mardi 18 août 2015

La chute des cours du pétrole oblige les exportateurs à des révisions déchirantes

YVES BOURDILLON / JOURNALISTE | LE 17/08 À 20:02, MIS À JOUR LE 18/08 À 10:44
L’or noir a reculé de 60 % en treize mois, au niveau de 2009. Quasi aucun pays 
exportateur n’équilibre ses comptes.
Jusqu’où ne descendra-t-il pas ? Les dirigeants des pays exportateurs de pétrole 
scrutent avec angoisse chaque jour le prix de l’or noir. A 42,5 dollars, le baril de WTI 
est tombé lundi au plus bas depuis février 2009, au moment où la crise financière 
mondiale battait son plein. Une chute de 61 % en treize mois sous l’effet d’un 
déséquilibre flagrant de l’offre et de la demande pour cause de stagnation européenne, 
ralentissement chinois et hausse de la production saoudienne. Encore une poignée 
de dollars de recul et le baril serait ramené au niveau sévissant en 2004, certains 
analystes n’excluant plus que le baril s’approche des 30 dollars à la fin de l’année.
qui concentrent tout de même 85 % de l’humanité, elle affecte durement les pays 
exportateurs... et donc les secteurs des pays occidentaux tournés vers la fourniture 
de ces marchés.

Très en dessous du point mort budgétaire des exportateurs
Le prix du baril se situe désormais très en dessous du point mort budgétaire 
des exportateurs, le niveau qui leur permet d’équilibrer leurs comptes. 
« Tous les exportateurs sont en ce moment dans le rouge, hormis le Qatar 
et le Koweït », estime Francis Perrin, directeur de Stratégies et Politiques Energétiques. 
Un rouge parfois écarlate, puisqu’on estime, malgré l’opacité de certains Etats, 
que ce fameux point mort dépasse les 150 dollars au Venezuela (lire ci-dessous), 
les 110 dollars en Russie, le 80 dollars en Arabie saoudite, etc. En clair, chaque fois 
que Caracas vend 1 dollar de pétrole il devrait en emprunter 3.
« Les monarchies pétrolières du Golfe disposent des réserves leur permettant de 
faire le gros dos pendant quelques années », ajoute Francis Perrin. Les autres pays 
n’auront pas le choix et peuvent voir disparaître très rapidement leurs excédents 
des paiements courants sur lesquels est fondé leur modèle de développement. 
Sans compter qu’ils achètent généralement la paix sociale à coup de dépenses 
tirées des taxes et royalties sur l’or noir, comme l’Iran ou la Russie. 
« Les exportateurs fortement peuplés n’auront pas le choix et devront emprunter 
ou réduire leurs dépenses publiques, soit en sacrifiant leurs investissements, soit 
en sabrant dans les dépenses de fonctionnement, alors qu’ils ont parfois pris de 
mauvaises habitudes pendant les années de vaches grasses », ajoute Francis Perrin. 
Une piste d’économies : la réduction des coûteuses subventions aux carburants 
que pratiquent beaucoup de ces pays. La Russie, très peu endettée et dotée de 
deux (petits) fonds souverains, dispose d’une marge de manœuvre financière. 
Le Venezuela, lui, est la corde au cou.
Le développement de l’offshore profond et de l’industrie nord-américaine 
du schiste bloqué
Parallèlement, le cours du baril s’approche de deux autres « points morts », techniques 
ceux-là : celui à partir duquel les puits en activité fonctionnent à perte, ce qui est 
actuellement le cas de nombreux puits russes en raison de leurs coûts d’extraction 
élevés pour des raisons géologiques ou climatiques. Et celui où des projets 
de développement de nouveaux puits cessent d’être profitables. 
Le niveau actuel des cours devrait ainsi bloquer le développement de l’offshore 
profond et de l’industrie nord-américaine du schiste (même si ceux qui tablaient sur 
des faillites en chaîne dans ce secteur se sont lourdement trompés en raison de l’agilité 
des ingénieurs). Un coup d’arrêt qui serait l’objectif secondaire de l’Arabie saoudite, 
laquelle a déclenché la chute des cours il y a un an en augmentant sa production 
pour défendre, priorité des priorités, ses parts de marché.

=> LES CONSEQUENCES POUR LES PAYS PRODUCTEURS :

