« Comment on m'a jeté en prison ». Entretien avec le président péruvien Pedro Castillo et son avocat
Fin décembre, j'ai été mis en été contact avec l'ONG Red Nacional de Derechos Humanos basée à Caracas et Madrid pour réaliser une interview avec le président élu péruvien Pedro Castillo, emprisonné depuis le 7 décembre. M. Castillo étant privé d'accès aux médias, nous avons réalisé cet entretien par l'intermédiaire de son avocat, M. Wilfredo Robles. Voici les réponses qu'il nous a fait parvenir lundi 23 janvier.
Interview avec le président de gauche péruvien Castillo emprisonné suite à un coup d'Etat organisé par les Etats-Unis en décembre dernier.
Le public européen connait mal la situation au Pérou et ignore ce qui a amené à la crise du 7 décembre. Pouvez-vous expliquer comment, de votre point de vue, on est arrivé à cette crise ? Je pense en particulier aux difficultés qui ont suivi les élections pour constituer un gouvernement viable, aux tensions au sein du parlement et au jeu trouble de l'opposition de droite.
La crise au Pérou ne date pas d'aujourd'hui. C'est une situation structurelle. Le pays a vécu sous une forme de dictature jusqu'à l'an 2000, avec un système étatique oppressif qui remonte à la présidence d'Alberto Fujimori et à la constitution qu'il avait ajustée à ses intérêts pour se perpétuer au gouvernement en 1992. Après la destitution du dictateur Fujimori, les partis politiques de la gauche modérée et de la droite ont cohabité au pouvoir, avec des discours différents mais avec le même objectif pratique : conserver le pouvoir.
En 2016, la crise politique s'est aggravée avec un conflit entre les pouvoirs législatif et exécutif, qui a mis au jour divers cas de corruption et provoqué une instabilité avec la succession de six présidents en six ans. Actuellement, le Congrès est rejeté par 90% des Péruviens selon différents sondeurs. Le meilleur reflet de cet état d'esprit est la rue, où les gens se sont descendus pour demander la démission de Dina Boluarte, la démission du Congrès et la libération du président constitutionnel Pedro Castillo.
En ce qui concerne le mandat du président José Pedro Castillo Terrones, qui est mon client dans l'affaire judiciaire instruite arbitrairement contre lui, je peux dire qu'au cours de son mandat de 17 mois, son gouvernement a été soumis à un véritable blocus par les membres du Congrès d'extrême-droite dirigés par l'opposante et candidate perdante à la présidence Keiko Fijimori. Avant même le début du mandat présidentiel, ils ont créé un climat de tension et ignoré le choix de la majorité de la volonté populaire, qui a donné la victoire au président Castillo. Comme ils avaient échoué à obtenir le soutien de la majorité de la population, ils ont opté pour un boycott grâce à la majorité des partis qui contrôle le Congrès.
Le Congrès a lancé différentes enquêtes avec des vices de forme et selon des procédures illégales afin de bloquer le pouvoir exécutif. En un an, le Congrès a lancé trois procédures d'enquête contre la présidence, toutes restées sans fondements et sans preuves à ce jour. La famille de mon client, son épouse et ses proches, n'ont pas échappé à cette persécution politique, médiatique et judiciaire et ont été soumis à des vagues d'insultes nourries par des procédures d'enquête destinées à alimenter la presse tabloïd et à influencer négativement l'opinion publique.
Il est difficile de gérer un gouvernement avec un Congrès qui bloque toutes les initiatives du pouvoir exécutif. La stratégie de blocage du Congrès et les pressions politiques ont produit 70 changements de ministres en douze mois, signe clair d'un harcèlement contre le président Castillo et les 70 initiatives législatives qu'il a initiées, parmi lesquelles une réforme agraire prévoyant la remise d'une dette sociale qui aurait profité à plus de deux millions de frères paysans, une réforme universitaire qui aurait garanti l'accès universel et gratuit à l'enseignement supérieur, des réformes fiscales pour collecter les impôts dans les secteurs économiques ayant historiquement joui de privilèges fiscaux injustifiés. Dans aucun de ces cas, il n'a pu obtenir le vote de confiance du Congrès, créant une situation qui a bloqué le budget pour développer les réformes et les programmes pour lesquels il a été élu.
Il y a aussi eu des pressions du secteur minier, une branche économique stratégique, qui a fait pression pour renouveler plus de cinquante concessions d'exploitation minière qui arrivaient à échéance en 2023. Le président avait ordonné une révision de ces contrats afin qu'ils tiennent davantage compte de la justice sociale et que ces sociétés paient des impôts ajustés à la réalité du pays et à leurs profits afin d'avoir un impact positif sur le développement de la population et de tenir compte des principes de la protection de l'environnement et du respect des droits de nos frères indigènes.
Cette volonté a mis mal à l'aise le secteur minier qui entend continuer à exploiter les ressources naturelles du Pérou en toute impunité et sans aucun contrôle de l'État. La perte due à ces schémas fiscaux annuels a été estimée à 2,5 milliards de dollars pour les recettes publiques, sans compter l'exploitation minière illégale. La déforestation dont souffrent les ressources naturelles est féroce. On estime que la seule région de Mano de Dios connaît une déforestation de plus de 50 000 hectares.
Seule une perception plus équitable des impôts aurait permis d'entreprendre des politiques sociales dans des secteurs aussi importants que l'éducation, l'accès au système de santé publique, les programmes de soins aux peuples autochtones, les communautés rurales, la restructuration de la police avec une vision humaniste, des politiques d'égalité femmes-hommes, la protection de nos enfants et de nos aînés.
Le gouvernement de Castillo Terrones représentait un danger pour l'oligarchie et les puissances économiques du Pérou et ceux qui ont conspiré et financé le coup d'État contre le gouvernement légitime.
Pouvez-vous décrire en détail ce qui s'est passé le 7 décembre et les jours qui ont suivi ? Les explications que nous avons en Europe n'étaient pas très précises et souvent biaisées en faveur de la nouvelle présidente.
Le 7 décembre, mon client, Pedro Castillo Terrones, avait une audience à la Commission de la constitutionnalité pour présenter sa défense face à la procédure de destitution qui avait été entamée contre lui. La session plénière du Congrès avait été convoquée pour 15h00. Ce même jour vers 10h30 le Président a délivré un message à la nation, dans lequel il a décrit les faits et présenté les arguments juridiques pour dissoudre le Congrès en vertu de l'article 134 de la constitution, de façon à lever le blocage du Pouvoir Législatif contre le Pouvoir Exécutif.
