Va-t-on pour la première fois trouver dans les assiettes américaines un animal génétiquement modifié ? La question est posée alors que s'achèvent, vendredi 26 avril, les consultations publiques menées par la Food and Drug Administration (FDA), l'administration américaine qui réglemente les produits alimentaires et pharmaceutiques, concernant l'autorisation pour la consommation humaine d'un saumon transgénique.

Ce poisson, nommé AquAdvantage et mis au point par deux universités canadiennes, est produit par la firme américaine AquaBounty Technologies depuis vingt ans. Les œufs génétiquement modifiés sont produits dans un centre piscicole sur l'île du Prince-Edouard, au Canada, tandis que les saumons adultes sont élevés dans des bassins au sein de la forêt du Panama, que décrit un reportage du Guardian.

UN POISSON SURNOMMÉ "FRANKENFISH"

Particularité de ce "Frankenfish" – surnom que lui donnent ses opposants : l'insertion de deux gènes provenant de deux espèces différentes. Le premier code pour une hormone de croissance normalement présente chez le saumon royal de l'océan Pacifique ; le second, issu d'une anguille, doit faire grandir le saumon tout au long de l'année, même lors de la saison froide alors que sa croissance se met d'ordinaire en pause.

Au final, les saumons transgéniques deviennent adultes en deux fois moins de temps que leurs cousins sauvages, à savoir dix-huit mois au lieu de trois ans. Pour leurs promoteurs, ces animaux génétiquement modifiés représentent une protéine à bas prix et de haute qualité qui ne constitue pas une menace pour l'environnement et notamment des stocks de poissons sauvages limités.

NE PRODUIRE QUE DES FEMELLES, EN THÉORIE STÉRILES

Le saumon, dont AquaBounty Technologies cherche depuis dix-sept ans à obtenir une autorisation de mise sur le marché, en est actuellement à la dernière étape du processus d'homologation de la FDA, le New Animal Drug Application. Après avoir conclu en 2010 que le saumon AquAdvantage était sans danger pour la consommation humaine, l'agence américaine a annoncé en décembre 2012 qu'il ne posait pas non plus de menace pour l'environnement.

Selon la FDA, AquaBounty Technologies a prévenu l'évasion des poissons transgéniques dans la nature, où ils pourraient affecter les populations sauvages, en les confinant dans des bassins sur terre – et non des parcs dans l'océan –, et en ne produisant que des femelles, en théorie toutes stériles. En cas de fuite, les eaux du Canada sont trop froides pour que les œufs survivent, tandis que celles du Panama sont bien trop chaudes pour les adultes, estime l'agence, qui concède toutefois que la technique de stérilisation employée n'est pas sûre à 100 %.

RISQUE POUR LES POPULATIONS DE SAUMONS SAUVAGES

Cela n'a pas suffi à rassurer les opposants au "Frankenfish", selon lesquels certains saumons transgéniques réussiront à disséminer leurs gènes et pourraient mettre en péril leurs cousins de l'Atlantique, en danger d'extinction. "La FDA indique que seulement 95 % des saumons pourraient être stériles, le reste étant fertile. Lorsque l'on parle de millions de poissons, même 1 % correspond à des milliers d'individus", déplorait ainsi la Consumers Unions, une ONG de défense des consommateurs, dans un communiqué, juste après la décision de la FDA. Et rien ne prouve que les saumons ne résisteront pas aux eaux chaudes et salées.

"Les consommateurs n'auront dans la plupart des cas aucun moyen d'éviter ce poisson, même s'ils le veulent. Alors que la loi prévoit un étiquetage par pays d'origine dans les supermarchés, cela ne s'applique pas au poisson vendu dans les marchés ou les restaurants. Dans les supermarchés, les consommateurs pourront s'abstenir d'acheter du saumon originaire du Panama, ils ne pourront pas y échapper ailleurs", prévenait alors Michael Hansen, responsable scientifique de l'association.

1,5 MILLION DE COMMENTAIRES

Depuis, le sujet a déchaîné les passions outre-Atlantique. Preuve de cette inquiétude : la période initiale de consultation du public, qui devait à l'origine s'achever fin février, a été prolongée de soixante jours à la demande d'un groupe de sénateurs américains, après avoir reçu plus de 400 000 observations. Le nombre d'observations s'élève aujourd'hui à 1,5 million.

Plus de 2 500 supermarchés à travers le pays se sont par ailleurs engagés à ne pas vendre de saumons génétiquement modifiés. En outre, 260 chefs ont signé une lettre boycottant les poissons.

"Ces craintes proviennent d'un large éventail de la population : des consommateurs, des scientifiques, des producteurs de saumon, des médecins, des ministres ou encore des étudiants, précise Wenonah Hauter, directrice exécutive de Food & Water Watch. La FDA doit faire passer les intérêts de la population avant ceux de l'industrie des biotechnologies, qui semblent être seuls partisans du saumon transgénique. L'agence doit reconnaître que les risques environnementaux et les questions de sécurité alimentaire persistants ne justifient pas l'approbation de ce produit."

A l'issue de la fin du débat public, la FDA doit ensuite examiner, pendant un laps de temps indéterminé, les commentaires qui lui ont été soumis. Si aucune objection majeure n'est retenue, il ne restera plus qu'à donner l'autorisation d'introduction des saumons transgéniques sur le marché.

Selon certains experts, l'AquAdvantage pourrait finir dans l'assiette des consommateurs, sans étiquette particulière, avant la fin 2013.