jeudi 1 février 2018

Bushra Khaliq, CADTM Pakistan : « Le gouvernement est résolu à faire porter le fardeau de la situation financière sur les plus pauvres »

31 janvier par Robin Delobel , Bushra Khaliq source :Cadtm
Disrtict Rajan Pur- Punjab (Photo : Bushra Khaliq)
Nous avons profité de l’École écosocialiste de l’IIRE à Amsterdam pour poser quelques questions à Bushra Khaliq, militante féministe membre du CADTM depuis de nombreuses années. Quelques réponses éclairantes sur ce pays à l’histoire mouvementée qui compte près de 200 millions d’habitants et est entouré par l’Iran, l’Afghanistan, la Chine, l’Inde et la mer d’Arabie.
Le Pakistan parait actuellement être embourbé dans une crise politique. Quelle est l’ampleur de cette crise ?
Pour comprendre la crise au Pakistan, nous devons garder à l’esprit l’histoire politique compliquée du pays. En réalité, la situation politique du Pakistan est instable depuis son indépendance en 1947. Même si les forces politiques en présence ont fait des efforts, durant les 70 dernières années, pour guider le pays vers la démocratie, l’establishement militaire a empêché toute mise en place d’institutions démocratique fortes. En effet, les régimes militaires ont directement exercé le pouvoir pendant trente-deux années au total depuis 1947, et durant le reste du temps contrôlaient les gouvernements civils. En conséquence, durant les trois dernières décennies, les partis progressistes et démocratiques ont été marginalisés, tandis que la droite et les groupes religieux extrémistes se sont renforcés.
La crise actuelle peut être perçue comme une partie intégrante de cette histoire démocratique fragmentée. Certains des politiciens corrompus ont aussi porté préjudice au processus démocratique. La crise la plus récente a eu lieu en 2016, quand on a découvert l’implication de l’ex-premier ministre Nawaz Sharif et de sa famille dans les Panama papers. L’opposition, menée par Imran Khan, a demandé sa démission et l’a poursuivi en justice. La Cour Suprême l’a condamné et destitué. Nawaz Sharif doit maintenant comparaître devant la Cour des comptes. Son parti, le PML-N, même s’il gouverne toujours, a quand même perdu en légitimité et son contrôle sur l’État est affaibli.
Pendant ce temps, les partis d’opposition, particulièrement le PTI d’Imran Khan, réclament la tenue d’élections anticipées. D’un autre côté, les groupes islamistes ont aussi manifesté contre le gouvernement, et ont obtenu qu’il accède à leurs demandes : le ministre de la justice a démissionné en échange de l’arrêt des manifestations, qui ont paralysé Karachi et d’autres villes pendant plusieurs semaines. Cet accord a largement été perçu comme une capitulation du gouvernement face aux groupes extrémistes, qui sont de plus en plus populaires au Pakistan.
Il y a donc une crise grave dans la gouvernance du pays. Le gouvernement PLM-N et son chef destitué Nawaz Sharaf blâment l’armée et la justice pour la récente débâcle. Ils prétendent avoir été injustement ciblés et que la transparence demandée par ces institutions est sélective. Mais il y a une réelle demande de transparence politique par le peuple pakistanais.

Où en est la dette au Pakistan ? Les médias parlent du Pakistan comme le bon élève duFMI
La dette publique du Pakistan en est à un stade incertain. Le rapport le plus récent du FMI montre que la dette extérieure du pays était de $79.2 milliards en juin 2017, contre $60.9 milliards quand le PML-N est arrivé au pouvoir il y a 4 ans. $35 milliards de dollars de prêts se sont rajoutés à cette somme durant les quatre dernières années, ce qui est une somme astronomique quand on considère que le ratio de la dette au PIB a augmenté de 70% et que le ratio du remboursement de la dette aux revenus de l’État est de 47%. Les réserves nettes de la Banque Nationale du Pakistan ont chuté de $12.5 milliards, ce qui est insuffisant pour payer les factures des importations des trois derniers mois. Le dernier rapport du FMI signale clairement que si jamais les investisseurs privés des banques commerciales demandent leur agent, le gouvernement ne pourra pas payer.
Les réserves en devise étrangères du Pakistan décroissent d’un milliard de dollars tous les mois et le gouvernement n’a pas levé assez de taxes ni élargi l’assiette fiscale pour couvrir les dépenses. L’État emprunte à droite et à gauche via l’émission d’obligations ou des emprunts aux banques locales. C’est de la folie. De plus, le gouvernement est résolu à faire porter le fardeau de la situation financière sur les plus pauvres en les surchargeant de taxes indirectes. Si cela continue ainsi, tôt ou tard, le gouvernement va devoir demander l’aide du FMI. Mais à ce moment, ce sera déjà trop tard, car le pays se sera enfoncé dans un véritable bourbier financier.