L'article 134 est très clair : « Le Président de la République est habilité à dissoudre le Congrès si celui-ci a censuré ou refusé sa confiance à deux Conseils des ministres. Le décret de dissolution contient l'appel aux élections pour un nouveau Congrès. Ces élections ont lieu dans un délai de quatre mois à compter de la date de dissolution, sans modification du système électoral préexistant. Le Congrès ne peut pas être dissous dans la dernière année de son mandat. Une fois le Congrès dissous, la Commission permanente reste en fonction, laquelle ne peut pas être dissoute non plus. Il n'y a pas d'autres formes de révocation du mandat parlementaire. Le Congrès ne peut être dissous s'il est en état de siège. »
Le 7 décembre dans la journée, le bureau du Congrès a avancé la session plénière trois heures avant l'heure prévue, une fois le message du président Castillo livré, afin de discuter d'urgence de la destitution du président sous prétexte de rébellion, en mettant de côté la procédure qu'il avait lui-même fixée. De façon tout à fait irrégulière, la majorité de droite du congrès a approuvé la destitution du président, sans enquête préalable, violant son droit à la défense et en contrevenant aux dispositions de l'article 89 du Règlement du Congrès de la République, qui fixe les procédures à suivre, et sans respecter le droit d'immunité dont le président jouit en vertu de son investiture à la tête de l'Etat. Toute la procédure constitutionnelle a été bafouée par la majorité qui contrôle le Congrès.
« Ils ont suivi une procédure non valide dans le seul but d'approuver la destitution du Président sans se conformer aux procédures d'enquête constitutionnelle par la Commission de constitutionnalité, ni respecter mon droit à la légitime défense, ni attendre les conclusions du rapport de la commission ad hoc, dans le seul but de faire avancer la procédure de destitution, en violant mon droit à un examen circonstancié de mon cas et mes prérogatives en ma qualité de Président en exercice », déclare M. Castillo.
Le président a été arrêté alors qu'il sortait du palais du gouvernement, sur ordre verbal du procureur national. Le chef de l'État a été détenu sans autorisation préalable de levée son immunité et en violant son droit à notifier que son arrestation était arbitraire, sans décision de justice, sans enquête préalable et alors qu'il était toujours en fonction en tant que président constitutionnel. On a donc violé la doctrine du Groupe de travail des Nations Unies sur les détentions arbitraires.
En décembre dernier, il a beaucoup été dit dans les médias européens que vous aviez de fait organisé un coup d'état et que la nouvelle présidente n'avait fait que réagir pour sauver la démocratie que vous menaciez. Comment pouvez-vous répondre à ces critiques ?
C'est le Congrès qui a lancé le coup d'État législatif, en bloquant d'abord le pouvoir exécutif, en créant une crise des institutions démocratiques et enfin en violant la constitution pour renverser le président légitime élu. Le congrès est dirigé par le militaire à la retraite José Williams Zapata, le même qui a fait l'objet d'une enquête en relation avec les massacres d'Accomarca et qui conserve une influence importante dans le haut commandement des Forces armées nationales. Le Congrès a aussi bloqué la politique internationale, en refusant au président l'autorisation d'assister à des sommets de chefs d'État et à des visites officielles. Il lui a refusé une rencontre avec le pape François en octobre 2022 alors qu'il avait reçu une invitation depuis des mois et qu'une tournée en Europe était prévue. Il est clair qu'un coup d'État politique a été mené par le Congrès depuis le début du mandat du président Castillo. Ce Congrès est contrôlé par la candidate perdante Keiko Fujimori qui suit les mêmes idéaux que son père, le dictateur Alberto Fujimori. La dissolution du congrès a été accompagnée par une convocation à de nouvelles élections, sachant que 70% de la population désapprouve son action lors de la journée du 7 décembre dernier.
Tout comme le Congrès détient le pouvoir de destituer un président suivant une procédure établie, il existe aussi un mécanisme de dissolution du Congrès, qui peut être activé lorsque les conditions juridiques sont remplies. C'est pour cette raison que dire que le président Castillo a fait un coup d'État est un non-sens juridique. L'oligopole de la presse à Lima se plie aux intérêts économiques dominants et rejoint le concert de la désinformation. Pour qu'il y ait coup d'Etat ou rébellion, il faut réunir une série de conditions telles que la violence et un soulèvement armé. Il faut qu'il y ait une organisation de personnes détenant un pouvoir politique et des armes pour que ce but puisse être réalisé. Ce n'est pas le cas.
Lorsqu'il a donné son message à la nation, il n'a à aucun moment appelé à un soulèvement militaire, ni à un soulèvement quelconque contre les pouvoirs de l'Etat. Alors que le coup d'État mené par le Congrès a reçu le soutien des hauts commandements militaires qui avaient conspiré contre le président Castillo. Il existe des preuves médiatiques et des enquêtes qui confirment que le coup d'État se préparait depuis des semaines en concertation avec l'ambassade des États-Unis à Lima, laquelle a rencontré à plusieurs reprises la vice-présidente Dina Boluarte et le ministre de la Défense, préparant la voie au processus de destitution qui avait commencé au Congrès. Plusieurs politiciens opposés au gouvernement du président Castillo ont été reçus à l'ambassade des États-Unis, dirigée par une ancienne agente de la CIA. Des vidéos de sécurité ont été publiées à ce sujet. (Cf. « Vijay Prashad, Les États-Unis et leur rôle dans le coup d'État au Pérou, peoplesworld.org)
Pouvez-vous décrire la situation du président en prison, l'absence de droits, le traitement que les autorités judiciaires et pénitentiaires lui ont réservé ? Quelles sont les atteintes à ses droits et les violations de la loi constitutionnelle ?
L'emprisonnement du président Castillo est arbitraire depuis le premier instant où il a été détenu sans ordonnance du tribunal et sans se conformer à la procédure légale. Comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'une procédure entachée d'illégalité et qui résulte d'un complot entre le procureur national et le pouvoir judiciaire. Aujourd'hui, il n'y a plus d'état de droit mais un système judiciaire axé sur les pouvoirs économiques et la politique dictée par Fujimori. La mesure conservatoire de privation de liberté est un fait en soi, un acte considéré comme un préjugement, sans présentation d'actes concluants par le ministère public, en contradiction avec la jurisprudence de la Cour interaméricaine et du Groupe de travail sur les détentions arbitraires du ONU.
