L’intervention télévisée d’Angela Merkel sur le coronavirus : cynisme et aucune autocritique (Allemagne)
- 25 Mar 2020
C’est devenu un rituel : on remercie les médecins et le personnel soignant, qui se sacrifient de manière désintéressée, par des paroles chaleureuses et une overdose de pathos. Comme c’est humain, comme c’est bienveillant. Merci, Madame la Chancelière. C’est seulement idiot que les conditions catastrophiques dans les services des hôpitaux, ratiboisés par les coupes budgétaires, ne se laissent pas améliorer par des messages de remerciement bon marché de la chancelière. Le message vidéo sur le Corona d’Angela Merkel, porté aux nues par les médias, était donc, avant tout, extrêmement cynique. Quelqu’un qui, dans un premier temps, privatise le système de santé, le rogne pour en tirer des bénéfices et le saigne à blanc, puis, dans l’urgence qui vient de se présenter, remercie simplement et gentiment les victimes de cette politique sans annoncer en même temps des améliorations concrètes et une correction de la mauvaise politique, ne mérite pas d’éloges mais des critiques ! Commentaire de Jens Berger.
« Flattening the curve », c’est-à-dire aplatir la courbe des coronisés, est la devise de l’heure. Pour que le concept – qui n’est pas incontesté – fonctionne, le nombre de patients à traiter à un moment donné doit être inférieur à la capacité maximale du système de soins de santé. C’est évident. Cependant, on oublie souvent que la capacité du système de soins de santé n’est pas une quantité tombée du ciel, mais qu’elle a été principalement créée politiquement.
Pendant des décennies, la politique néolibérale a rogné le système de santé à mort. Il y a dix ans encore, on écrivait encore des lettres incendiaires et on faisait de sombres prédictions sur les effets négatifs que la politique de privatisation aurait sur la capacité du système de santé. Rien ne s’est passé ! Les politiciens qui s’inclinent maintenant, avec un respect feint, devant le personnel infirmier ont ignoré tous les avertissements et, par leur politique, ont aggravé la situation année après année.
Les médecins et les infirmières ne sont pas altruistes ! Je le sais, après tout, je suis moi-même marié à l’une d’entre eux. Et s’il y a une chose que les travailleurs de la santé ne peuvent plus entendre, ce sont les paroles creuses de remerciement des politichiens. Les médecins et les infirmières ne veulent pas de mots chaleureux, mais de meilleures conditions de travail, un personnel plus nombreux et aussi – mais en aucun cas en premier lieu – une rémunération plus juste. Le « Merci du fond du cœur » d’Angela Merkel n’est pas d’une grande aide ici, surtout en ce qui concerne la vague de corona qui monte à l’assaut des hôpitaux. Les mots chaleureux ne peuvent remplacer les masques de protection et certainement pas les tests du personnel hospitalier, qui de facto n’ont pas encore eu lieu à grande échelle.
Mais il ne s’agit même pas « seulement » du personnel des hôpitaux désormais si importants. Lorsque dans les semaines à venir, de plus en plus de patients âgés souffrant de problèmes respiratoires seront admis dans les hôpitaux, il y aura non seulement un manque de personnel, mais aussi un manque massif d’équipements et de lits. Le nombre de lits d’hôpitaux allemands est en baisse depuis les années 1960 et, il y a quelques mois à peine, des « experts » voulaient nous convaincre que 1 000 autres hôpitaux allemands sur les 1 600 actuellement en service devraient fermer leurs portes parce qu’ils ne généraient pas les profits nécessaires.
Si la chancelière avait voulu faire un très grand discours hier, elle aurait présenté ses excuses pour les erreurs du passé et aurait clairement déclaré que la privatisation du système de santé était une erreur. Si Mme Merkel avait vraiment compris, elle aurait qualifié la pandémie de coup de semonce pour une nécessaire remise en question. Elle aurait dit que l’on pouvait cependant apprendre de ses erreurs et travailler concrètement pour changer de cap le plus rapidement possible. D’ailleurs, en Espagne, les hôpitaux privés ont été temporairement « nationalisés de force » en début de semaine. Donc ça marche. Et enfin, la chancelière aurait probablement terminé son grand discours par quelques phrases qui auraient esquissé une autre vision d’un système de santé solidaire et efficace après la crise du corona. Kennedy a annoncé en 1962 qu’au cours de la décennie, un Américain s’envolerait vers la lune. Merkel aurait pu annoncer hier que l’état de pénurie des soins quotidiens dans les hôpitaux allemands serait surmonté avant la fin de cette décennie. Ce serait un objectif tangible, aussi et surtout à l’époque du corona.
Mais je n’ai rien entendu de tout cela dans son discours. Autocritique ? Rien ! Capacité à apprendre de ses erreurs ? Rien ! Des mesures concrètes ? Rien. Et les médias ? Ils sont littéralement hors d’eux d’enthousiasme : Chancelière, nous te suivons ! Tout le monde dit amen. C’est à désespérer.
Source: Tlaxcala
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