Quelles sont les impacts déjà visibles du dérèglement climatique au Pakistan ? Et quels sont les risques pour le futur ?
Le changement climatique transforme rapidement le Pakistan, causant des phénomènes climatiques anormaux et aggravant les conséquences déjà lourdes des catastrophes naturelles. Le pays a beaucoup souffert récemment, subissant un tremblement de terre en 2005 et des inondations terribles en 2010. Selon l’index climatique de 2017, le Pakistan est le septième pays le plus affecté par le dérèglement climatique, qui frappe directement l’agriculture, causant un exode rural important.
Durant les dernières décennies, le niveau des précipitations durant la mousson ou l’abondance des chutes de neiges ont été affectés par la hausse des températures. La mousson arrive plus tard dans l’année, tandis que les pluies hivernales n’arrivent qu’en février ou mars. La neige tombait habituellement de novembre à fin décembre, mais cette période froide s’étend maintenant jusqu’en mars. Ce dérèglement cause de grandes sécheresses et de mauvaises récoltes.
En 2015, les vagues de chaleur à Karachi ont fait plusieurs centaines de victimes. Ces dernières années, les sécheresses dans le désert de Tharparker ont causé la mort d’enfants et provoqués des exodes massifs. De la même manière, les populations du delta de l’Indus, particulièrement les communautés de pêcheurs, ont aussi dû se réfugier vers l’intérieur des terres à cause d’inondations salines et de chutes de pluie excessives. Une autre conséquence du dérèglement climatique a émergé récemment : le smog, un mélange de brouillard et de pollution qui affecte particulièrement les zones urbaines du Punjab. Ce smog cause de graves risques de santé pour les habitants des villes.
Tout ceci fait que le changement climatique pose un risque majeur pour le Pakistan, qui devra sans doute subir de nouvelles inondations et sécheresses, davantage de pauvreté et d’insécurité alimentaire, et un exode rural accru. Ces facteurs pourraient mener à de nouvelles crises politiques et à une remise en cause de la loi et l’ordre public, etc.
C’est la responsabilité de l’État d’implémenter une politique nationale de lutte contre le dérèglement climatique, pour sensibiliser le public et s’assurer que les secteurs vulnérables de l’économie, comme l’agriculture et la distribution de l’eau, soient protégés. Dans le même temps, le gouvernement doit s’attaquer au problème des réfugiés climatiques.

Peux-tu expliquer en quoi les femmes sont davantage affectées par les conséquences du changement climatique ?
Le dérèglement climatique a un énorme impact sur les communautés les plus pauvres du Pakistan, particulièrement celles qui dépendent des ressources naturelles du pays. L’agriculture est le secteur où le travail des femmes est le plus important. Elles sont à la fois impliquées dans l’ensemencement, le désherbage, la récolte, la fertilisation au fumier et la traite des vaches ou la culture des légumes. L’agriculture est donc un moyen de subsistance crucial pour la majorité des femmes des campagnes.
Puisque le changement climatique affecte l’agriculture, il appauvrit les femmes et leurs familles. Comme une vaste majorité des femmes au Pakistan vivent de l’agriculture, elles perdent à la fois leur travail et leurs moyens de réagir et de se remettre sur pied après une catastrophe. Les tâches domestiques, comme la récolte de bois de chauffage ou d’eau potable, deviennent plus difficiles et demandent plus de temps. Puisque les filles aident traditionnellement leur mère à s’occuper du foyer, elles ont moins de temps pour étudier ou s’adonner à d’autres activités générant des rémunérations. 
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Ms. Kaneez, the effected woman
Bushra Khaliq, district Muzaffer Garh Punjab
Les environnementalistes Pakistanais estiment que 70% des pauvres, les plus vulnérables au changement climatique, sont des femmes. Les femmes souffrent donc de manière disproportionnée du dérèglement. Ce phénomène a déjà pu être observé par le passé, quand des milliers de familles pauvres ont dû fuir la sécheresse du Tharparker-Sindh et du Balochistan, la province la moins développée du Pakistan. Les femmes et les enfants sont ceux qui ont le plus souffert de la situation.
Deuxièmement, les femmes ont un rôle limité dans la vie publique au Pakistan et ont bien moins d’alternatives ou d’opportunités économiques que les hommes. Une vaste majorité d’entre elles sont illettrées, ne savent rien de leurs droits et manquent d’information en général. À l’échelle locale, les paysannes ne croient pas à l’existence d’institutions qui puissent les éduquer sur le dérèglement climatique et les aider à adapter leurs modes de culture.
Troisièmement, même si les autorités ont admis qu’il était important de prendre en compte les problématiques du genre dans les politiques sur le dérèglement climatique, elles ont encore oublié de lier les paroles aux actes. Et le rôle important joué par les femmes dans l’agriculture est largement ignoré quand il s’agit de planifier et repartir les ressources.
Traduction Alice Jetin Duceux

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