Son incarcération a provoqué une très forte réaction populaire avec de nombreuses manifestations, beaucoup de violences et des dizaines de morts. Pourquoi ces violences ? Que pensez-vous de cette situation ? Que dites-vous aux personnes qui vous soutiennent : comment réduire le niveau de violence ?
Le soutien du peuple au président Castillo est significatif et authentique. Le peuple exige sa libération. Comme je l'ai déjà dit, le congrès bénéficie d'un taux de désapprobation de plus de 85% de la population. En d'autres termes, il n'a pas de soutien populaire. Évidemment, le président m'a dit qu'il était préoccupé par la répression contre les manifestations. Il y a des infiltrés qui ont créé le chaos. Le président rejette toute violence, la voie doit être démocratique et pacifique, et sans répression dans les rues. En fait, la majorité des personnes réprimées sont nos frères indigènes, les communautés rurales et paysannes, historiquement marginalisées, discriminées et criminalisées en tant que terroristes grâce à une campagne organisée pour stigmatiser les manifestations et souvent pour procéder à des exécutions sommaires (56 morts à ce jour, nda).
Y a-t-il aussi une forte réaction de pays amis comme l'Argentine, la Bolivie ou le Mexique ? Attendez-vous le soutien d'autres pays d'Amérique latine ? De l'Organisation des Etats américains ? Quel rôle celle-ci a-t-elle joué ?
Les présidents Manuel Lopez Obrador, Luis Arce, Alberto Fernandez, Gustavo Petro et les pays de l'ALBA (les neuf pays membres de l'Alliance bolivarienne, nda) ont publié un communiqué de pour dénoncer le coup d'Etat. De son côté, le président Castillo a envoyé une lettre pour convoquer la CELAC et discuter de la question lors de sa prochaine session. Nous espérons que la condamnation du coup d'État et la détention arbitraire du président constitutionnel auront pu être mises à l'ordre du jour (la session a eu lieu les 23 et 24 janvier sans résultat connu au moment où nous rédigeons, nda). M. Castillo est kidnappé par la dictature de Boluarte et les forces armées.
En ce qui concerne l'OEA, le président avait demandé en octobre et novembre 2022 qu'une mission se rende dans le pays. Malheureusement, c'est une organisation dirigée par M. Luis Almagro, qui a soutenu les processus de déstabilisation dans la région, comme le coup d'État contre le président Evo Morales en 2019. La partialité de l'OEA est telle que le jour même où mon mandant, l'ONG Red Nacional de Derechos Humanos, a été emprisonné, la Commission interaméricaine (CIDH) a demandé des mesures très, très prudentes pour garantir les droits humains et cesser la détention arbitraire de M. Castillo.
Mais après plus de 45 jours, cet organe est resté silencieux alors que les droits de l'homme de mon client continuent d'être violés. Le 21 décembre, à l'occasion de la visite technique de la CIDH au Pérou, au lieu d'insister auprès des médias pour qu'ils les accompagnent dans leur visite au président, ils se sont rendus au centre de détention de Barbadillo à sept heures du matin sans ma présence en qualité d'avocat, au prétexte que mon client leur aurait indiqué que je serais averti si la visite avait lieu.
Le rapport préliminaire de la CIDH ne mentionne pas la détention arbitraire de mon client, ni l'interdiction de s'adresser aux médias. Le rôle que joue cet organe est honteux. Cependant, nous continuerons d'insister jusqu'à ce que justice soit faite. Je suis convaincu que le coup d'État au Pérou répond à une stratégie du Commandement Sud (SouthCom)et du Département d'État états-unien visant à réactiver le plan Condor, renforcé par de nouvelles stratégies pour déstabiliser les gouvernements progressistes et pour s'emparer des ressources naturelles de la région.
Le coup d'État contre Evo Morales en 2019, le siège que subit le président bolivien Luis Arce par des groupes fascistes, la tentative de coup d'État au Brésil et les tentatives de discrédit politique contre la camarade Cristina Fernández de Kirchner en Argentine ne sont pas des coïncidences. Ces nouveaux processus de déstabilisation s'accompagnent non seulement de l'aide des forces armées mais aussi des mesures coercitives des pouvoirs judiciaires et de coups d'État parlementaires sous l'influence des partis politiques d'extrême droite, partis qui reçoivent des financements de l'USAID.
Qu'attendez-vous du public et des États européens et nord-américains ? Du Conseil des droits de l'homme à Genève ? Que peut faire la Suisse, qui héberge le Conseil des Droits de l'Homme à Genève ?
Mon client attend que justice soit faite et qu'on lui rende sa liberté. Les crimes qui lui sont imputés sont politiques et résultent d'un processus judiciaire biaisé en faveur du Congrès et de l'usurpatrice Dina Boluarte. Nous attendons davantage de solidarité avec le Pérou de la part de la communauté internationale. Il ne suffit pas de dénoncer les réseaux, il faut agir et exiger que les gouvernements condamnent la dictature actuelle et les violations des droits de l'homme et fassent libérer le Président Castillo.
L'Europe doit arrêter la vente d'armes et de matériel répressif à la dictature actuelle. Ce matériel est utilisé contre la population civile. L'Espagne est le principal fournisseur et ces armes sont utilisées par l'armée et la police contre les manifestations.
En ce qui concerne le Conseil des droits de l'homme des Nations unies (CDH), le président, après son arrestation, a envoyé une lettre à cet organe qui était présidé par l'Argentine. Je l'ai apportée à l'ambassade d'Argentine à Lima et nous l'avons envoyée par courrier électronique à la mission accréditée à Genève. Malheureusement la demande n'a pas été traitée et nous n'en connaissons pas les raisons. Dans cette lettre, le Président a demandé la convocation d'une session urgente du CDH pour discuter de la situation au Pérou et approuver une mission internationale pour la détermination des faits concernant la violation des droits de l'homme. Ce mécanisme est sous l'autorité du CDH. Nous sommes conscients que le bureau de Boluarte travaille avec la Mission à Genève afin que ce processus n'avance pas. (Il s'agit des Organes d'établissement des faits du HCDH mandatés par le Conseil des droits de l'homme (ohchr.org).
