions financières de Bruxelles, les Grecs dénoncent "l’hypocrisie" des Européens. "Ils nous reprochent notre dette élevée, nos déficits, qu’ils connaissaient parfaitement, alors qu’ils sont en bonne partie dus à des achats d’armes à prix fort dont ils ont bénéficié", souligne Manos Tsaldaris, spécialiste des questions de défense au Journal des rédacteurs (de gauche et indépendant). Si les contrats d’armements grecs ont été si coûteux, c’est qu’ils ont été accompagnés de sérieux dessous de table.
En 2013, l’ancien ministre de la Défense Akis Tsochadzopoulos a été condamné à 20 ans de prison pour avoir empoché 8 millions d’euros de commission occulte d’un contractant allemand. Cette condamnation reste une exception dans une mer de corruption sur les ventes d’armes, assure Kostas Isichos, l’ex-vice ministre de la Défense. Il dénonce une autre hypocrisie européenne. "Pour la corruption, c’est comme pour le tango : il faut être deux pour danser. Certes, il y a des corrompus grecs. Mais il y a aussi des corrupteurs européens".
Jean-Baptiste Naudet (envoyé spécial à Athènes)
(source : l'Obs)
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