- Le Venezuela menacé de cataclysme économique
Un cas d’école. Le Venezuela illustre jusqu’à l’absurde les effets désastreux 
du « socialisme du XXIe siècle » du régime de feu Hugo Chavez, conjugués 
aux revers de la rente pétrolière. Assis sur les principales réserves d’or noir 
de la planète, en incluant les ressources non conventionnelles de l’Orénoque, 
ce qui ne l’empêche pas, paradoxalement, de subir de régulières coupures 
d’électricité, Caracas est frappé de plein fouet par la chute des cours. 
Le pays tire 96 % de ses revenus à l’exportation du pétrole, qui fournit 
les deux tiers des recettes de l’Etat. Le déficit budgétaire atteindrait 20 % du PIB. 
Lequel devrait reculer de 7 % cette année.
Conséquence de ce revers de fortune conjugué à une politique économique 
inspirant tout sauf la confiance des investisseurs, la devise est en chute libre
Sur le marché noir, le bolivar est tombé à 640 pour 1 euro, contre 400 il y 
a trois mois… et 15 il y a deux ans. Ce qui renchérit d’autant les produits importés, 
c’est-à-dire la quasi-totalité des produits consommés au Venezuela, puisque 
très peu d’industries locales ou d’exploitations agricoles ont survécu au modèle 
de développement instauré par le prédécesseur du président Nicolas Maduro.
Le pays est donc ravagé par la pire inflation de la planète, évaluée à plus de 100 % 
(ce chiffre est désormais interdit de publication, comme celui des homicides 
pour « atteinte au moral de la nation »). La chute des revenus pétroliers, 
qu’aggrave une baisse tendancielle de la production, à 2,8 millions de barils 
par jour (la plupart des compagnies occidentales capables de mener prospections 
et développements de puits ont été expulsées), menace aussi la solvabilité de l’Etat. 
Le coût d’assurance contre un défaut de paiement du Venezuela est le troisième 
plus élevé de la planète, derrière l’Argentine et le Pakistan. Nombre d’analystes 
disent s’attendre à une banqueroute début 2016, qui ne serait que la onzième de 
l’histoire du pays.
A cela s’ajoutent les pénuries chroniques dues au cycle infernal à 
l’œuvre depuis des années : expropriations pour punir les industriels accusés 
de spéculation, perte de confiance des opérateurs privés et baisse des investissements, 
aggravation des pénuries, etc. Des magasins sont régulièrement pillés et certains 
scannent l’index des clients pour les empêcher de contourner le rationnement. 
Les Vénézuéliens ne seraient que 19 %, selon un sondage récent, prêts à donner 
leur voix lors des législatives de décembre au parti au pouvoir, qui ne peut même 
plus se targuer de cette réduction des inégalités qui faisait la force de Chavez. 
La femme la plus riche du pays est… la fille d’Hugo Chavez.

- L’Iran désostracisé mais déstabilisé à court terme
La bonne nouvelle pour l’Iran, c’est qu’il va pouvoir revenir dès le début 2016 
sur les marchés mondiaux de pétrole grâce à la levée des sanctions occidentales. 
La mauvaise, c’est que cette simple perspective de retour d’un pays assis sur 
les quatrièmes réserves mondiales de pétrole contribue à une déprime des cours, 
Or l’or noir fournit 80  % des recettes en devises du pays et les deux tiers de 
celles de l’Etat. A court terme, l’Iran dirigé par Hassan Rohani (photo) va donc 
souffrir, d’autant plus que ce pays de près de 80 millions d’habitants, très jeunes, 
a des besoins considérables sur le plan social.

- Le pétrole russe à peine rentable désormais
La Russie dirigée par Vladimir Poutine, est à coup sûr un des pays les plus 
affectés par la chute des cours. Compte tenu de ses coûts d’extraction très 
élevés dans le sol gelé de Sibérie (de 40 à 50 dollars le baril), la plupart 
des puits du numéro un mondial des hydrocarbures ne sont plus rentables 
au niveau de cours actuel. Moscou qui tire du pétrole le tiers de ses recettes 
en devises, peut puiser dans ses fonds souverains pour maintenir son niveau de vie. 
Mais la chute des cours du pétrole, conjuguée aux sanctions occidentales en 
raison de la crise ukrainienne, fait baisser le PIB de 4 % en rythme annuel 
actuellement et menace même à terme l’excédent des paiements courants.

- L’Arabie saoudite obligée d’emprunter
Soixante milliards de dollars. C’est ce que l’Arabie saoudite a puisé dans ses 
réserves depuis le début de l’année pour maintenir son train de vie, malgré 
la chute des cours du pétrole qu’elle a elle-même initiée pour défendre ses 
parts de marché. Le pétrole représente en effet 90 % des ressources fiscales 
de l’Etat. Mais Riyad ne compte pas brader des actifs de son fonds souverain 
et a dû se résoudre à emprunter, pour la première fois depuis 2007. Elle a 
annoncé il y a dix jours qu’elle émettrait des obligations pour un volume 
total de 27 milliards de dollars d’ici à fin 2015 et a placé, très aisément, 
une tranche de 5,3 milliards le 10 août.

- Le Nigeria entre en zone de danger
de pétrole, le Nigeria dirigé par Muhammadu Buhari, est forcément 
touché par la chute des prix, même si l’or noir pèse pour à peine plus 
du tiers du PIB du pays. La monnaie nationale, le naira, souffre depuis 
un an, ce qui dope les prix des produits importés. Résultat l’inflation 
risque d’être bientôt à deux chiffres. La croissance demeure vigoureuse, 
attendue à plus de 4 % cette année. Ce revers conjoncturel frappe en outre 
un pays qui lutte contre Boko Haram dans le Nord et gangréné par la 
corruption, qui aurait siphonné des dizaines de milliards de dollars des 
comptes de la compagnie pétrolière nationale.

Yves Bourdillon


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