Du 18 au 20 janvier, une mission du Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH) basée à Genève s'est rendue au Pérou. Le président a publié sur son compte Twitter et relayé par différents médias une lettre demandant que cette équipe du HCDH lui rende visite. Mais ils ont ignoré la demande. Il est inquiétant de constater que la mission de l'ONU dirigée par M. Cristian Salazar, procède avec sélectivité, contredisant la charte de l'ONU et ne répondant pas à la demande du président Castillo demandant qu'on lui rende visite en prison.
Le 26 janvier prochain, le Pérou doit être soumis à l'Examen Périodique Universel, durant lequel le CDH procède à une évaluation générale de la situation du pays et de ses progrès dans le domaine des droits de l'homme. Nous demandons que les Etats élèvent la voix et dénoncent la violation des droits de l'homme au Pérou et l'enlèvement du Président Castillo. Le CDH ne peut pas cohabiter avec des gouvernements terroristes comme celui de Dina Boluarte.
De cette évaluation devrait découler une résolution du Conseil des droits de l'homme condamnant la violation des droits de l'homme et l'approbation d'une mission internationale d'enquête. Je le répète, le lobbying exercé par la mission péruvienne à Genève, avec les principaux alliés de la dictature, bloque toute résolution condamnant les crimes contre l'humanité du gouvernement de facto.
Par ordre du Président, nous avons créé le Comité pour la libération du Président Pedro Castillo Terrones, afin de présenter son cas dans les instances nationales et internationales pour sa libération. Cette organisation est coordonnée par le député Pasión Davila avec le soutien de plusieurs personnes qui ont soutenu le Président Castillo.
Concernant la Suisse, il est inquiétant que le conseiller fédéral suisse des affaires étrangères, Ignazio Cassis, ait rencontré à Davos le chancelier du gouvernement péruvien de facto, légitimant ainsi un gouvernement qui contredit la tradition démocratique suisse. La société suisse est un exemple de démocratie avancée et je pense que les citoyens suisses ne seraient pas heureux que leur gouvernement reconnaisse et soutienne un gouvernement impliqué dans des crimes contre l'humanité.
La Suisse entretient des relations étroites avec le Pérou, plus étroites que beaucoup ne l'imaginent, son principal intérêt étant le secteur minier. Selon la presse, ces dernières années, les raffineries d'or suisses ont eu comme fournisseurs importants des entreprises péruviennes telles que Minersur, Minera Laytaruma, La Arena, Compañia Minera Caraveli, Minera Confianza, Tulin Gold, Minera IRL, Comercializadora Tambo Real, entre autres.
Je voudrais citer le célèbre chercheur suisse Mark Pieth dont le nouveau livre « Laundering Gold » met en évidence la manière dont les sociétés susmentionnées opèrent dans l'achat d'or dans le monde entier.
Dans ce sens, notre appel à la société suisse est d'exiger que son gouvernement ait une attitude plus cohérente envers la démocratie et les droits de l'homme. Il est encore temps de renverser la politique étrangère erronée de soutien à la dictature de Boluarte. La Suisse est membre du Conseil de sécurité. Elle a commencé son mandat cette année et peut soumettre une demande d'enquête internationale sur les violations des droits de l'Homme. Elle devrait être intéressée non seulement par l'or du Pérou, mais aussi par les mauvais traitements infligés à son peuple.
Selon vous, quelles sont les mesures les plus urgentes pour rétablir une démocratie effective au Pérou ? Et comment lutter pour réduire les immenses inégalités qui minent la société péruvienne (et latino-américaine) et provoquent des violences sociales et politiques ?
Dans son programme de campagne électorale, le président Castillo a proposé, en cas de victoire, de convoquer une constituante au Pérou pour refonder l'État, en suivant un processus démocratique et participatif. La constitution actuelle, comme on l'a vu, est le fruit de la dictature de Fujimori en 1992. C'est une constitution qui limite les actions de l'État et ne garantit pas l'État de droit ni la répartition équitable des richesses dans le pays. C'est une constitution néolibérale qui protège les oligopoles et le petit groupe qui s'est historiquement enrichi au Pérou. Le peuple appelle à une nouvelle constitution. On peut entendre cet appel dans les rues ou sur les réseaux sociaux. Mais malheureusement les patrons des médias au Pérou ne l'écoutent pas car ils obéissent aux intérêts de la dictature.
Le principal instrument juridique et social est la Constitution, qui est un pacte social, qui recueille le sentiment, la définition et l'identité du peuple. La droite péruvienne s'est consacrée à semer la peur en disant que l'assemblée constituante est un processus communiste ou résultant d'un système oppressif. Ce n'est pas ça. En fait, le fujimorisme a peur de la participation de la population aux prises de décision et au pouvoir de l'État, de reconnaître des droits qui ont été historiquement niés, comme ceux des communautés indigènes qui, selon le recensement de la population de 2017, comptent plus de 5 771 885 personnes (sur 34 millions d'habitants, nda).
A ce propos, la Suisse est un bon modèle, avec son système de participation populaire aux prises de décision. Le peuple est fréquemment consulté, pour le budget et les politiques publiques. C'est un élément que l'on cherche à intégrer à travers l'Assemblée constituante. Le régime qui gouverne aujourd'hui le Pérou craint les élections et la volonté populaire et c'est pourquoi il réforme expressément la constitution sans la soumettre au vote, en ajustant le texte constitutionnel à sa convenance, au mépris du droit.
Les ressources naturelles sont pillées par l'industrie minière en toute impunité. Le président Castillo aurait dû signer le renouvellement de plus de cinquante grandes concessions minières et zones stratégiques, alors qu'il souhaitait une plus grande régulation de ce secteur et avait stoppé le processus de renouvellement dans l'espoir d'ajuster les contrats et de soumettre ce secteur à une plus grande tutelle de l'État et à des ajustements fiscaux qui profitent au développement des collectivités locales. Ce secteur n'aimait pas ça et a conspiré financièrement pour le renverser. (Voir « Pedro Castillo affirme qu'il obligera les sociétés minières à renégocier les contrats et que, si elles ne le veulent pas, « d'autres viendront » - Energiminas. » et « Pedro Castillo affirme que les États-Unis sont à l'origine de l'utilisation de l'armée lors des manifestations au Pérou - 16.12.2022, Sputnik Mundo (sputniknews.lat). »
Le Congrès ouvrirait la voie à la paix et au dialogue en répondant aux demandes du peuples. Celles-ci sont au nombre de quatre, d'égale importance, à savoir la démission de Dina Boluarte ; l'élection d'un nouveau bureau du Congrès ; la convocation d'une Assemblée Constituante et la libération du président Castillo.
