116 – À l’Est de la Turquie, « les populations sont abandonnées à leur propre mort »
Le gouvernement turc poursuit depuis dix jours des « opérations spéciales » contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), dans le sud-est du pays à majorité kurde.
24/12/15 – 08 H 44 – Mis à jour le 24/12/15 – 09 H 33 via : Sana à priori
Avec cet article
Dans certaines villes sous couvre-feu et sous blocus des forces de l’ordre, le bilan des victimes civiles est très lourd.
L’ONG Human Rights Watch a publié un rapport sévère sur « l’usage disproportionné de la force » par les autorités d’Ankara.
Ce sont des scènes de guerre à l’Est de la Turquie comme il n’y en avait pas eu depuis la rupture du cessez-le-feu, en août 2015, entre les autorités turques et le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ces images sont désormais diffusées dans certains médias turcs et sur les réseaux sociaux.
Dans le district de Sirnak, à quelques pas des frontières irakiennes et syriennes, les villes de Cizre et Silopi, considérées comme des bastions du PKK, sont depuis début décembre sous couvre-feu et sous blocus de l’armée, tout comme la ville de Nusaybin et le quartier historique de Sur, dans la grande ville à majorité kurde de Diyarbakir.
Depuis août, plus de quarante couvre-feux ont ainsi été imposés dans une vingtaine de villes, parfois pour quelques heures, souvent pour plusieurs jours.
Une violence inouïe
Dans certaines de ces zones, les Kurdes avaient mis en place des « comités d’autogestion », revendiquant l’autonomie sur leur territoire. Inacceptable pour Ankara, qui a relancé les opérations « antiterroristes » contre le PKK, avec une violence inouïe.
Selon l’armée, plus de 120 rebelles auraient été tués depuis le début des dernières opérations. Appuyés par des armes lourdes et des véhicules blindés, plus de 10 000 militaires et policiers sont mobilisés.
Au total, plus de 200 d’entre eux auraient déjà été tués depuis cet été dans des accrochages ou des embuscades. Car dans des quartiers, des milices, constituées souvent de très jeunes gens, ont érigé des barricades et creusé des tranchées pour ralentir l’avancée des policiers et des militaires.
« Vous serez anéantis dans les tranchées que vous avez creusées »
Le vice-premier ministre turc, Yalcin Akdogan, a assuré mercredi 23 décembre que les opérations se poursuivraient « jusqu’au retour de l’ordre public ». Le président Recep Tayyip Erdogan a menacé ce week-end : « vous serez anéantis dans les tranchées que vous avez creusées. »
Dans ce contexte de guerre civile, au moins 200 000 personnes auraient fui les zones de combat, selon les ONG locales. L’organisation Human Rights Watch a publié mardi 22 décembre un rapport qui demande aux autorités turques de cesser « l’usage excessif et disproportionné de la force et de mener une enquête sur les morts et les blessures causées par ces opérations ».
Joint par téléphone dans la ville sous blocus de Cizre, l’avocat Nusirevan Elçi, président du barreau deSirnak, explique que « les gens sont abandonnés à leur propre mort. Nous ne pouvons même pas emmener nos blessés à l’hôpital. Les forces de l’ordre tirent à l’artillerie et à l’arme automatique en permanence. »
> Lire aussi : Quelle est la stratégie d’Erdogan vis-à-vis des Kurdes ?
L’arrivée de la Russie dans la stratégie géopolitique
Et de raconter qu’« il n’y a plus d’eau, et lorsqu’un point de distribution d’eau potable a été mis en place, on a tiré sur un jeune homme qui s’y rendait, il a perdu son bras. Une ou deux épiceries seraient encore ouvertes, mais personne n’ose y aller. Tout le monde a peur, mais nous sommes bloqués ici. »
Le gouvernement turc semble déterminé à briser le PKK en utilisant la force, une méthode qui n’avait pourtant pas porté ses fruits lors du terrible conflit des années 1990, qui avait fait plus de 40 000 victimes.
Un jeu dangereux pour Ankara dans un moment particulièrement compliqué : dans la Syrie voisine, le Parti de l’Union démocratique (PYD), considéré par la Turquie comme intrinsèquement lié au PKK, étend son pouvoir dans les zones kurdes sous son contrôle.
> (Re)lire aussi : La Turquie intensifie son offensive contre Daech et le PKK
Et même la Russie, dont les relations avec Ankara sont glaciales depuis que l’armée turque a abattu un bombardier à la frontière syrienne, pourrait y mettre son grain de sel : mercredi 23 décembre, le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov recevait à Moscou Selahattin Demirtas, leader du HDP, le Parti démocratique des peuples, parti pro-kurde de gauche et troisième formation politique représentée au Parlement d’Ankara.
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Plus d’espoirs de paix entre les Kurdes et Ankara
De 1984 à 2012 : L’insurrection à l’est de la Turquie des Kurdes qui réclament leur indépendance, contre le gouvernement d’Ankara, fait plus de 40 000 morts, des milliers de villages détruits et des millions de personnes déplacées.
2012 : À l’initiative du gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan, des pourparlers de paix démarrent avec le parti des travailleurs kurdes (PKK).
2013 : Conclusion d’une trêve.
Début 2015 : Abdullah Öcalan, le chef emprisonné du PKK appelle ses troupes à déposer les armes. Ankara commence timidement à évoquer la perspective d’une « paix définitive ».
20 juillet : Reprise des combats après un attentat contre des sympathisants kurdes. Erdogan, en difficulté électorale, affiche sa volonté « d’éradiquer » le PKK. Il gagne les élections législatives.
Alexandre Billette (correspondant à Istanbul)
24/12/15 – 08 H 44 – Mis à jour le 24/12/15 – 09 H 33
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