Le travail des enquêteurs a fait l’objet, durant ces dernières quarante-huit heures, de multiples et nouvelles révélations dans les médias turcs. Relayées par le Washington Post, elles plombent davantage le climat qui s’alourdit de nuages de plus en plus sombres dans le ciel saoudien.
Tout en se confinant au silence le plus affirmé, l’Arabie saoudite tente de faire face aux évènements suscités par la disparition «mystérieuse» du journaliste Jamal Khasshoggi en envoyant une délégation en Turquie. Celle-ci est arrivée hier à Ankara, selon l’agence Anadolu, au moment où le gouvernement saoudien est accablé par les déclarations des capitales occidentales qui lui sont les plus favorables, avec à leur tête Washington, Londres et Paris.
Les émissaires de Riyadh ont eu des entretiens avec leurs homologues turcs au cours desquels ils ont travaillé sur les dernières révélations de l’enquête qui confortent l’hypothèse de l’assassinat dans les locaux du consulat saoudien.
Ibrahim Kalin, le porte-parole de la présidence turque, avait évoqué, dès jeudi soir, la constitution d’un groupe de travail conjoint pour aplanir les difficultés apparues dans la mise en oeuvre d’une inspection des locaux diplomatiques saoudiens. Acceptée par l’Arabie saoudite, cette inspection doit être strictement «visuelle» d’après Riyadh alors que le président Recep Tayyip Erdogan veut que les enquêteurs accomplissent leur tâche «pleinement» afin d’établir la vérité sur le sort de Jamal Khasshoggi, disparu depuis le 2 octobre dernier après avoir pénétré dans l’enceinte consulaire, à Istanbul.
Or, le travail des enquêteurs a fait l’objet durant ces dernières quarante-huit heures de multiples révélations dans les médias turcs, alors même que la fouille exigée par Ankara n’a toujours pas eu lieu. Relayées par le Washington Post, ces révélations plombent davantage le climat qui s’alourdit de sombres nuages dans le ciel saoudien.
Les tractations entre turcs et saoudiens hier ont porté sur le rejet par Ankara de la condition posée par Riyadh avant d’autoriser la fouille du consulat et les uns et les autres sont à la recherche d’un compromis, selon le journal turc Sabah. De leur côté, les quotidiens Sözcü et Milliyet ont indiqué hier que Jamal Khashoggi portait, en entrant dans le consulat, une «montre intelligente» connectée à un téléphone, laissé aux mains de sa fiancée, Hatice Cengiz. C’est ce qui aurait permis la transmission et l’enregistrement vidéo grâce auxquels les premiers indices du sort du journaliste sont aujourd’hui l’objet d’un examen minutieux par la justice turque. Toujours est-il que Milliyet évoque des cris et une altercation obtenus grâce à cette montre alors que Sözcu, pour sa part, parle de dialogues d’une courte durée.
Le Royaume saoudien n’aura jamais vécu une situation aussi difficile, plusieurs de ses alliés occidentaux ayant haussé le ton depuis deux jours alors que le Royaume-Uni a déjà menacé de «lourdes conséquences». Plus affectée par cette affaire, la Maison-Blanche parle d’un entretien avec le prince héritier, Mohamed Ben Salmane, mais exclut toute mesure de représailles affectant la «coopération» militaire.
Les dirigeants saoudiens se sont en outre murés dans un silence de plomb, se contentant de répondre à la Turquie que les caméras du consulat étaient «en panne» au cours de «l’incident» relatif à l’entrée puis à la disparition de Jamal Khasshoggi. Une explication accueillie par le président Erdogan avec beaucoup de scepticisme. L’Arabie saoudite a les systèmes de vidéosurveillance «les plus avancés. Si un moustique sort, leurs systèmes de caméras vont l’intercepter», a-t-il ainsi ironisé. Quant à elle, la porte-parole de la diplomatie américaine Heather Nauert, tout en faisant part de «l’extrême préoccupation» aux «plus hauts niveaux» du gouvernement, se contente d’appeler à se méfier des «rumeurs» et «spéculations» autour de cette affaire.
Le président Trump qui l’a qualifiée de «précédent terrible», rejetant catégoriquement l’idée de mettre fin à un contrat d’achat d’armes de 110 milliards de dollars et de pousser ainsi les Saoudiens à «se tourner vers la Russie ou la Chine», a assuré que des enquêteurs américains travaillent aux côtés des turcs et des saoudiens. Et «si cela s’avère finalement aussi mauvais que cela semble en avoir l’air, il y a certainement d’autres moyens de gérer la situation», a-t-il considéré. Attitude qui risque fort de se heurter au choix du Congrès, particulièrement sourcilleux à l’égard de l’Arabie saoudite et dont le veto peut réduire à néant le contrat évoqué.
On comprend pourquoi le Washington Post, journal pour lequel travaillait, entre autres médias, Jamal Khasshoggi, a affirmé hier que les services de renseignements américains étaient au courant du «piège» dans lequel le prince héritier Mohamed Ben Salmane voulait attirer le journaliste, une assertion promptement démentie par le département d’Etat.
Enfin, il est significatif que les réseaux sociaux qui se sont déchaînés autour de l’affaire Khasshoggi, les pro saoudiens accusant pêle-mêle le Qatar, la Turquie, les Frères musulmans et même la fiancée turque du journaliste de chercher à «discréditer le royaume», ont conforté le quotidien turc Sabah lorsqu’il avait publié les noms, l’âge et les photographies de 15 hommes dépêchés par Riyadh, en identifiant des officiers des services de sécurité ou des proches du prince héritier.
Celui-ci peut cependant compter sur la bonne nouvelle que lui a envoyée indirectement, hier, le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, «inquiet à propos du statut de M. Khashoggi» mais qui n’en sera pas moins «présent au sommet Future Investment Initiative, également appelé le «Davos du désert», du 23 au 25 octobre à Riyadh, au moment où bon nombre d’invités officiels et autres ont déjà pris leur distance.