Durant la phase intermédiaire, un gouvernement de transition serait formé avec la participation du président Castillo.
Interview avec le président de gauche péruvien Castillo emprisonné suite à un coup d'Etat organisé par les Etats-Unis en décembre dernier.
Le public européen connait mal la situation au Pérou et ignore ce qui a amené à la crise du 7 décembre. Pouvez-vous expliquer comment, de votre point de vue, on est arrivé à cette crise ? Je pense en particulier aux difficultés qui ont suivi les élections pour constituer un gouvernement viable, aux tensions au sein du parlement et au jeu trouble de l'opposition de droite.
La crise au Pérou ne date pas d'aujourd'hui. C'est une situation structurelle. Le pays a vécu sous une forme de dictature jusqu'à l'an 2000, avec un système étatique oppressif qui remonte à la présidence d'Alberto Fujimori et à la constitution qu'il avait ajustée à ses intérêts pour se perpétuer au gouvernement en 1992. Après la destitution du dictateur Fujimori, les partis politiques de la gauche modérée et de la droite ont cohabité au pouvoir, avec des discours différents mais avec le même objectif pratique : conserver le pouvoir.
En 2016, la crise politique s'est aggravée avec un conflit entre les pouvoirs législatif et exécutif, qui a mis au jour divers cas de corruption et provoqué une instabilité avec la succession de six présidents en six ans. Actuellement, le Congrès est rejeté par 90% des Péruviens selon différents sondeurs. Le meilleur reflet de cet état d'esprit est la rue, où les gens se sont descendus pour demander la démission de Dina Boluarte, la démission du Congrès et la libération du président constitutionnel Pedro Castillo.
En ce qui concerne le mandat du président José Pedro Castillo Terrones, qui est mon client dans l'affaire judiciaire instruite arbitrairement contre lui, je peux dire qu'au cours de son mandat de 17 mois, son gouvernement a été soumis à un véritable blocus par les membres du Congrès d'extrême-droite dirigés par l'opposante et candidate perdante à la présidence Keiko Fijimori. Avant même le début du mandat présidentiel, ils ont créé un climat de tension et ignoré le choix de la majorité de la volonté populaire, qui a donné la victoire au président Castillo. Comme ils avaient échoué à obtenir le soutien de la majorité de la population, ils ont opté pour un boycott grâce à la majorité des partis qui contrôle le Congrès.
Le Congrès a lancé différentes enquêtes avec des vices de forme et selon des procédures illégales afin de bloquer le pouvoir exécutif. En un an, le Congrès a lancé trois procédures d'enquête contre la présidence, toutes restées sans fondements et sans preuves à ce jour. La famille de mon client, son épouse et ses proches, n'ont pas échappé à cette persécution politique, médiatique et judiciaire et ont été soumis à des vagues d'insultes nourries par des procédures d'enquête destinées à alimenter la presse tabloïd et à influencer négativement l'opinion publique.
Il est difficile de gérer un gouvernement avec un Congrès qui bloque toutes les initiatives du pouvoir exécutif. La stratégie de blocage du Congrès et les pressions politiques ont produit 70 changements de ministres en douze mois, signe clair d'un harcèlement contre le président Castillo et les 70 initiatives législatives qu'il a initiées, parmi lesquelles une réforme agraire prévoyant la remise d'une dette sociale qui aurait profité à plus de deux millions de frères paysans, une réforme universitaire qui aurait garanti l'accès universel et gratuit à l'enseignement supérieur, des réformes fiscales pour collecter les impôts dans les secteurs économiques ayant historiquement joui de privilèges fiscaux injustifiés. Dans aucun de ces cas, il n'a pu obtenir le vote de confiance du Congrès, créant une situation qui a bloqué le budget pour développer les réformes et les programmes pour lesquels il a été élu.
Il y a aussi eu des pressions du secteur minier, une branche économique stratégique, qui a fait pression pour renouveler plus de cinquante concessions d'exploitation minière qui arrivaient à échéance en 2023. Le président avait ordonné une révision de ces contrats afin qu'ils tiennent davantage compte de la justice sociale et que ces sociétés paient des impôts ajustés à la réalité du pays et à leurs profits afin d'avoir un impact positif sur le développement de la population et de tenir compte des principes de la protection de l'environnement et du respect des droits de nos frères indigènes.
Cette volonté a mis mal à l'aise le secteur minier qui entend continuer à exploiter les ressources naturelles du Pérou en toute impunité et sans aucun contrôle de l'État. La perte due à ces schémas fiscaux annuels a été estimée à 2,5 milliards de dollars pour les recettes publiques, sans compter l'exploitation minière illégale. La déforestation dont souffrent les ressources naturelles est féroce. On estime que la seule région de Mano de Dios connaît une déforestation de plus de 50 000 hectares.
Seule une perception plus équitable des impôts aurait permis d'entreprendre des politiques sociales dans des secteurs aussi importants que l'éducation, l'accès au système de santé publique, les programmes de soins aux peuples autochtones, les communautés rurales, la restructuration de la police avec une vision humaniste, des politiques d'égalité femmes-hommes, la protection de nos enfants et de nos aînés.
Le gouvernement de Castillo Terrones représentait un danger pour l'oligarchie et les puissances économiques du Pérou et ceux qui ont conspiré et financé le coup d'État contre le gouvernement légitime.
Pouvez-vous décrire en détail ce qui s'est passé le 7 décembre et les jours qui ont suivi ? Les explications que nous avons en Europe n'étaient pas très précises et souvent biaisées en faveur de la nouvelle présidente.
Le 7 décembre, mon client, Pedro Castillo Terrones, avait une audience à la Commission de la constitutionnalité pour présenter sa défense face à la procédure de destitution qui avait été entamée contre lui. La session plénière du Congrès avait été convoquée pour 15h00. Ce même jour vers 10h30 le Président a délivré un message à la nation, dans lequel il a décrit les faits et présenté les arguments juridiques pour dissoudre le Congrès en vertu de l'article 134 de la constitution, de façon à lever le blocage du Pouvoir Législatif contre le Pouvoir Exécutif.
L'article 134 est très clair : « Le Président de la République est habilité à dissoudre le Congrès si celui-ci a censuré ou refusé sa confiance à deux Conseils des ministres. Le décret de dissolution contient l'appel aux élections pour un nouveau Congrès. Ces élections ont lieu dans un délai de quatre mois à compter de la date de dissolution, sans modification du système électoral préexistant. Le Congrès ne peut pas être dissous dans la dernière année de son mandat. Une fois le Congrès dissous, la Commission permanente reste en fonction, laquelle ne peut pas être dissoute non plus. Il n'y a pas d'autres formes de révocation du mandat parlementaire. Le Congrès ne peut être dissous s'il est en état de siège. »
Le 7 décembre dans la journée, le bureau du Congrès a avancé la session plénière trois heures avant l'heure prévue, une fois le message du président Castillo livré, afin de discuter d'urgence de la destitution du président sous prétexte de rébellion, en mettant de côté la procédure qu'il avait lui-même fixée. De façon tout à fait irrégulière, la majorité de droite du congrès a approuvé la destitution du président, sans enquête préalable, violant son droit à la défense et en contrevenant aux dispositions de l'article 89 du Règlement du Congrès de la République, qui fixe les procédures à suivre, et sans respecter le droit d'immunité dont le président jouit en vertu de son investiture à la tête de l'Etat. Toute la procédure constitutionnelle a été bafouée par la majorité qui contrôle le Congrès.
« Ils ont suivi une procédure non valide dans le seul but d'approuver la destitution du Président sans se conformer aux procédures d'enquête constitutionnelle par la Commission de constitutionnalité, ni respecter mon droit à la légitime défense, ni attendre les conclusions du rapport de la commission ad hoc, dans le seul but de faire avancer la procédure de destitution, en violant mon droit à un examen circonstancié de mon cas et mes prérogatives en ma qualité de Président en exercice », déclare M. Castillo.
Le président a été arrêté alors qu'il sortait du palais du gouvernement, sur ordre verbal du procureur national. Le chef de l'État a été détenu sans autorisation préalable de levée son immunité et en violant son droit à notifier que son arrestation était arbitraire, sans décision de justice, sans enquête préalable et alors qu'il était toujours en fonction en tant que président constitutionnel. On a donc violé la doctrine du Groupe de travail des Nations Unies sur les détentions arbitraires.
En décembre dernier, il a beaucoup été dit dans les médias européens que vous aviez de fait organisé un coup d'état et que la nouvelle présidente n'avait fait que réagir pour sauver la démocratie que vous menaciez. Comment pouvez-vous répondre à ces critiques ?
C'est le Congrès qui a lancé le coup d'État législatif, en bloquant d'abord le pouvoir exécutif, en créant une crise des institutions démocratiques et enfin en violant la constitution pour renverser le président légitime élu. Le congrès est dirigé par le militaire à la retraite José Williams Zapata, le même qui a fait l'objet d'une enquête en relation avec les massacres d'Accomarca et qui conserve une influence importante dans le haut commandement des Forces armées nationales. Le Congrès a aussi bloqué la politique internationale, en refusant au président l'autorisation d'assister à des sommets de chefs d'État et à des visites officielles. Il lui a refusé une rencontre avec le pape François en octobre 2022 alors qu'il avait reçu une invitation depuis des mois et qu'une tournée en Europe était prévue. Il est clair qu'un coup d'État politique a été mené par le Congrès depuis le début du mandat du président Castillo. Ce Congrès est contrôlé par la candidate perdante Keiko Fujimori qui suit les mêmes idéaux que son père, le dictateur Alberto Fujimori. La dissolution du congrès a été accompagnée par une convocation à de nouvelles élections, sachant que 70% de la population désapprouve son action lors de la journée du 7 décembre dernier.
Tout comme le Congrès détient le pouvoir de destituer un président suivant une procédure établie, il existe aussi un mécanisme de dissolution du Congrès, qui peut être activé lorsque les conditions juridiques sont remplies. C'est pour cette raison que dire que le président Castillo a fait un coup d'État est un non-sens juridique. L'oligopole de la presse à Lima se plie aux intérêts économiques dominants et rejoint le concert de la désinformation. Pour qu'il y ait coup d'Etat ou rébellion, il faut réunir une série de conditions telles que la violence et un soulèvement armé. Il faut qu'il y ait une organisation de personnes détenant un pouvoir politique et des armes pour que ce but puisse être réalisé. Ce n'est pas le cas.
Lorsqu'il a donné son message à la nation, il n'a à aucun moment appelé à un soulèvement militaire, ni à un soulèvement quelconque contre les pouvoirs de l'Etat. Alors que le coup d'État mené par le Congrès a reçu le soutien des hauts commandements militaires qui avaient conspiré contre le président Castillo. Il existe des preuves médiatiques et des enquêtes qui confirment que le coup d'État se préparait depuis des semaines en concertation avec l'ambassade des États-Unis à Lima, laquelle a rencontré à plusieurs reprises la vice-présidente Dina Boluarte et le ministre de la Défense, préparant la voie au processus de destitution qui avait commencé au Congrès. Plusieurs politiciens opposés au gouvernement du président Castillo ont été reçus à l'ambassade des États-Unis, dirigée par une ancienne agente de la CIA. Des vidéos de sécurité ont été publiées à ce sujet. (Cf. « Vijay Prashad, Les États-Unis et leur rôle dans le coup d'État au Pérou, peoplesworld.org)
Pouvez-vous décrire la situation du président en prison, l'absence de droits, le traitement que les autorités judiciaires et pénitentiaires lui ont réservé ? Quelles sont les atteintes à ses droits et les violations de la loi constitutionnelle ?
L'emprisonnement du président Castillo est arbitraire depuis le premier instant où il a été détenu sans ordonnance du tribunal et sans se conformer à la procédure légale. Comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'une procédure entachée d'illégalité et qui résulte d'un complot entre le procureur national et le pouvoir judiciaire. Aujourd'hui, il n'y a plus d'état de droit mais un système judiciaire axé sur les pouvoirs économiques et la politique dictée par Fujimori. La mesure conservatoire de privation de liberté est un fait en soi, un acte considéré comme un préjugement, sans présentation d'actes concluants par le ministère public, en contradiction avec la jurisprudence de la Cour interaméricaine et du Groupe de travail sur les détentions arbitraires du ONU.
Son incarcération a provoqué une très forte réaction populaire avec de nombreuses manifestations, beaucoup de violences et des dizaines de morts. Pourquoi ces violences ? Que pensez-vous de cette situation ? Que dites-vous aux personnes qui vous soutiennent : comment réduire le niveau de violence ?
Le soutien du peuple au président Castillo est significatif et authentique. Le peuple exige sa libération. Comme je l'ai déjà dit, le congrès bénéficie d'un taux de désapprobation de plus de 85% de la population. En d'autres termes, il n'a pas de soutien populaire. Évidemment, le président m'a dit qu'il était préoccupé par la répression contre les manifestations. Il y a des infiltrés qui ont créé le chaos. Le président rejette toute violence, la voie doit être démocratique et pacifique, et sans répression dans les rues. En fait, la majorité des personnes réprimées sont nos frères indigènes, les communautés rurales et paysannes, historiquement marginalisées, discriminées et criminalisées en tant que terroristes grâce à une campagne organisée pour stigmatiser les manifestations et souvent pour procéder à des exécutions sommaires (56 morts à ce jour, nda).
Y a-t-il aussi une forte réaction de pays amis comme l'Argentine, la Bolivie ou le Mexique ? Attendez-vous le soutien d'autres pays d'Amérique latine ? De l'Organisation des Etats américains ? Quel rôle celle-ci a-t-elle joué ?
Les présidents Manuel Lopez Obrador, Luis Arce, Alberto Fernandez, Gustavo Petro et les pays de l'ALBA (les neuf pays membres de l'Alliance bolivarienne, nda) ont publié un communiqué de pour dénoncer le coup d'Etat. De son côté, le président Castillo a envoyé une lettre pour convoquer la CELAC et discuter de la question lors de sa prochaine session. Nous espérons que la condamnation du coup d'État et la détention arbitraire du président constitutionnel auront pu être mises à l'ordre du jour (la session a eu lieu les 23 et 24 janvier sans résultat connu au moment où nous rédigeons, nda). M. Castillo est kidnappé par la dictature de Boluarte et les forces armées.
En ce qui concerne l'OEA, le président avait demandé en octobre et novembre 2022 qu'une mission se rende dans le pays. Malheureusement, c'est une organisation dirigée par M. Luis Almagro, qui a soutenu les processus de déstabilisation dans la région, comme le coup d'État contre le président Evo Morales en 2019. La partialité de l'OEA est telle que le jour même où mon mandant, l'ONG Red Nacional de Derechos Humanos, a été emprisonné, la Commission interaméricaine (CIDH) a demandé des mesures très, très prudentes pour garantir les droits humains et cesser la détention arbitraire de M. Castillo.
Mais après plus de 45 jours, cet organe est resté silencieux alors que les droits de l'homme de mon client continuent d'être violés. Le 21 décembre, à l'occasion de la visite technique de la CIDH au Pérou, au lieu d'insister auprès des médias pour qu'ils les accompagnent dans leur visite au président, ils se sont rendus au centre de détention de Barbadillo à sept heures du matin sans ma présence en qualité d'avocat, au prétexte que mon client leur aurait indiqué que je serais averti si la visite avait lieu.
Le rapport préliminaire de la CIDH ne mentionne pas la détention arbitraire de mon client, ni l'interdiction de s'adresser aux médias. Le rôle que joue cet organe est honteux. Cependant, nous continuerons d'insister jusqu'à ce que justice soit faite. Je suis convaincu que le coup d'État au Pérou répond à une stratégie du Commandement Sud (SouthCom)et du Département d'État états-unien visant à réactiver le plan Condor, renforcé par de nouvelles stratégies pour déstabiliser les gouvernements progressistes et pour s'emparer des ressources naturelles de la région.
Le coup d'État contre Evo Morales en 2019, le siège que subit le président bolivien Luis Arce par des groupes fascistes, la tentative de coup d'État au Brésil et les tentatives de discrédit politique contre la camarade Cristina Fernández de Kirchner en Argentine ne sont pas des coïncidences. Ces nouveaux processus de déstabilisation s'accompagnent non seulement de l'aide des forces armées mais aussi des mesures coercitives des pouvoirs judiciaires et de coups d'État parlementaires sous l'influence des partis politiques d'extrême droite, partis qui reçoivent des financements de l'USAID.
Qu'attendez-vous du public et des États européens et nord-américains ? Du Conseil des droits de l'homme à Genève ? Que peut faire la Suisse, qui héberge le Conseil des Droits de l'Homme à Genève ?
Mon client attend que justice soit faite et qu'on lui rende sa liberté. Les crimes qui lui sont imputés sont politiques et résultent d'un processus judiciaire biaisé en faveur du Congrès et de l'usurpatrice Dina Boluarte. Nous attendons davantage de solidarité avec le Pérou de la part de la communauté internationale. Il ne suffit pas de dénoncer les réseaux, il faut agir et exiger que les gouvernements condamnent la dictature actuelle et les violations des droits de l'homme et fassent libérer le Président Castillo.
L'Europe doit arrêter la vente d'armes et de matériel répressif à la dictature actuelle. Ce matériel est utilisé contre la population civile. L'Espagne est le principal fournisseur et ces armes sont utilisées par l'armée et la police contre les manifestations.
En ce qui concerne le Conseil des droits de l'homme des Nations unies (CDH), le président, après son arrestation, a envoyé une lettre à cet organe qui était présidé par l'Argentine. Je l'ai apportée à l'ambassade d'Argentine à Lima et nous l'avons envoyée par courrier électronique à la mission accréditée à Genève. Malheureusement la demande n'a pas été traitée et nous n'en connaissons pas les raisons. Dans cette lettre, le Président a demandé la convocation d'une session urgente du CDH pour discuter de la situation au Pérou et approuver une mission internationale pour la détermination des faits concernant la violation des droits de l'homme. Ce mécanisme est sous l'autorité du CDH. Nous sommes conscients que le bureau de Boluarte travaille avec la Mission à Genève afin que ce processus n'avance pas. (Il s'agit des Organes d'établissement des faits du HCDH mandatés par le Conseil des droits de l'homme (ohchr.org).
Du 18 au 20 janvier, une mission du Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH) basée à Genève s'est rendue au Pérou. Le président a publié sur son compte Twitter et relayé par différents médias une lettre demandant que cette équipe du HCDH lui rende visite. Mais ils ont ignoré la demande. Il est inquiétant de constater que la mission de l'ONU dirigée par M. Cristian Salazar, procède avec sélectivité, contredisant la charte de l'ONU et ne répondant pas à la demande du président Castillo demandant qu'on lui rende visite en prison.
Le 26 janvier prochain, le Pérou doit être soumis à l'Examen Périodique Universel, durant lequel le CDH procède à une évaluation générale de la situation du pays et de ses progrès dans le domaine des droits de l'homme. Nous demandons que les Etats élèvent la voix et dénoncent la violation des droits de l'homme au Pérou et l'enlèvement du Président Castillo. Le CDH ne peut pas cohabiter avec des gouvernements terroristes comme celui de Dina Boluarte.
De cette évaluation devrait découler une résolution du Conseil des droits de l'homme condamnant la violation des droits de l'homme et l'approbation d'une mission internationale d'enquête. Je le répète, le lobbying exercé par la mission péruvienne à Genève, avec les principaux alliés de la dictature, bloque toute résolution condamnant les crimes contre l'humanité du gouvernement de facto.
Par ordre du Président, nous avons créé le Comité pour la libération du Président Pedro Castillo Terrones, afin de présenter son cas dans les instances nationales et internationales pour sa libération. Cette organisation est coordonnée par le député Pasión Davila avec le soutien de plusieurs personnes qui ont soutenu le Président Castillo.
Concernant la Suisse, il est inquiétant que le conseiller fédéral suisse des affaires étrangères, Ignazio Cassis, ait rencontré à Davos le chancelier du gouvernement péruvien de facto, légitimant ainsi un gouvernement qui contredit la tradition démocratique suisse. La société suisse est un exemple de démocratie avancée et je pense que les citoyens suisses ne seraient pas heureux que leur gouvernement reconnaisse et soutienne un gouvernement impliqué dans des crimes contre l'humanité.
La Suisse entretient des relations étroites avec le Pérou, plus étroites que beaucoup ne l'imaginent, son principal intérêt étant le secteur minier. Selon la presse, ces dernières années, les raffineries d'or suisses ont eu comme fournisseurs importants des entreprises péruviennes telles que Minersur, Minera Laytaruma, La Arena, Compañia Minera Caraveli, Minera Confianza, Tulin Gold, Minera IRL, Comercializadora Tambo Real, entre autres.
Je voudrais citer le célèbre chercheur suisse Mark Pieth dont le nouveau livre « Laundering Gold » met en évidence la manière dont les sociétés susmentionnées opèrent dans l'achat d'or dans le monde entier.
Dans ce sens, notre appel à la société suisse est d'exiger que son gouvernement ait une attitude plus cohérente envers la démocratie et les droits de l'homme. Il est encore temps de renverser la politique étrangère erronée de soutien à la dictature de Boluarte. La Suisse est membre du Conseil de sécurité. Elle a commencé son mandat cette année et peut soumettre une demande d'enquête internationale sur les violations des droits de l'Homme. Elle devrait être intéressée non seulement par l'or du Pérou, mais aussi par les mauvais traitements infligés à son peuple.
Selon vous, quelles sont les mesures les plus urgentes pour rétablir une démocratie effective au Pérou ? Et comment lutter pour réduire les immenses inégalités qui minent la société péruvienne (et latino-américaine) et provoquent des violences sociales et politiques ?
Dans son programme de campagne électorale, le président Castillo a proposé, en cas de victoire, de convoquer une constituante au Pérou pour refonder l'État, en suivant un processus démocratique et participatif. La constitution actuelle, comme on l'a vu, est le fruit de la dictature de Fujimori en 1992. C'est une constitution qui limite les actions de l'État et ne garantit pas l'État de droit ni la répartition équitable des richesses dans le pays. C'est une constitution néolibérale qui protège les oligopoles et le petit groupe qui s'est historiquement enrichi au Pérou. Le peuple appelle à une nouvelle constitution. On peut entendre cet appel dans les rues ou sur les réseaux sociaux. Mais malheureusement les patrons des médias au Pérou ne l'écoutent pas car ils obéissent aux intérêts de la dictature.
Le principal instrument juridique et social est la Constitution, qui est un pacte social, qui recueille le sentiment, la définition et l'identité du peuple. La droite péruvienne s'est consacrée à semer la peur en disant que l'assemblée constituante est un processus communiste ou résultant d'un système oppressif. Ce n'est pas ça. En fait, le fujimorisme a peur de la participation de la population aux prises de décision et au pouvoir de l'État, de reconnaître des droits qui ont été historiquement niés, comme ceux des communautés indigènes qui, selon le recensement de la population de 2017, comptent plus de 5 771 885 personnes (sur 34 millions d'habitants, nda).
A ce propos, la Suisse est un bon modèle, avec son système de participation populaire aux prises de décision. Le peuple est fréquemment consulté, pour le budget et les politiques publiques. C'est un élément que l'on cherche à intégrer à travers l'Assemblée constituante. Le régime qui gouverne aujourd'hui le Pérou craint les élections et la volonté populaire et c'est pourquoi il réforme expressément la constitution sans la soumettre au vote, en ajustant le texte constitutionnel à sa convenance, au mépris du droit.
Les ressources naturelles sont pillées par l'industrie minière en toute impunité. Le président Castillo aurait dû signer le renouvellement de plus de cinquante grandes concessions minières et zones stratégiques, alors qu'il souhaitait une plus grande régulation de ce secteur et avait stoppé le processus de renouvellement dans l'espoir d'ajuster les contrats et de soumettre ce secteur à une plus grande tutelle de l'État et à des ajustements fiscaux qui profitent au développement des collectivités locales. Ce secteur n'aimait pas ça et a conspiré financièrement pour le renverser. (Voir « Pedro Castillo affirme qu'il obligera les sociétés minières à renégocier les contrats et que, si elles ne le veulent pas, « d'autres viendront » - Energiminas. » et « Pedro Castillo affirme que les États-Unis sont à l'origine de l'utilisation de l'armée lors des manifestations au Pérou - 16.12.2022, Sputnik Mundo (sputniknews.lat). »
Le Congrès ouvrirait la voie à la paix et au dialogue en répondant aux demandes du peuples. Celles-ci sont au nombre de quatre, d'égale importance, à savoir la démission de Dina Boluarte ; l'élection d'un nouveau bureau du Congrès ; la convocation d'une Assemblée Constituante et la libération du président Castillo.
Durant la phase intermédiaire, un gouvernement de transition serait formé avec la participation du président Castillo.
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